Comment remotiver des élèves sujets à des troubles d’apprentissage ? Comment rendre des enfants scolarisés en Institut Thérapeutique, Educatif et Pédagogique (ITEP) producteurs de ressources ? Hugo Le Naviel, enseignant en histoire-géographie dans l’académie de Rennes a exercé à l’ITEP de Toul Ar C’hoat à Châteaulin (29). Face à des élèves épileptiques, l’enseignant développe des stratégies d’apprentissage en lien avec le numérique : production de pictogrammes, usages de Twitter et Thinglink. Entretien avec Hugo Le Naviel.
Quel est le profil des élèves en ITEP ? Qu’est-ce qu’un trouble de l’apprentissage ?
L’année dernière j’ai enseigné à l’’Institut Thérapeutique Éducatif et Pédagogique de Toul Ar C’hoat, à Châteaulin dans le Finistère, avec des enfants épileptiques. Ces enfants ne pouvaient suivre une scolarité en inclusion, soit parce que leur maladie nécessitait trop de soins et ils avaient besoin d’un environnement médicalisé, soit parce que les troubles de l’apprentissage liés à la maladie étaient trop envahissants. En effet, l’épilepsie est une maladie qui se traduit par l’apparition de crises, qui sont des « décharges électriques » dans le cerveau. En fonction de l’origine de la maladie et des régions du cerveau concernées par ces crises, les conséquences sont très variées, de même que la manière dont se manifestent les crises.
L’épilepsie est donc une maladie causée par un trouble neurologique. Or ce trouble peut entraîner des difficultés de compréhension ou de mémorisation des informations, ce qui perturbe évidemment les apprentissages. On entre alors dans le cadre de la définition des troubles de l’apprentissage donnée par l’Organisation Mondiale de la Santé « un trouble d’apprentissage est un terme médical qui désigne un trouble permanent d’origine neurologique. Un trouble d’apprentissage correspond à une atteinte affectant une ou plusieurs fonctions neuropsychologiques, ce qui perturbe l’acquisition, la compréhension, l’utilisation et le traitement de l’information verbale ou non verbale ».
C’est donc une définition assez large, qui recouvre une grande variété de situation. D’ailleurs les troubles des élèves de Toul Ar C’hoat sont très variés, allant des difficultés de mémorisation, à des problèmes de la maîtrise du langage, du repérage dans le temps ou dans l’espace… Chaque épilepsie est unique, il est donc normal que chaque élève malade ait des difficultés qui lui sont propres.
Il y a cependant un aspect présent chez tous les élèves, bien que d’intensité différente. Tous les élèves de Toul Ar C’hoat ont un rapport compliqué avec l’école qui s’explique par leurs difficultés. Ce phénomène est aggravé pour certains élèves qui ont une épilepsie caractérisée par des crises très discrètes, et donc difficiles à diagnostiquer, qui n’ont donc pu bénéficier d’aides adaptées que tardivement.
Pour remotiver les élèves et les aider à surmonter leurs difficultés, je suis parti sur un des axes de la classe inversée, à savoir l’élève producteur. L’idée que les élèves utilisent les connaissances factuelles pour produire quelque chose, ce qui permet de travailler les savoirs-faire. C’est pour cela que le travail par compétences et leur évaluation non chiffrée a été mis en place.
En quoi vos élèves sont-ils des producteurs ? Sur quels domaines ?
Les élèves ont produit beaucoup de choses. Cela part d’un premier constat, l’histoire, tout comme la géographie, ça s’écrit1(1). L’explication et la compréhension des phénomènes historiques et géographiques se font à travers l’écriture, qui permet de donner une cohérence à un ensemble de faits tout en mettant en avant les relations de causalité et les motivations des acteurs. Il est donc essentiel de faire écrire les élèves. Mais c’est un exercice difficile, qui mobilise plusieurs compétences et dans lequel les troubles des apprentissages peuvent intervenir à différents niveaux, que se soit lors du prélèvement de l’information, lors de sa compréhension, ou bien de sa restitution.
C’est pourquoi j’ai voulu dépasser la production de textes dans le cahier pour aller vers des productions publiables sur le net. Le numérique offre plein de possibilités quant à la forme, ce qui permet de varier les activités et donne un côté sympa, qui est loin d’être suffisant en soi mais qui permet de renforcer la motivation des élèves. Il y a aussi le fait qu’en publiant sur le net, la production ne se fait plus seulement dans le cadre de la relation professeur-élève. On publie pour d’autres, pour être lu ou vu par le professeur, les parents, les éducateurs mais aussi d’autres élèves.
