Par Marjorie Lévêque
Entretien avec Grégory Cromphout, professeur de langues anciennes en Belgique et webmestre du site languesanciennes.com
Je me suis intéressée au joli site de partage Languesanciennes.com, qui propose des ressources très riches et variées pour l’enseignement des langues anciennes, dont pas moins de 6 manuels complets de cours (4 en latin et 2 en grec ancien).
http://www.languesanciennes.com/
Son webdominus, Grégory Cromphout, a accepté de répondre à mes questions sur son site, mais aussi sur la situation de l’enseignement du latin et du grec en Belgique.
A propos du site Languesanciennes.com
Le Café Pédagogique : Bonjour G. Cromphout. Pour commencer, pourriez-vous faire votre portrait en quelques phrases ?
Je m’appelle Grégory Cromphout, j’enseigne les langues anciennes à Bruxelles dans une école à encadrement différencié (milieu social défavorisé) depuis cinq ans. J’ai eu le plaisir de pouvoir y réinstaurer avec succès des cours de grec ancien qui n’étaient malheureusement plus proposés depuis une dizaien d’année.
En outre, le statut particulier de mon établissement lui a donné les moyens d’intégrer un projet « tablettes numériques » dont je suis devenu le coordinateur, et donc Apple Professional Developer.
Le Café : Quand et d‘où vous est venue l’idée de créer votre propre site web ? / Quels étaient vos objectifs au début de la création du site ?
Nous avons en Belgique une obligation légale de suivre une formation avec des écoles d’autres réseaux à raison de deux jours tous les deux ans. C’est l’occasion de rencontrer des collègues, de partager des informations, des astuces, des activités.
Lors de la première de ces formations que j’ai été amené à suivre, je me suis rendu compte que tout un chacun regrettait qu’il n’y ait pas plus de vrais lieux d’échanges, pourtant si enrichissants et que les préparations que j’avais à proposer plaisaient : languesanciennes.com était né !
Je dois dire que le site Latine loquere a été un véritable modèle pour moi dans le domaine, la preuve que rendre le latin à la fois ludique, vivant et exigeant n’était pas utopique.
Le Café : Vous proposez sur votre site 6 manuels de cours complets : 4 en latin, 2 en grec, plus des activités ponctuelles à mettre en place en classe. Vous avez donc décidé de mettre toutes vos préparations en ligne ?
C’était en tout cas mon désir à l’origine, même s’il est difficile de tenir le site à jour. Je travaille par exemple avec des iPad en classe depuis deux ans et je viens à peine d’ajouter une section « Nouvelles technologies » au site. J’ai donc décidé de revoir la structure globale du site pour qu’y ajouter de nouvelles pages me prenne moins d’énergie.
Je regrette qu’il n’y ait pas plus de plateformes d’échange entre enseignants, alors que nous avons souvent tous l’une ou l’autre idée géniale qui vaudrait la peine d’être connue de tous. Si ne serait-ce qu’une de mes leçons a pu aider un collègue en panne d’inspiration, ça vaut le coup !
Le Café : Dans une société tendant souvent vers une attitude individualiste et consumériste, quelle place accordez-vous à la mutualisation gratuite du savoir ?
C’est clairement un paradoxe : comment se fait-il que les professeurs, dont la fonction première est de transmettre le savoir, soient si peu enclins à le partager avec d’autres collègues ? Je l’explique avant tout par un sentiment de peur d’être jugé par ses pairs.
Pour ma part, je sais que toutes les préparations que je mets en ligne ne sont pas de même qualité, qu’il peut y rester l’une ou l’autre coquille, voire réelle erreur de langue ou d’Histoire, que l’intérêt pédagogique de certaines pourrait être remis en cause, mais peu importe. Le temps économisé par celui qui veut s’en inspirer pourra être mis à profit, c’est un processus dialectique qui ne peut mener qu’à un mieux pour les élèves.
Si certains ne rendent pas leurs préparations publiques pour des raisons plus individualistes, je le regrette, je ne peux pas croire qu’il existe un enseignant dont les leçons ne soient que des créations originales, qui ne se soit aidé d’un manuel, du cours d’un collègue, de leçons en ligne. Dès lors, à quoi bon garder égoïstement ce que l’on produit ?
