Le saviez-vous ? Le château Vanderbilt dans les Yvelines est hanté ! Par les fantômes de ses anciens propriétaires, qui s’ennuient. Par les voix d’élèves du collège Flora Tristan et de l’école Surcouf de Carrières-sous-Poissy. Pour divertir les fantômes, ils ont constitué « un Cabinet de Curiosités 2.0 » : ils ont inventé des objets incroyables, qu’on ne peut ni voir ni toucher, mais qu’on peut découvrir grâce à un dispositif numérique, soit dans le château en recevant des contenus audio sur son smartphone, soit sur un site internet dédié au projet. Cécile Portier, écrivaine, Manon Gallet, professeure-documentaliste, et Xavier Boissarie, du collectif Orbe, expliquent les modalités de ce travail étonnant. Invitant à s’approprier les lieux, les mots et les choses, il stimule la créativité et valorise l’imaginaire d’élèves « timides, avec de grosses difficultés d’écriture ».
Pouvez-vous expliquer ce qu’est le « château éphémère » ?
Cécile Portier : Le château Ephémère est une ancienne gentilhommière de Carrière-sous-Poissy, abandonnée pendant de nombreuses années, progressivement réhabilitée, qui abrite aujourd’hui un espace culturel de résidences artistiques et de diffusion tourné vers les arts numériques, dans toute leur diversité. Ce lieu a également une mission importante de transmission, et mène de nombreux ateliers avec des enfants et des jeunes, dans le cadre notamment d’un fablab mis à disposition tant des artistes en résidence que de publics encadrés.
C’est dans ce cadre que vous avez créé un « cabinet de curiosités 2.0 » : comment le projet est-il né ? quels en étaient les principes et les objectifs ?
Manon Gallet : Le projet est né de la volonté d’inscrire, au collège, le travail sur l’écriture dans la durée, donc de mettre en place une résidence d’artistes avec un écrivain. Ensuite, c’est une histoire de rencontres et de liens avec le Château éphémère. L’objectif premier était que les élèves écrivent avec plaisir. Il a donc été décidé d’accueillir Cécile Portier, auteur, et Xavier Boissarie du collectif ORBE dans le cadre d’une résidence artistique en milieu scolaire proposée par la DRAC Ile de France et l’Académie de Versailles, en partenariat avec le Château Ephémère.
Des ateliers d’écriture ont été menés pour inventer ces objets étonnants : selon quel dispositif ?
Manon Gallet : Ces ateliers ont été menés par Cécile Portier dans le cadre des enseignements de français, par la professeure de lettres, Mme Lanhers, au collège et la professeure des écoles, Mme Reslinger, en CM2, avec mon soutien. Il faut savoir que nous sommes en Réseau d’éducation prioritaire, et que nous travaillons ensemble depuis des années.
Cécile Portier : Pour le projet, je suis partie d’un scénario de commande faite aux élèves par le Château Ephémère : celle de débarrasser le château des ennuis causés par ses fantômes. En effet, le « château » fut construit au début du 20ème siècle par William K Wanderbilt, milliardaire américain amoureux de la France et des chevaux, qui aménagea les abords de son château en hippodrome. Le château fut ensuite racheté par un autre milliardaire américain, A. Kingsley Macomber, amateur de trophées, qui fit faillite en 1929… Les deux milliardaires hanteraient encore le château. S’ennuieraient. Se chamailleraient. Cela brouillerait toutes les ondes sonores et la wifi du château éphémère, donc : intervention nécessaire. D’où la commande passée aux élèves : pour les désennuyer, leur fabriquer un cabinet de curiosités qui les enchante et les raccroche au monde, eux qui n’y ont plus accès. Mais puisqu’ils sont des spectres, il leur faut un cabinet … fantôme ! Qui ne soit pas visible, seulement audible, appréhendable par les ondes, seuls chemins possibles aux fantômes pour retrouver le monde et ses merveilles.