C’est pourquoi les élèves ont produit leurs propres capsules. Après avoir rédigé un texte, ils devaient réaliser un diaporama avec des images libres de droit pour illustrer leur propos. Ensuite, ils enregistraient leur voix puis on réalisait un montage. Les vidéos étaient ensuite publiées sur Youtube et intégrées à une frise chronologique interactive sur le site. Ce type de production n’est pas très long à réaliser et permet de travailler la notion de propriété intellectuelle. l’autre avantage est qu’en alliant texte, voix et illustrations cela convient aux différents types de mémoires.
Dans le même esprit, pour travailler sur l’organisation d’un espace, les élèves ont produit des images interactives avec Thinglink. Après avoir eu accès aux connaissances, ils ont par exemple dû situer sur le dessin de la seigneurie de Wismes les différents lieux et leurs fonctions. Cela permet de faire écrire les descriptions par les élèves et de les obliger à étudier la seigneurie en détail.
En quoi consistent vos défis Twitter ?
Nous sommes allés plus loin avec les 4èmes puisque nous faisions des défis twitter avec quatre autres classes, celles d’ Aurélie Trinkwell, Marie-Astrid Deweerdt, Olivier Quinet et Guillaume Veyret. En effet, une classe devait réaliser un exercice sur un thème donné et l’envoyer à une autre classe, qui y répondait. Quatre classes fonctionnaient ainsi et la cinquième avait le rôle du juge. Elle devait attribuer des points sur la qualité de l’exercice et celle de la réponse. A chaque manche les rôles changeaient. Les défis twitter ont rendus les élèves très exigeants envers les autres élèves mais aussi envers eux-mêmes. Le fait d’être lus par d’autres élèves et la volonté de gagner les défis ont représenté d’importants leviers de motivation. De même, les élèves ont souvent cherché à aller plus loin que le cours, pour essayer de piéger les autres classes. Cet investissement supplémentaire et la négociation des tweets au sein de la classe ont aidé les élèves à surmonter leurs difficultés.
Afin de palier aux difficultés de mémorisation, nous avons réalisé un quiz. Les élèves ont dû reprendre leurs différents chapitres et poser des questions pertinentes, ce qui permet de travailler la compréhension du cours. Ils ont ensuite dû réaliser des cartes de jeu avec la question et la réponse. Nous avons ensuite joué plusieurs fois en classe. La répétition des questions et la volonté de gagner ont aussi été des facteurs de réussite.
On le voit, le fait de placer les élèves en situation de producteurs renforce la motivation et le souci de bien faire, donc les exigences. Mais il faut les aider à surmonter leurs difficultés, et la production d’écrits est une tâche compliquée, qui nécessite de l’aide.
Quels usages faites-vous des pictogrammes ? Quelles « procédures automatisées » mettez-vous en place pour pallier aux difficultés des enfants ?
Pour aider les élèves à surmonter leurs difficultés et les aider à produire des textes, j’ai mis en place un système de pictogrammes, sur les conseils de la neuropsychologue de l’Itep, Sylvie Jayet. Les élèves ont parfois des difficultés de lecture et de compréhension des consignes, mais aussi de prélèvement des informations dans les documents ainsi que pour réinvestir ces informations dans leurs récits. C’est pourquoi j’ai voulu les aider, en remplaçant les classiques formulaires par des tableaux avec des pictogrammes. En partant du principe qu’un récit historique doit répondre aux questions « qui, quoi, quand, où, comment, pourquoi, quelles conséquences » j’ai symbolisé sous forme de pictogrammes chacune de ces questions. Plutôt que d’avoir une série de questions longues, les élèves avaient un tableau à remplir avec les pictogrammes et les questions écrites à côté. Une fois ce tableau rempli lors de la phase de prélèvement de l’information, je leur donnais une trame de récit, leur indiquant à quel moment ils devaient préciser tel ou tel élément. Ils pouvaient ainsi rédiger des textes relativement longs.
Ce système présente l’avantage de reposer à la fois sur l’image et l’écrit, facilitant sa compréhension par chaque élève, peu importe ses troubles de l’apprentissage. De plus, il réduit considérablement la longueur des questions, ce qui facilite leur compréhension par les élèves. J’ai ensuite essayé d’utiliser ce système de pictogrammes pour aider à la conceptualisation.
Par exemple, au collège on étudie l’apparition des trois grandes religions monothéistes. Au delà des connaissances factuelles concernant chacune des religions, l’objectif est de construire le concept de religion. J’ai donc essayé de construire une fiche « étude d’une religion monothéiste» en listant les caractéristiques du concept et en les représentant sous forme de pictogrammes : lieu de culte, rites, cérémonies, prophète, livre sacré, ministre. L’objectif est d’utiliser cette fiche à chaque étude d’une religion, pour aider à construire le concept de religion monothéiste. Ce système aide donc à conceptualiser puisqu’il met en avant les points communs à des situation variées et il sert aussi de grille d’analyse, une fois que l’élève maîtrise les caractéristiques du concept. Plus l’utilisation de ce système est récurrente, plus elle est automatique, plus elle est efficace.