Le Café : Votre site languesanciennes.com est vraiment très agréable à consulter. Avez-vous bénéficié de formations informatiques particulières ou vous êtes-vous formé sur le tas ? Quels logiciels ou outils utilisez-vous pour la création de votre site web, des manuels que vous y proposez ?
Non seulement je suis un autodidacte du « webmastering », mais encore le suis-je devenu sur le tard ! J’ai appris à créer un site pour mon école il y a quatre ans, en téléchargeant un thème gratuit et en apprenant les rudiments du codage HTML pour pouvoir le modifier simplement.
Cela m’a plu et j’ai creusé : j’ai investi dans Dreamweaver d’Adobe pour aller plus vite, un logiciel permettant de modifier une page web comme on modifierait un document Word, et la prochaine version de languesanciennes.com sera basée sur WordPress : c’est un peu déstabilisant au début mais quel gain de temps !
Une fois de plus, cet apprentissage n’a été possible que grâce à l’incroyable variété de tutoriaux en tous genres et de tous niveaux disponibles sur internet. Dès que je voulais ajouter une fonctionnalité précise à mon site, une rapide recherche Google m’offrait des dizaines de solutions.
Pour ce qui est des manuels, j’ai tout essayé, mais c’est finalement Word qui reste le plus efficace. J’utilise ce logiciel depuis que je suis petit, je connais ses possibilités et ses limites et la structure des syllabus a été générée en fonction. Par exemple, les encadrés d’en-tête ne sont pas automatiques comme on pourrait le croire, ce sont de simples zones de textes au fond coloré, mais le rendu esthétique est à mes yeux très élégant.
Le Café : Disposez-vous d’une aide pour la création et / ou la mise en ligne de vos créations ou êtes-vous seul à y travailler ?
Je gère le site Langues anciennes entièrement seul, c’est plus simple pour conserver une cohérence aussi bien de fond que de forme. Pour ce qui est de la création de leçons par contre, je ne peux pas revendiquer toutes les idées qui y sont présentées : certaines proviennent d’autres sites, de formations que j’ai suivies, de discussions avec l’un ou l’autre collègue, de manuels… Le principe même d’en faire syllabus est né d’une vraie réflexion avec une collègue romaniste qui m’a aidé à en développer la structure.
Ce qui est certain, c’est que toutes les leçons présentées sont toutes animées par la même envie : ne pas s’ennuyer en classe. Il y a moyen d’apprendre en s’amusant et j’essaie toujours de trouver un point d’accroche qui va donner envie aux élèves de participer au cours.
Le Café : Quel est le public que vous souhaitez toucher ? Vos « lecteurs » sont-ils tous des scolaires ?
Je veux toucher avant tout un public d’enseignants en langues anciennes, qu’ils aient suivi des études classiques ou non, qu’ils soient expérimentés ou non, qu’ils aient un public d’élèves reputés faciles ou non. La partie « Exercices » est bien sûr dédiée plutôt aux élèves, même si elle n’est pas encore complète.
Pour les autres profils de « lecteurs », je suis forcé d’admettre que je n’en sais trop rien, je n’ai pas encore reçu de témoignage dans ce sens.
Le Café : La création de ce site Internet dédié aux langues anciennes a-t-elle changé quelque chose dans vos rapports avec vos élèves / vos collègues ? Quel impact ce site a-t-il eu auprès de vos élèves ? A-t-il modifié leur perception des langues anciennes ?
En réalité, ce n’est pas ce site mais bien celui créé pour mon école qui a changé la donne. En tant que webmaster du site de mon établissement, je pouvais y ajouter des documents facilement, et j’en ai peu à peu fait un outil de communication avec mes élèves et mes collègues.
L’outil le plus pratique reste les exercices auto-corrigés en ligne. Grâce au logiciel Adobe Captivate (à découvrir d’urgence !), j’ai pu créer une batterie d’exercices préparatoires aux évaluations auxquels les élèves se confrontent régulièrement avant les interros (les mêmes que sur Langues anciennes, mais complets). J’ai vraiment senti la différence : ils sont plus autonomes face au savoir, ils s’auto-évaluent beaucoup plus facilement, parviennent à se corriger par eux-mêmes.