En a découlé un travail d’invention de pièces extravagantes, ciselées par chaque élève à partir de différentes consignes plus précises, destinées à servir de levier à leur imagination
Manon Gallet : Les consignes étaient différentes chaque fois, car le travail d’écriture nécessite de la persévérance et beaucoup de brouillons… Nous avons aussi adapté nos objectifs en fonction des élèves. Les accompagnants étaient là pour amener les élèves à se « débrider » dans leur écriture, à sortir du cadre scolaire tout en respectant les règles fondamentales d’écriture (grammaire, orthographe, conjugaison…).
Pouvez-vous donner quelques exemples intéressants d’objets ainsi inventés ?
Cécile Portier : Il y a par exemple un fusantalon, pantalon fusée en plus d’être mot-valise, qui me touche beaucoup pour le sérieux avec lequel l’enfant le décrit, ou bien les lunettes invisibles qui voient l’invisible, qui me semblent bien rendre compte de la compréhension que les élèves ont eu au final de cet exercice difficile qui leur était proposé, à savoir de plonger dans l’abstraction, d’en ressortir du poétique.
Manon Gallet : Le mieux est quand même d’aller voir le site, c’est un cabinet de curiosités, il y en a vraiment pour tous les goûts !
Comment en particulier s’est articulé le travail écriture – oralisation ?
Manon Gallet : Cette partie a été plus compliquée car nous n’avions pas d’expérience en la matière, mais le collectif Orbe a été formidable. L’équipe a su s’adapter aux élèves et les faire travailler pour que les enregistrements deviennent des textes agréables à entendre, que ce soit ludique et passionnant. Ils ont bravé le vent, la pluie et bien d’autres choses encore… En faisant des exercices d’appropriation de l’espace et de la voix proches du théâtre, les élèves ont réussi à restituer leurs textes en s’éloignant de la lecture, et à leur donner vie.
Les productions audio peuvent être écoutées en ligne, mais aussi à l’intérieur même du château : techniquement, comment ce parcours sonore a-t-il été réalisé ?
Xavier Boissarie : Pour réaliser ce parcours sonore, nous avons utilisé le dispositif web « Messages Situés » qui fonctionne comme un éditeur de site internet. L’interface d’édition nous a permis de positionner les témoignages audio des enfants sur une carte du Château et des espaces environnants. Les objets ont été regroupés par thèmes correspondant à des zones : la ménagerie, la crypte, le laboratoire… Dans un second temps, nous avons réalisé des éléments de paysage sonore pour chaque zone, afin d’illustrer le récit des enfants et stimuler l’imaginaire du visiteur.
Lors de la restitution, nous avons prêté un smartphone et des écouteurs à chaque visiteur pour qu’il puisse explorer l’univers sonore du Cabinet de Curiosité. Lors de l’exploration, c’est le déplacement du visiteur qui active scènes sonores et témoignages. Le smartphone connaît en effet sa position dans la cartographie sonore grâce au GPS en extérieur et à des balises Bluetooth en intérieur. Les oreillettes restituent un son en 3 dimensions qui habite l’espace de manière fantomatique. Ce parcours immersif permet ainsi de découvrir les imaginaires des enfants qui s’expriment à travers les objets du Cabinet de Curiosité 2.0.
Au final, quel bilan tirez-vous de ce projet original ? Quels en ont été selon vous les intérêts et les plaisirs pour les élèves qui y ont participé ?
Manon Gallet : C’est un travail de Titan, mais c’est absolument génial de voir des élèves timides, avec de grosses difficultés d’écriture, rédiger des textes (parfois longs) sur des objets incroyables sortis de leur imaginaire, puis les présenter avec joie à leurs camarades. En effet, si le travail d’écriture est resté plutôt solitaire, l’oralisation s’est faite en groupe, et il y a eu un vrai partage entre les deux classes. Cette année, les CM2 ont intégré le collège et ils ont déjà des repères, ils viennent au CDI…
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut
Le cabinet de curiosités est visitable ici