Pour la journée de clôture, lundi 3 décembre 2012, le Salon du Livre et de la presse jeunesse de Montreuil proposait 70 rencontres à destination des professionnels, mais aussi des parents, enseignants, éducateurs et de tout public désireux de comprendre l’actualité et les mutations de la littérature jeunesse sous toutes ses formes : création, illustration, médiation, édition, supports, pratiques… Autant de rencontres prises d’assaut par les très nombreux visiteurs du Salon, soucieux de s’informer des mutations paradoxales de cet univers séduisant, qui mêle, non sans ambigüité, démarche pédagogique et stratégie commerciale, plaisir du jeune public et captation des prescriptions adultes.
Les enfants ne lisent plus : fausse évidence ?
La répartition par genre se retrouve, comme on le constate sur le terrain, dans les pratiques de lecture. Une conférence proposée par Gallimard Jeunesse et Le Parisien, se penche sur les « Les 7-15 ans : ils lisent… et comment! » pour en tirer quelques constatations inattendues. D’abord, on note une rupture des comportements de lecture entre 10 et 11 ans, probablement liée à l’accès aux outils numériques personnels. La tendance est plus marquée chez les garçons, qui manifestent alors une nette désaffection pour la lecture, accentuée brutalement après 15 ans. Le phénomène semble se manifester dans tous les pays, mais s’il fait en France l’objet d’un souci particulier, aux États-Unis, par exemple, on l’admet avec fatalisme. Les garçons, semble-t-il, ne trouveraient pas dans les livres de jeunesse ce qu’ils attendent : l’édition s’efforce donc d’adapter l’offre en créant des créneaux ciblés, plus restreints que ceux dédiés aux filles : aventures et interactivité principalement. Et pourtant, révèle l’enquête, les enfants aiment lire : ils adorent les gros volumes feuilletonesques, qui façonnent à n’en plus finir des mondes imaginaires, comme en confèrent les succès d’Harry Potter ou de Twilight. Mais ils lisent différemment, explique Mariette Darrignand, sémiologue. La lecture est intégrée dans un bain d’activités visuelles et sonores, en particulier musicales, auquel les enfants sont accoutumés depuis leur plus jeune âge et dont ils ont du mal à se passer. Ce mode de lecture diffracté, distrait, peut poser des problèmes en termes de concentration, mais il favorise aussi des pratiques non scolaires de la lecture auprès des publics les plus réticents, en particulier les garçons décrocheurs, en leur fournissant des ressources essentielles pour la vie numérique : commentaires sur les blogs et les réseaux sociaux, humour et réparties de connivence dans les échanges virtuels.
Des chiffres peu alarmants.
Les chiffres, quant à eux, relativisent les annonces alarmistes : le taux de lecture des 7-13 ans reste inchangé, affirme Marie-Laure Lerolle, d’Ipsos Média CT. Parmi eux, 82% lisent au moins une fois par semaine, et 42% une fois par jour. Ils affirment aimer lire à 78% et aimeraient disposer de plus de temps de lecture pour 41%. Beaucoup lisent le soir, pour le plaisir, en même proportion que les adultes (70%). Parmi ceux-ci, les parents d’enfants de 7 à 13 ans liraient davantage que les autres ; ils restent, derrière les enseignants, les principaux prescripteurs de livres. Si les objets de lecture sont divers, livres, BD, mangas, journaux, les supports ne le sont pas moins, surtout après 10 ans : 11% des enfants sont équipés de tablettes et 24% pratiquent la lecture numérique, ce qui leur permet d’agrandir le texte et l’image, mais surtout de faire autre chose en même temps. La relation « zapping » aux supports de lecture semble bien intégrée dans les schémas d’activité trépidante des jeunes. Ceux-ci se disent cependant attachés à l’objet livre, qu’on peut conserver et se prêter entre amis. La lecture, curieusement, reste un fort sujet d’échange pour les enfants.