Forcément, en ajoutant l’utilisation des tablettes en classe, l’image du latin et du grec a pris un sacré coup de jeune.
Le Café : Les manuels et les séquences que vous proposez sur votre site pour chaque niveau de latin sont vraiment originales. Pouvez-vous nous expliquer les principes de base qui président à leur création ?
Après avoir dressé la liste des points à aborder selon le programme officiel des cours, l’idée était de donner une cohérence au tout, toujours par méthode inductive : on traduit d’abord un texte comportant une nouveauté grammaticale qui est ensuite expliquée et pour laquelle il faudra s’exercer. Le contenu du texte permet de découvrir un sujet de civilisation et son vocabulaire une particularité de l’influence du latin sur le français.
En pratique, ce sont d’abord les thèmes de civilisation qui ont été choisis, et tout le reste des séquences s’articule autour de ce choix.
Ensuite, comme je l’ai dit, tout repose sur une obsession : comment découvrir une matière donnée sans s’ennuyer ? Pour moi, le secret réside dans le fait d’enseigner des choses qui me plaisent et de varier les manières d’aborder chaque leçon.
Par exemple, nous ne traduisons pas tous les textes de la même manière : certains textes sont donné en traduction tandis que les élèves doivent analyser une liste de mots, d’autres sont traduits par petits groupes, les paragraphes d’autres encore sont mélangés et doivent être traduits et remis dans l’ordre. Et puis, une fois par an, les Saturnales : les élèves, qui ont préparé un court extrait à l’avance, sont professeurs d’un jour et doivent un à un aller devant la classe pour faire avancer la traduction.
Le Café : J’ai remarqué que vous utilisiez beaucoup le cinéma et la bande dessinée dans vos cours (cf. notamment la séquence de grec ancien dans votre manuel ????? 4e « Le mythe de la caverne : de Platon à Matrix ». Quel intérêt présente-t-il selon vous pour les élèves ?
Dans les programmes officiels belges, il est indiqué que les enseignants sont tenus de participer à l’éducation aux médias de leurs élèves. Il s’agit d’un prescrit légal auquel je me plie volontiers.
Je trouve effrayant de constater combien nous sommes parfois passifs face aux médias, sans plus chercher à analyser ce qui est proposé, et les enfants plus encore. Dans le cas de Matrix par exemple, nous décryptons certaines scènes du film plan par plan, en nous interrogeant sur les intentions des deux réalisateurs, sur leur manière de procéder. J’aime à croire que ce type de formation leur permettra d’être moins influençable face à d’autres types d’informations qui leur parviendraient.
Le Café : Quels sont vos sites web ou blog langues anciennes préférés ? (top 5)
1°) Loin devant, Latine loquere, devenu tout récemment Arrête ton char, collectif dont je fais désormais partie. Le travail de Robert Delord est tout bonnement incroyable.
2°) Itinera electronica et Hodoi elektronikai, les deux sites de langues anciennes de l’Université de Louvain. Je n’arrive même pas à concevoir le travail d’un prof de latin-grec dans le passé, avant d’avoir un accès si simple à tant de textes et de traductions.
3°) Musagora, même si je regrette son côté un peu fouillis. Ce site abrite certaines pépites qu’il faut du temps pour déterrer.
4°) Le blog Antiquitas Semper sur lequel je retombe régulièrement lors de recherches. Je me dis chaque fois qu’il s’agit surtout du blog d’une prof à ses élèves, et puis je suis toujours étonné d’y trouver l’une ou l’autre nouveauté intéressante.
5°) Le forum d’Enseignons.be, il n’est pas très vivant, mais plein d’informations intéressantes.
Le Café : Quels sont vos auteurs latins et/ou grecs préférés ? Pour quelles raisons ?
Côté latins, César et Ovide ont ma préférence. César parce qu’il est un fil conducteur de mon cours : en première année de latin, nous fêtons sa mort autour d’un gâteau le 15 mars ; l’année suivante, nous découvrons son histoire avec Pompée et Cléopâtre ; et enfin, nous traduisons des extraits de la Guerre des Gaules dont une description des élans qui vaut le détour !
