Par Gardy BERTILI
FONCTIONS ET MISSIONS DU CPE : EMPIRIQUES ET/OU TECHNIQUES ?
La fonction et les missions des CPE ont évolué, c’es évident. Elles s’amplifient et se complexifient d’années en années. Le CPE ne peut plus ni être un rêveur, un romantique ou un bourreau. Il lui faut penser sa pratique, formaliser ses missions, comprendre ce qu’il fait, pourquoi, quand, pour qui et avec qui il fait. Il lui faut inscrire son travail dans une dynamique de compétences à consolider et à évaluer au prisme du regard, des critiques et de l’évaluation des autres acteurs de la communauté éducative et de l’institution.
Pour que le travail du CPE se révèle efficient, non seulement il doit être mené par toute l’équipe pédagogique et utilisant transversalement les compétences de l’ensemble des équipes qui gravitent autour de l’élève et de la classe mais il doit notamment se fonder sur des indicateurs précis. D’où la nécessité pour le CPE de produire pour le suivi de ses classes et pour éclairer les autres acteurs un tableau de bord précis. En sachant néanmoins que ce type d’analyse a des limites (appel non fait, exclusions de cours déguisés, décrochage provoqué). Ce tableau de bord contiendra les indicateurs suivants : nombre d’absences, de retards, les cours et les jours notoirement manqués, les courriers envoyés et les réponses reçues, les exclusions de cours des élèves et par enseignant, les retenues, les convocations des parents, les entretiens réellement conduits, les rapports d’incidents et les suites réservées, les avertissements, les commissions vie scolaires, le bilan des conseils de classe, les exclusions temporaires, les exclusions-inclusions, les conseils de discipline …
Certains de ces indicateurs peuvent être fournis régulièrement au professeur principal qui peut ainsi avoir une vision globale de ses élèves et entreprendre le suivi adéquat. Pourquoi ne pas lui communiquer tous les 15 jours au 1er trimestre et mensuellement ensuite les absences, les retards, les exclusions de cours, le nombre de parents à voir et vus. Pourquoi ne pas établir un protocole précis de suivi avec des critères d’évaluation intermédiaire.
LES INDICATEURS DU TABLEAU DE BORD SU CPE
Le suivi transversal s’organise bien évidemment autour d’outils pensés et utilisés en commun : fiche d’entretien, rapport d’incident, fiche de liaison entre services et entre équipes, types d’entretiens (directifs, semi-directifs, intrusif, psychologique, informatif..). Il faut définir les principes, la répartition des tâches, les modalités de la collaboration et de la coopération pour que les uns ne piétinent les autres. Bien souvent, les blocages proviennent de ce sentiment de dévalorisation, de l’absence de reconnaissance, du manque de définition des limites professionnelles de chacun. Il peut être difficile de trouver sa juste place, une posture efficace notamment lorsque des habitudes sont rigidifiées. Chacun doit accepter de faire un pas vers l’autre, comprendre les contraintes, la complexité, bref la problématique professionnelle de l’autre.
LES LIMITES DU TABEAU DE BORD VIE SCOLAIRE
Le tableau de bord du CPE est par essence soumis aux contraintes et aux limites. Ces contraintes et ces limites s’inscrivent dans l’essence du travail en équipe et de la cohérence et pertinence du règlement intérieur et de sa stricte application par les autres personnels, notamment par les enseignants.
Les indicateurs concernant l’absentéisme, les exclusions de cours, les retards, par exemple, ne peuvent être significativement interprétées que si l’appel est régulièrement effectué, si les exclusions de cours ne sont pas déguisées en retards ou vice-versa. Comment en effet rendre fiable l’indicateur « exclusion de cours » lorsque certains enseignants mettent les élèves hors de salles de classe en les plaçant dans un couloir pendant une, deux voire trois heures d’affilée sans pour autant les exclure formellement avec prise en charge par la vie scolaire. Comment comptabiliser les absences lorsque les feuilles d’appel ne sont pas rendues, lorsque certains enseignants s’arrangent avec les élèves pour être absents sans se signaler à al direction, lorsque certains élèves ne sont pas portés volontairement absents pour que rien ne soit entrepris pour leur retour. Comment répertorier les incivilités ou les manquements lorsque certains collègues s’accommodent volontiers des interdictions du règlement intérieur pour avoir la paix scolaire : port de la casquette, absence d’affaires pour travailler, utilisation du portable, sommeil en classe, cris et refus de travailler passés sous silence.
UN TABLEAU DE BORD VIE SCOLAIRE EXIGE UNE DEFINITION COMMUNE DES EXIGENCES
Il apparaît donc indispensable qu’un tableau de bord vie scolaire ne peut se révéler efficace que si toutes les équipes pédagogiques sont partie prenante des exigences répertoriées dans un projet de vie scolaire concerté. Dans cette cohésion et cette concertation pour convenir des règles du jeu tant au niveau de la méthodologie, du diagnostic, des perspectives, de la prospective et de l’évaluation, le tableau de bord risque de demeurer une coquille vide ou biaisée.
Ce projet de vie scolaire constitue donc la pierre angulaire de cette communauté de vue, de réactions et de cheminement. Si chacun œuvre dans son coin, et même si les intentions et els projets sont lumineux, les avancées resteront partielles, partiales et timides.