« Du contenu quand je veux, où je veux, comme je veux… »
La diversité des supports et des types de lecture est essentielle, remarque Jean-Marc Merriaux, directeur du Scéren. Chaque support apporte une spécificité qu’il faut prendre en compte. Mais il faut aussi admettre un changement d’attitude chez les jeunes lecteurs : ils exigent « du contenu quand je veux, où je veux et comme je veux », remarque Jean-Marc Merriaux. On ne peut qu’intégrer la notion de mobilité dans l’activité lecture, insiste-t-il. Le rituel paisible de la lecture du soir est en voie d’obsolescence, d’autres modalités de rapport aux livres et à l’écrit imposeront leurs propres rythmes, issus de l’univers du numérique. Mieux vaut chercher à utiliser toutes les fonctionnalités des outils comme les tablettes, concevoir des palettes multi-usages en concordance avec leurs attentes. Et pourtant, ajoute Hedwige Pasquet, de Gallimard Jeunesse, les enfants ont aussi des exigences à l’égard du livre papier : ils veulent de beaux objets, soignés, conformes à leurs modes habituels de consommation.
Mariette Darrignand ne manque de rappeler que l’usage de supports numériques avant 4 ans reste très contre-productif en termes de performances de lecture. A défaut des structures mentales étayées par le livre traditionnel, les repères spatio-temporels ne sont pas assez solides pour permettre ensuite un usage efficace des outils virtuels d’apprentissage.
Recherche et formation en littérature jeunesse
Le pôle numérique accueillait une rencontre sur le thème « Recherches et formation en littérature jeunesse », en présence d’Annick Lorant-Joly, de la Revue des Livres pour enfants, et Sylviane Ahr, responsable de formation à l’Université de Cergy-Pontoise. L’occasion d’évoquer les résultats d’une enquête dirigée par l’Université de Cergy-Pontoise, après un colloque mené en 2011 par la BnF / CNLJ (Centre national de la littérature pour la jeunesse) en partenariat avec le Centre de recherches de l’université de Cergy-Pontoise, dont les actes ont été publiés (1). Parmi les points saillants de cette étude, apparaissent les difficultés de communication entre le monde du livre et les enseignants et documentalistes de collège, ainsi que l’écart croissant, trop peu pris en compte, entre les pratiques réelles et l’offre de lecture, dans un contexte où s’impose la culture de l’écran. Côté formation, Sylviane Ahr présentait le nouveau Master Littérature de jeunesse, proposé pour la première année par l’Université de Cergy sur les sites de Cergy Pontoise et d’Antony. Prévue pour recevoir des adultes en activité, la formation propose des cours regroupés sur le mercredi et le samedi ou le mardi selon les sites, afin de favoriser l’accueil des enseignants en activité.
Un nouveau master, excessivement féminin ?
Les débouchés sont multiples, annonce Sylviane Arh : création, édition, librairie spécialisée, promotion du livre de jeunesse, enseignement de la littérature jeunesse ou encore recherche, tous ces secteurs en expansion peuvent offrir des débouchés professionnels aux étudiants. Très axé sur l’immersion en milieu de travail, le M1 prévoit 5 semaines de stage, et le M2 en compte 12 d’affilée en plus du mémoire obligatoire. La première promotion compte déjà 34 étudiants, de formation très hétérogènes : licences de sciences humaines, enseignement, reconversion professionnelle, mais composé exclusivement d’étudiantes féminines – ce qui pose la question des représentations tenaces dans un domaine qui n’exige pourtant pas de spécificités liées au genre.
1- Actes du colloque : « Recherches et formations en littérature de jeunesse : état des lieux et perspective (2012) » 22 juin 2011 – BnF /CNJL, en partenariat avec le Centre de recherches textes et francophonies de l’université de Cergy-Pontoise. Novembre 2012. 168 p. Prix : 20 €
Jeanne Claire Fumet