Ovide parce qu’il symbolise les premiers pas de mes élèves dans le monde de la scansion, toujours un grand moment. Sans évoquer son Art d’aimer qui fait toujours mouche et reste un bel exemple de la modernité des textes anciens.
Côté grecs, Lucien décroche la palme. Comment a-t-on pu écrire si tôt une œuvre telle que L’histoire véritable ? C’est un texte drôle, imprévisible, plein de rebondissements, et pourtant relativement simple à traduire.
Le Café : Pourriez-vous conseiller à nos lecteurs un livre, un cd et un film que vous appréciez particulièrement ?
Un livre : Rome, un cabinet des curiosités, de J.C. McKeown. On peut l’ouvrir à n’importe quelle page, il y a toujours quelques chose à apprendre, et en plus avec les références du texte source.
Un CD : n’importe quel album de Juliette, c’est une artiste brillante à voir sur scène dès que possible.
Un film : je suis incapable de sélectionner un film ! J’ai plus de 1500 DVD chez moi et c’est toujours une torture de choisir d’en regarder un plutôt qu’un autre. Si le but est de faire découvrir un film méconnu, je dirais La maison du Docteur Edwardes d’Hitchcock, mais c’est juste parce que je viens de le revoir.
Le Café : Sur enseignons.be, le latin et le grec sont relégués dans le catalogue d’activités dans « autre cours » (ce qui ne les rend pas aisés à trouver) puis désignés par « langues mortes ».
Est-ce l’appellation officielle en Belgique de ce que l’on appelle désormais « Langues et Cultures de l’Antiquité » en France ? Est-ce révélateur de la place dévolue à ces matières ?
Il faut savoir qu’Enseignons.be n’est pas un site officiel de l’enseignement, même s’il est bien plus vivant que ceux-ci. Donc non, les cours de « Latin » et de « Grec » sont deux cours à part entière qui ne sont jamais qualifiés de « langues mortes » dans les prescrits légaux.
Ceci dit, cela ne veut pas dire que la situation des langues anciennes est au beau fixe : la Belgique compte trois réseaux officiels – le communal, la Fédération Wallonie-Bruxelles et le confessionnel (avant tout catholique) – et selon les réseaux, le nombre d’heures de latin par semaine n’est déjà pas le même.
Indépendamment du réseau, au premier degré (12-14 ans), le latin est non seulement non obligatoire, mais surtout non certificatif ; cela signifie que les évaluations et les examens n’ont aucune incidence sur la réussite de l’année de l’élève. Ce statut est bien sûr rarement assumé par les enseignants puisqu’il est l’un des seuls cours dans ce cas.
Ensuite, il faut admettre que la popularité des langues anciennes dans une école repose presque exclusivement sur les professeurs en place et le soutien de la Direction.
Le Café : Comment devient-on professeur de langues anciennes en Belgique ? Quelle formation suivent les étudiants pour accéder à ce poste ? Y-a-t-il une formation spécifique ? Y-a-t-il, comme en France, un système de « formation continue » des enseignants?
La seule manière de devenir enseignant de langues anciennes en Belgique est de suivre un cursus universitaire de langues anciennes de cinq ans au terme duquel nous pouvons enseigner dans les six années du secondaire (l’enseignement en Belgique est obligatoire jusqu’à 18 ans). Il s’agit d’une formation qui mêle la maîtrise de la Langue, de l’Histoire, de la Littérature, de l’Histoire de l’Art…
Les deux dernières années poursuivent cette formation culturelle et linguistique en y ajoutant les cours nécessaires pour obtenir l’agrégation, l’autorisation d’enseigner en somme. Ces derniers sont des cours d’histoire de la pédagogie, de l’enseignement en Belgique, de la psychologie des adolescents, de la neutralité de l’enseignant…
Toutefois, avec la pénurie actuelle de professeurs, il n’est pas rare qu’un professeur n’ayant suivi aucun cours universitaire de langue latine ou grecque devienne toutefois enseignant en langues anciennes.
Une fois sur le terrain, c’est un peu à chacun de se frayer un chemin dans le labyrinthe des formations facultatives et obligatoires. Un enseignant belge suit en moyenne trois à cinq jours de formations obligatoires par an, soit des formations collectives dont le sujet est déterminé par la Direction, soit des formations individuelles pour lesquelles le thème doit être choisi dans une liste prédéterminée.
