» Le numérique contre les inégalités éducatives » : c’était le thème choisi cette année par l’AFEV (Association de la fondation étudiante pour la ville) pour la 9ème Journée du refus de l’échec scolaire, organisée le 20 septembre en présence de la ministre Najat Vallaud-Belkacem. Les participants ont souligné que le numérique pouvait être un levier contre l’échec scolaire, mais qu’il pouvait aussi creuser les inégalités si l’on n’accompagnait pas les publics plus fragiles.
» La question de savoir si l’on est pour ou contre est dépassée, a expliqué le » parrain » de la Journée Xavier de La Porte, spécialiste des culture numériques. Nous devons réfléchir aujourd’hui en évacuant cet aspect binaire. » Le ton de la Journée était donné : ni optimisme béat à l’égard de nouvelles technologies devant révolutionner la pédagogie, ni catastrophisme au nom d’une école sublimée fondée sur l’autorité incontestée du maître.
Ouvrant les débats à la Gaîté Lyrique, à Paris, la directrice des programmes de l’AFEV Eunice Mangado-Lunetta avait elle aussi cadré les termes du débat. » Il n’est pas question de dire que le numérique va résoudre à lui seul le problème de l’échec scolaire, avait-elle prévenu, et il faut prendre garde, avec le numérique, à ne laisser personne au bord de la route « . Les volontaires de l’association accompagnent, dans les quartiers, des élèves de milieux défavorisés.
Inégalités d’usages
Comme chaque année, l’AFEV avait commandé un sondage portant sur le thème de la Journée. Réalisé auprès de 548 collégiens âgés de 11 à 13 ans, dans les établissements en Education prioritaire où des volontaires de l’association interviennent, le sondage a permis de souligner une réalité. La question du numérique ne se pose plus guère en termes d’équipement, avec des enfants possédant ordis et portables et d’autres, de milieux populaires, n’en ayant pas.
Les inégalités concernent désormais avant tout les usages que l’on fait de ces équipements. Dans les familles les plus » éloignées de l’école » – ou dont l’école s’est éloignée – , les jeunes maîtrisent souvent mal toutes les ressources de leurs ordis ou smartphones. Ayant des compétences moindres que leurs camarades de milieux favorisés, leurs usages se limitent davantage à des jeux, des loisirs, des échanges personnels…
Quelques chiffres tirés de cette enquête. 87% des jeunes collégiens interrogés disent avoir un ordinateur à la maison – ce qui en laisse tout de même 13% en marge – et 98% ont le wifi. Les trois quarts sont inscrits sur des réseaux sociaux – à commencer par Snapchat – et 85% regardent des vidéos. En revanche, ils ne sont que 60% à faire des recherches scolaires régulièrement et 62% à aller parfois sur internet avec les parents.
Digital natives
Maîtresse de conférence en sciences de l’information et de la communication à l’université de Rouen, Anne Cordier a travaillé sur les jeunes et la recherche de l’information, et a signé un livre » Grandir Connectés « . Intervenant à la tribune, elle a nuancé l’image d’une génération naturellement à l’aise avec le numérique. En réalité, les talents et les appétits sont très divers: » On parle de digital natives mais c’est un fantasme. Tous les individus ne sont pas doués de la même façon. »
Elle a cité des témoignages, relativisant l’idée simpliste d’une rupture entre les générations, et évoquant des » inégalités sociales, cognitives et de genre « . » J’ai du mal à dire ça devant les autres, mais je suis pas à l’aise avec le numérique « , confie ainsi Marie 13 ans. Samantha, 11 ans, avoue avoir honte : » quand tu tu galères sur internet, ça le fait pas. » Et Juliette, en licence AES (administration économique et sociale) : » je dois beaucoup à l’école et à ma prof documentaliste, elle m’a montré tout ce qui est sur internet, je la remercie tous les jours. «
Décrocheurs et décrochés
Autre intervenante, Cecilia Creuzet Germain travaille à » We TechCare », une start-up créée par Emmaüs Connect pour travailler sur l’e-inclusion. Elle a rappelé les enseignements édifiants d’une enquête réalisée en 2015 sur des jeunes en difficultés, de 16 à 25 ans, sortis du système scolaire – des » décrocheurs » ou des » décrochés « – et inscrits dans les Missions locales.
» Leur taux d’équipement est élevé mais on peut avoir de super smarthopnes sans être connecté, a-t-elle expliqué. Or si 85% vont sur les réseaux sociaux, moins de la moitié maîtrise bien les mails, pourtant très importants pour la recherche d’emplois. En fait il y a très peu de tranfert entre l’usage ludique et les usages liés à l’insertion. Il est clair que plus le niveau d’éducation est élevé, plus la palette des usages est vaste. »
Comment combler ces inégalités numériques, reflets d’autres inégalités ? Comment élargir les usages ? » Plus que de formation, nous parlons d’accompagnement pour ces jeunes « , a indiqué Cecilia Creuzet Germain. » We TechCare » s’apprête à lancer une plateforme dédiée à l’insertion intitulée CLICNJOB.
Parcours d’excellence
Sans surprise, Najat Vallaud-Belkacem est revenue sur le plan numérique qui se met en place à cette rentrée, se félicitant de l’accent mis sur la formation des enseignants. Elle a vanté aussi les atouts du numérique pour lutter contre l’échec scolaire : « il mobilise différemment les élèves, les rend plus actifs, on peut faire des essais, revenir sur des erreurs » – une pédagogie qui serait plus apte à redonner confiance aux » vaincus » de l’école.
La ministre a enfin signé deux conventions avec l’AFEV et la CPU (Conférence des présidents d’université): l’une sur le volontariat dans les établissements scolaires, l’autre sur les » parcours d’excellence » dans les collèges en éducation prioritaire et dans les lycées.
» Il existe toujours un problème d’autocensure chez certains, a-t-elle expliqué, en parcours d’excellence, les élèves volontaires auront un tuteur qui les accompagnera de la troisème à la terminale, qui les coachera, travaillera avec eux leurs motivations et leur ouvrira des horizons. «
Véronique Soulé