Dans ma classe de CE1, située en zone urbaine avec une bonne mixité sociale, j’ai la chance d’avoir des élèves très engagés dans les apprentissages et porteurs de nombreux projets (que je suscite, il est vrai). Il y a aussi quelques enfants pour qui le sens de la présence à l’école et du travail scolaire reste très mystérieux. C’est le cas de de J.
J. est arrivé dans mon école en CP, en cours d’année dernière, pour des raisons que j’ignore et que je ne dois pas connaître, m’a-t-on clairement dit.
Au début de cette année, J. ne savait ni lire ni même déchiffrer des sons simples et ne pouvait rester assis plus de cinq minutes. Impossible de l’associer à quelque activité que ce soit. Tout cela jusqu’à la Toussaint. Sans guère de changement d’attitude.
Il était très complice avec son copain, M., lui aussi en grande difficulté, un an de plus, comme un grand frère pour J., mais qui se mobilisait davantage, essayant par exemple de préparer des exposés, même si cela n’allait pas jusqu’à la présentation.
Notre inquiétude était réelle, une équipe éducative était mise en place, une attente de prise en charge au CMP semblait bien lointaine, compte tenu des listes d’attente…
Peu à peu, à partir de décembre, il y a eu un tout début d’acceptation chez lui, plus sous la forme d’un « je n’ai pas le choix » que d’un « j’aimerais bien qu’on m’aide », une manière marquée plutôt par l’absence de fuite que par le désir. Quelque chose de très furtif, et ponctué de nombreux soupirs.
Et puis, est arrivée cette semaine de mi-janvier. Le lundi, à l’étude, les élèves de ma classe devaient lire le journal hebdomadaire de classe, dans lequel apparaissent des textes libres de quelques-uns, comme chaque lundi, et une adulte, la Responsable des activités péri-éducatives, me signale, étonnée, que J. a réussi à en lire une bonne partie, seul, sans qu’on soit obligé de lui montrer chaque syllabe. Le lendemain, j’ai fait lire J., à part, pour qu’il ne soit pas en difficulté dans le groupe, et – ô surprise – il était en effet capable de déchiffrer la plupart des mots, sans que je sois obligé de lui montrer chaque fiche-repère de sons.
Il s’était passé quelque chose…
En janvier, j’avais modifié mon organisation de classe, créant des équipes dans lesquelles l’entraide était encore plus présente. A côté de J., il y avait N., une très bonne élève, très patiente, toujours volontaire pour aider J.
J’ai du coup simplement une conviction, qui n’est évidemment qu’une hypothèse : J. a voulu suivre l’exemple de ses camarades. Intérieurement. Toute la classe – ou presque – était en dynamique, il a choisi de les suivre. Je crois que j’aurais pu faire preuve de la plus grande inventivité pédagogique au monde, ça n’aurait pas rivalisé avec cette idée simple que c’est d’abord grâce à ses pairs qu’il a appris. Pour être des leurs.
Ce n’est pas magique, ça ne fait pas disparaître tous les empêchements – et J. en a encore de nombreux – mais ça a pu provoquer un changement, un désir de début de conquête.
Mais ce genre de déclic a 10 000 fois plus de chance de se produire dans des classes bénéficiant d’une vraie hétérogénéité, et aussi dans une atmosphère où règnent l’échange, le partage, la coopération, et le travail porteur de sens.
Eh, là-haut, vous entendez ?
Daniel Gostain
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