Le Café : Un enseignant est-il titulaire de son poste ? nommé ? Doit-il postuler ? Se présenter à un « entretien » ?
Là encore, c’est assez complexe, car tous les réseaux ne fonctionnent pas de la même façon… Qu’il s’agisse de décrocher un poste ou de passer de « temporaire » à « nommé », chaque réseau a ses règles.
De manière générale, et je simplifie volontairement, le plus important est de savoir qui est le pouvoir organisateur de l’école. Il peut s’agit de l’école elle-même, de la commune sur laquelle elle est située ou plus généralement de la Communauté française. Une fois identifié, il faut envoyer une candidature (CV et lettre de motivation) audit pouvoir organisateur qui, dans la plupart des cas, vous engage sans vous rencontrer. Ce n’est qu’ensuite que l’on rencontre la Direction qui nous décrit le projet de son établissement, son règlement plus spécifique, etc.
Le professeur est alors « temporaire » et attend patiemment d’être « nommé » en complétant soit une fois, soit chaque année (toujours selon le réseau) un document à cet escient. Ce statut, qui survient plus ou moins vite selon la discipline enseignée, lui offre une stabilité de poste et de salaire. Si l’enseignant décide de changer de pouvoir organisateur, il perd sa nomination et doit à nouveau patienter pour l’obtenir dans son nouveau pouvoir organisateur. Par conséquent, il est évidemment rare qu’un professeur change plusieurs fois d’école dans sa carrière.
Le Café : En mai 2013, le café pédagogique se faisait l’écho d’un article de RTBF expliquant qu’en Belgique, un jeune enseignant sur cinq quitte la profession dès sa première année. On y lisait notamment qu’ « un tiers des enseignants débutants ne possèdent pas de diplôme pédagogique ». Cela nous semble incroyable vu de France. Qu’en est-il réellement ?
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lexpresso/Pages/2013/05/03052013Article63503[…]
Ce chiffre est tout à fait exact. Pire : c’est une moyenne, et certains réseaux sont plus touchés que d’autres… Il faut vraiment garder à l’esprit que la Belgique est dans une situation de pénurie tout à fait particulière. Quand une école n’a pas de professeur pour dispenser une matière, la loi autorise à engager des personnes n’ayant pas le titre requis.
Soit quelqu’un ayant un titre pédagogique mais pas dans la bonne discipline (un romaniste peut enseigner le latin, un mathématicien la physique…), soit quelqu’un ayant acquis une expérience dans la discipline mais sans le titre pédagogique (un ingénieur les mathématiques), soit dans les pires cas, n’importe qui.
J’exagère un peu, mais j’ai connu une hôtesse de l’air engagée en tant que professeur de néerlandais parce qu’elle devait donc avoir une certaine maîtrise de cette langue…
Le Café : Les études de langues anciennes connaissent-elles, comme chez nous, une « crise » (moins d’étudiants…) ? A quoi pourrait-on imputer cette crise ?
La crise que nous connaissons est certainement la même qu’en France : de plus en plus d’options possibles entre en concurrence avec les options que sont le latin et le grec, et le discours utilitariste transmis par notre société ne donne pas des langues anciennes l’image la plus positive qui soit : « à quoi ça sert de faire du latin ? ». Face à ce discours, tous les arguments semblent avoir peu de poids…
Ma prof de latin à l’université avait toutefois tendance à prendre la France en exemple de « ce qui nous attendait si nous n’étions pas vigilants ». S’il y a bien moins d’élèves suivant les cours de latin et de grec en Belgique, nous avons encore l’occasion de faire dès la première année de la vraie traduction de textes, de la langue de manière approfondie, ce qui serait apparemment de moins en moins le cas dans l’Hexagone.
Aujourd’hui, la fin de l’existence d’un cours de grec ancien à part entière semble de plus en plus assurée, mais nous luttons autant que faire se peut pour retarder cette échéance.
Le Café : Tous les professeurs de langues anciennes en Belgique sont-ils soumis au même programme officiel, comme en France ? Y a-t-il une différence entre la Belgique partie wallonne et partie flamande ?