Avez quel(s) outil(s) construisez-vous vos pictogrammes ? Pour quels avantages ?
J’ai réalisé les pictogrammes avec le logiciel iconion, que l’on peut télécharger gratuitement. Il propose plusieurs bases de pictogrammes gratuites, que l’on peut ensuite modifier pour harmoniser les styles. Il suffit ensuite de télécharger les pictogrammes à la taille voulue. C’est un logiciel très pratique. Cependant la difficulté est de représenter sous forme de pictogramme compréhensible par tous des idées abstraites comme « démocratie ».
Comment évaluez-vous vos élèves ? Avec quelle méthodologie ?
Nous travaillons par compétences. Pour chaque compétence j’ai expliqué ce que cela veut dire, j’ai défini des niveaux de maîtrise qui correspondent aux quatre niveaux de validation du logiciel sacoche que nous utilisions. Les élèves avaient un livret de compétences qui explicitait toutes les compétences travaillées au collège, et qui donnait des exemples d’activités dans lesquelles elles sont travaillées. Pour chaque activité, je précisais quelles compétences étaient travaillées. De cette manière les élèves savaient toujours quels étaient les attendus et comment y répondre. Le livret de compétences me servait aussi à expliquer les résultats des évaluations, qu’elles soient sommatives ou formatives. Le seul inconvénient est que c’est un système relativement rigide, il est donc indispensable d’avoir bien pensé le livret. J’ai parfois eu du mal à l’utiliser avec certains élèves qui présentaient des troubles très spécifiques que je n’avais pas envisagés.
Que reste-t-il du contenu abordé par vos élèves ? En quoi vos évaluations sommatives étaient-elles décevantes ?
Je reprenais chaque production numérique des élèves sous forme de trace écrite qu’il était possible de coller dans le cahier, en indiquant le lien ou le Qr code renvoyant au site. De cette manière, les élèves n’étaient pas dépendants d’un accès à internet pour réviser leurs cours.
Sur le court terme, ce système de travail par compétences au service de productions réalisées par les élèves m’a semblé efficace. Les élèves étaient plus investis, fiers d’eux. C’est déjà un aspect important. De même, les évaluations de fin de chapitre étaient correctes dans l’ensemble, sans pour autant avoir de résultats exceptionnels. Par contre j’ai fait des évaluations sommatives en fin d’année, qui étaient particulièrement décevantes. Alors que je pensais qu’il serait resté plus de choses aux élèves, force a été de constater que non. Cela a été une déception, mais ça m’a aussi posé la question des indicateurs de réussite scolaire. En effet, est ce que demander à un élève qui est orienté en Institut Médico-Educatif de résumer un chapitre vu en début d’année ou de restituer 5 dates importantes vues dans l’année est pertinent ? Comment mesurer la réussite scolaire dans ce contexte particulier ? On peut aussi se demander quel aurait été le taux de réussite à une évaluation portant sur l’ensemble de l’année en milieu ordinaire.
Quel regard portez-vous sur l’organisation de l’enseignement en ITEP ?
La grande difficulté pour moi est que théoriquement, les élèves sont censés faire le programme classique, malgré leurs troubles. C’est un défi de taille, qu’il n’est pas toujours possible de relever.
Il y a aussi l’articulation des trois pôles du centre, à savoir le pôle médical, le pôle éducatif et le pôle enseignement, qui possèdent chacun leur culture professionnel, leurs pratiques, leurs diagnostiques et leurs manières de travailler. Si le dialogue est essentiel, il n’est pas toujours facile, d’autant plus qu’il n’y a pas de hiérarchie commune, chaque pôle étant plus ou moins indépendant.
Cela amène à réfléchir sur la notion de réussite. Comment considérer un enfant qui est venu au centre, qui a réussi à trouver un traitement adapté et à construire un projet d’orientation cohérent mais qui a été en échec scolaire ? Ou inversement, un élève en réussite scolaire, mais dont la maladie reste très envahissante et qui n’a pas de projet ? Toutes ces questions ne sont pas forcément habituelles dans notre métier et dans notre culture professionnelle, et j’ai parfois eu du mal à me positionner, j’avais l’impression de perdre de vue les objectifs scolaires. Mais ce qui compte c’est que 80 % des enfants passés par le centre en ressortent au bout de deux ans avec un projet d’orientation cohérent.
Entretien par Julien Cabioch
Dans le Café
Comment rendre les élèves producteurs ?
Comment intégrer le BYOD en classe inversée ?
Note :
1 Didier Cariou, Ecrire l’histoire scolaire, Presse Universitaire de Rennes, 2012