Or les CPE ne peuvent pas concevoir la gestion et le suivi des élèves sans ces outils rigoureux, fondés, élaborés communément. Leur connaissance précise et globale des élèves est soumise à ce travail collaboratif qui doit dépasser les clivages professionnels catégoriels. Ce n’est pas en s’interdisant de participer à ce travail commun que les CPE affirmeront leur identité qu’ils jalousent tant. Bien au contraire, ils l’affirmeront s’ils parviennent à apporter une véritable valeur ajoutée à l’acte pédagogique ainsi qu’à l’acte éducatif des différents acteurs de la communauté éducative.
Les CPE ne peuvent se targuer d’être conseiller techniques du chef d’établissement, chef d’équipe, pilote de la vie scolaire ou encore spécialiste de l’éducation sans être en capacité de maitriser les responsabilités juridiques, sans mesurer la nécessité de maîtriser les outils et les indicateurs, sans mener une réflexion qui soit transversale sans pour autant être oecuméniques.
IDENTITE QUAND TU ME TIENS…
Sans cette maîtrise, les CPE sont voués à gérer l’urgence, l’événementiel et à se bloquer ou se braquer sur de prétendues positions rigidement et faussement ou syndicales. Ils sont condamnés à sombrer dans le paradoxe : éduquer les élèves à la capacité de débattre, de dialoguer, de faire des compromis alors qu’eux ils sont sans cesse sur la défensive, arcqueboutés sur leurs pré-carrés, sur leurs certitudes, agissant comme des enfants qui sont à la recherche d’une confiance soi-disant mise à mal ou perdue. Ils sont condamnés à s’attaquer aux autres, enseignants, direction, hiérarchies, étant incapables eux-mêmes de prendre de la distance sur leurs propres pratiques, d’analyser leurs actions, leurs activités, leur capacité à peser. Ils sont condamnés à entretenir la guerre des catégories pour trouver justification à leurs propres insuffisances, à leur identité.
Cette identité derrière laquelle les CPE courent depuis près de quarante ans est en fait un besoin légitime de reconnaissance et de valorisation de leur travail et de leur posture si particuliers. Faut-il cultiver en permanence et à outrance cette particularité ? Ou faut-il chercher à banaliser ou à inscrire l’action du CPE dans le contexte global des acteurs de la communauté éducative et pédagogique ? Les CPE peuvent être encore des acteurs spécifiques de la relation pédagogique et éducative, des spécialistes d’une éducation qui s’effiloche ou du moins qui change de caractéristiques, des protecteurs d’une école axée sur l’élève lorsque celle-ci se trouve actuellement en pleines mutations. Sans se diluer, sans s’aliéner, sans nier les principes et les valeurs qui sous-tendent la fonction et les missions d’éducation, d’animation, de citoyenneté, les CPE doivent produire leur révolution copernicienne pour ne pas se retrouver en dehors de l’attelage d’une école moderne, mondialisée. Ils doivent rester le gardien du temple et non celui d’un temps révolu, ils doivent continuer à se soucier d’une école juste, citoyenne, républicaine, ouverte sans se tenir à l’écart des réformes et de la révolution des mentalités, des nouvelles exigences.
Les CPE comme tous les personnels sont soumis à cette école qui évalue à partir des compétences, qui enseigne différemment, qui propose des clés de lecture du monde qu’au lieu de distiller un savoir absolu, qui ne s’interdit aucun champ de connaissances, qui réfléchit à l’insertion, qui ne méconnaît pas la rentabilité au regard des moyens mis par la Nation. Que la vigilance des CPE qui s’inscrit dans leur histoire, dans l’essence même de leurs combats passés cela peut s’entendre et se comprendre. Et même si ces combats pour une école qui rend libre et non servile, pour une école qui l’égalité et l’équité pour tous, pour une école qui ne soit pas phagocytée uniquement par le pédagogisme, pour une école qui croit en l’homme (dans son humanité et dan sa perfectibilité), ils ne doivent pas occulter le besoin pour les CPE de s’ouvrir aux autres, de mûrir, de cesser de se positionner contre les autres corps mais de construire. Ils doivent cesser de penser que l’on leur veut du mal, qu’on ne cesse de les critiquer, que l’on souhaite leur disparition, que toute approche professionnelle différente est casus belli.
Les CPE doivent pratiquer une technicité de plus en plus affirmée et reconnue. Elle passe par un travail qui n’est plus empirique mais fondé sur des indicateurs, des analyses, des tableaux de bord, des analyses de pratiques, et aussi par des évaluations permanentes.
Le travail du CPE est-il empirique ou technique ? Evidemment, cette question est faussée, le CPE passe de l’un à l’autre pour mener à bien ses missions. Son expertise technique et professionnelle l’aide à combattre empiriquement la violence, à détecter empiriquement les difficultés, à créer du lien là où tout devrait être diffus, inconciliable, à impulser avec flair avant de mettre de la visibilité et de la cohérence. Mais l’empirique a ses limites, la technicité est nécessaire voire indispensable, grâce aux outils, à une réflexion approfondie et éclairée, à une méthodologie de travail, à pensée structurée, à une expérience dont on a su tirer les leçons. Les CPE doivent acquérir et conquérir cette technicité pour être reconnus car tous les autres corps ont et cultivent une technicité : les enseignants avec leurs disciplines et leur pédagogie, les documentalistes avec la recherche et pédagogie documentaires, les infirmières et médecins avec leurs connaissances médicales, les assistantes sociales avec leur connaissance des règles, du droit et des approches psychologiques … L’identité des CPE passe donc par la précision de leur connaissance, de leurs actions et activités tout en conservant leur spécificité.