Une fois de plus, tout est une histoire de réseaux et de nombre d’heures dispensées par semaine. Chaque pouvoir organisateur est maître du programme qu’il impose et de la philosophie avec laquelle celui-ci est rédigé. La différence n’est donc pas seulement entre Wallons et Flamands, mais bien déjà entre francophones du pays : deux écoles presque voisines peuvent exploiter des programmes de cours tout à fait différents. Seul impératif : le programme doit être préalablement validé par le gouvernement pour que le diplôme des élèves soit valable.
Actuellement, conformément aux exigences européennes, tous les programmes insistent sur la notion de compétences.
Pour les cours de langues anciennes, il faut reconnaître que les programmes restent très libres, l’accent étant mis sur les points de grammaire à aborder, le reste des points relevant du conseil mais jamais de l’obligation.
Voici par exemple les programmes proposés par la Ville de Bruxelles :
http://www.brunette.brucity.be/prgcours/
Le Café : A quel moment de sa scolarité un élève belge peut-il commencer le latin ? Le grec ancien ?
Le latin est proposé dès la première année du secondaire, vers 12 ans. Le grec quant à lui est proposé deux ans plus tard, parmi d’autres options comme « sciences humaines », « économie », « sciences »…
Le Café : Comment se passent les cours : combien d’heures par semaine… ? Combien de temps dure un cours ? Travaille-t-on en séquence ? En séance ? Selon une organisation cloisonnée de la semaine ?
C’est décidément une précaution préliminaire dont je ne peux plus me passer : tout dépend du réseau ! Au premier degré, il existe des cours de latin à deux, trois et quatre heures par semaine. Par la suite, le latin est dispensé à mesure de quatre heures par semaine ; le grec deux, trois ou quatre heures par semaine.
Les heures de cours durent généralement cinquante minutes, mais une toute nouvelle loi propose de les raccourcir à quarante-cinq minutes pour les écoles le désirant (les cinq minutes gagnées sont recyclées en fin de journée pour du rattrapage).
Quant à la division des heures par semaine, elle n’est jamais imposée, chaque professeur est maître du découpage de ses heures de cours.
Le Café : Quelle place est faite à l’utilisation des TICE en cours en Belgique ?
C’est incontestablement le nouveau concept à la mode. Si les locaux informatiques étaient déjà chose courante depuis longtemps, la plupart des pouvoirs organisateurs investissent massivement dans des tableaux numériques interactifs (certaines écoles sont même entièrement équipées) et petit à petit dans des tablettes.
Malheureusement, la formation des enseignants ne suit pas toujours, voire rarement, et seuls les profs réellement motivés à s’auto-former en font un usage pouvant réellement être assimilés à ce que l’on comprend par l’étiquette « TICE ».
Pour ma part, ayant la chance de pouvoir expérimenter TNI et iPad dans mes cours, je comprends l’engouement que suscitent ces nouvelles technologies. Ces outils réclament du temps de réflexion et de préparation mais les résultats peuvent être époustouflants, autant sur la motivation des élèves que sur la compréhension de la matière qui en découle.
J’espère vraiment pouvoir transmettre prochainement cette richesse dans la rubrique TICE de Langues anciennes.
Le Café : La libre.be avançait en 2011 que « 28 % des écoles proposent encore du latin. Seul un élève sur cinq en fait. », ce qui est assez proche des chiffres français pour le collège
http://www.lalibre.be/debats/opinions/le-latin-langue-morte-et-en[…]
Savez-vous quelle proportion des élèves dans le secondaire choisissent vraiment de faire du latin ? Du grec ? Dans le supérieur ?
Ce sont certainement les chiffres les plus difficiles à obtenir qui soient ! Je me contenterai donc d’un ressenti tiré des quelques écoles que j’ai pu visiter.
Pour votre première question, les écoles imposant le latin sont de plus en plus rares, le chiffre avancé par La Libre Belgique est donc assez proche de la réalité ressentie sur le terrain.
Il est rassurant de noter que la majorité des élèves ayant tenté l’option latin en première secondaire et ne redoublant pas poursuit ce choix jusqu’en troisième, mais la proportion dégringole ensuite…
Côté grec, je vous le disais, sa mort est programmée : si le nombre d’élèves s’y essayant en troisième secondaire reste satisfaisant, le nombre colossal d’options disponibles en quatrième divise les troupes et le grec n’en garde qu’une portion congrue.
Dans l’enseignement supérieur, même constat : entre dix et vingt élèves entamant des études classiques dans chaque université belge chaque année ; la moitié est encore présente après cinq ans ; une poignée des étudiants obtenant le master se destinent à l’enseignement.
Le Café : Avez-vous, à titre personnel, du mal à recruter ? Comment vous y prenez-vous ? A quelle « catégorie » d’élèves vous adressez-vous ?
J’ai une chance folle : ma Direction me soutient plus que jamais dans la défense des langues anciennes. J’ai donc l’autorisation de faire le tour des écoles primaires pour expliquer à nos futurs inscrits les intérêts de suivre le cours de latin. Les résultats sont flagrants : nous avions auparavant une moyenne de soixante élèves sur cent vingt suivant le cours de latin, ils sont désormais cent douze.
Les élèves en question sont pourtant issus de milieu social défavorisé, généralement de deuxième ou troisième génération d’immigrés, leurs parents n’ont jamais fait de latin, ils n’ont aucun apriori sur ce cours. C’est peut-être ça notre force : le latin est perçu comme une forme d’émancipation, sans son image austère de « langue morte ».
Une fois accrochés, on ne les lâche plus ! L’aspect ludique du cours en première les pousse à poursuivre en deuxième, puis en troisième, même si le grec en fait fuir certains (nous ne laissons pas le choix dans mon établissement : tout élève qui suit le latin en troisième doit suivre le grec).
Après, ça se corse : cette variété de choix en quatrième, bien qu’elle soit dans l’intérêt de l’élève, nous dessert forcément et j’estime que nous n’avons pas encore trouvé le discours et le contenu appropriés pour convaincre le plus grand nombre.
Le Café : Quelles difficultés rencontrez-vous dans votre quotidien de professeur de langues anciennes ? A quoi sont-elles dues ?
La plus grande difficulté au quotidien est la dégradation de la maîtrise du français par les élèves. L’enseignement du français en Belgique a connu de grands bouleversements ces dernières années, si bien que l’orthographe des élèves est souvent déplorable, et leur connaissance des natures et des fonctions approximative. Inutile de souligner qu’il a fallu rapidement revoir notre manière d’enseigner le latin…
Dans un autre domaine, j’avoue que ce statut de cours à option me pèse parfois, surtout avec les élèves plus âgés qui ont bien compris qu’il suffisait de changer d’option l’année suivante pour qu’un échec en latin ou en grec ne les fasse pas pour autant redoubler leur année.
Le Café : Les élèves apprennent-ils le latin / le grec en étudiant des textes « authentiquess » comme en France ? Ou retravaillés ?
Il y a quelques dizaines d’années, les textes retravaillés avaient la préférence des pédagogues, aujourd’hui ce n’est plus le cas. Le programme nous demande de privilégier l’étude de textes authentiques, mais ce n’est pas une obligation.
Pour avoir essayé les deux (j’utilisais un manuel avant de créer mon propre syllabus), je constate que, si les premiers pas sont plus tâtonnants avec des textes « réels », même courts, les élèves sont bien moins désemparés quand ils se retrouvent devant des textes plus ardus à partir de la quatrième année.
Le Café : Les professeurs de langues anciennes travaillent-ils « en réseau » ? Quels sont les sites belges qui permettent cela ?
Il n’existe pas de regroupement officiel proposé par l’État pour l’enseignement des langues anciennes, mais deux associations francophones ont été créées et font un travail de titan pour réunir des professeurs de langues anciennes : la Fédération des Professeurs de Grec et de Latin ( http://www.fpgl.be ) et l’Association de la Communauté française pour les Langues Anciennes ( http://www.acfla.be ), mais leur action se déroule plus sur le terrain que sur la toile.
En outre, depuis l’an dernier, un des centres de formation enseignant a lancé le Colloquium Aestivum qui réunit de nombreux professeurs de langues anciennes autour de conférences et d’ateliers de réflexion.
Le Café : Merci beaucoup, Grégory Cromphout, d’avoir répondu à toutes ces questions avec autant de précision et de conviction. Rappelons l’adresse de votre site :
http://www.languesanciennes.com/
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