Qu’est ce qui permet de faire réussir des élèves qui jusque là ne réussissaient pas ? Partant de l’analyse des dispositifs utilisés dans des structure expérimentales, comme les internats d’excellence ou des micro lycées, une étude diligentée par l’Ifé, le Commissariat à l’égalité des territoires et l’Acsé, élargit la question à celle du soutien aux élèves. L’ouvrage, où on retrouve des auteurs comme D Glasman, P Rayou, ou E Bautier par exemple, démonte avec lucidité les résultats, succès comme échecs, de ces structures. Il en découle des « invariants » du soutien scolaire et surtout une réflexion profonde sur l’aide. Une leçon qui s’adrese à tous els établissements et qui invite à un nouvel équilibre entre ce qui relève de la bienveillance, du culturel et du cognitif.
» Comment se fait-il que des jeunes, que l’on pouvait croire promis, dans le meilleur des cas, à une filière courte, à-l’apprentissage-d’un-métier-puisque-l’école-ne-les-intéresse-pas (pour reprendre un leitmotiv volontiers repris dans l’institution et les salles de professeurs), retrouvent ou trouvent enfin de l’intérêt à apprendre, se révèlent à eux-mêmes dans leurs désirs et leurs projets, découvrent que l’école pour cela a des choses à leur apporter, et qu’une part d’entre eux parvient à en saisir suffisamment les codes pour affronter avec succès les épreuves d’un examen ? » La question de départ de cette étude intéresse finalement tous les établissements scolaires.
Mais l’étude porte sur un petit nombre d’établissements expérimentaux : les internats d’excellence lancés sous N Sarkozy et quelques collèges et lycées particulier comme un micro lycée francilien ou le collège lycée Freinet. L’idée de départ est de chercher ce qui fait que ces établissements remettent sur les rails de la réussite scolaire des jeunes en échec voire en abandon de l’école. » Notre ambition est de faire émerger, de tous ces terrains divers dans lesquels des enseignants se mobilisent, dans lesquels des équipes s’engagent, dans lesquels des moyens sont fournis ou inventés, des processus qui permettent de comprendre la réussite des élèves. Pas tant des « facteurs » de réussite que leur combinaison féconde dans des configurations locales très différentes, combinaison dont on espère pouvoir tirer des enseignements plus généraux ».
Des pédagogies plus classiques qu’attendu
Mais tout de suite, les auteurs nuancent leur recherche. D’abord en montrant qu’on ne saurait réduire la réussite scolaire au succès aux examens. Par exemple des décrocheurs endurcis peuvent retrouver confiance en micro lycée et quitter la structure avant l’examen. Autre nuance : il apparait que la réussite de ces dispositifs n’est aps sans lien avec la catégorie sociale de l’élève. Ainsi au micro-lycée, » les élèves les plus susceptibles de réussir un bac général sont plutôt ceux que l’on pourrait désigner sous le terme de « décrocheurs paradoxaux », c’est-à-dire de jeunes qui, bien que disposant d’un « background » social et culturel tout à fait en phase avec les attentes explicites et implicites de l’école, ont un temps rompu avec l’institution scolaire avant d’y revenir via le ML ». Au lycée Freinet, les taux de réussite sont en deça des attendus académiques.
D’où la nécessité d’aller voir de plus près les dispositifs utilisés dans ces structures. » Contrairement à l’idée que l’on aurait tendance à s’en faire au vu de leur caractère expérimental ou un peu hors-norme, ces établissements ne se caractérisent pas – à première vue – par une forte innovation sur le plan des formes d’enseignement proposées aux élèves. Dans l’ensemble, la structuration didactique des cours que nous avons pu observer est « classique » et s’inscrit dans la logique de transmission du « processus enseigner » dans le registre du « cours dialogué » », dit le rapport. Mais il y a davantage de travail interdisciplinaire et surtout bien plus d’attention à l’élève.
Dans les soutiens aux élèves, ces établissements utilisent des outils classiques : des aides au travail, par exemple le tutorat, de l’ouverture culturelle, un accompagnement personnalisé, le tout assaisonné d’un bon niveau d’exigence. Il n’y a pas « d’innovation radicale » sur le plan des formes pédagogiques mais il y a par contre un souci poussé de la réparation et du climat scolaire.
Lutter contre la pensée magique
On entre ainsi dans la partie la plus interessante de l’étude qui lui donne sa valeur universelle. Les auteurs entreprennent de démonter les dispositifs utilisés et même les représentations des enseignants, qui s’avèrent somme toute assez classiques. » Les équipes que nous avons rencontrées partagent souvent une conception de la réussite des élèves et de l’aide à leur apporter basée sur quelques principes. Tout d’abord, une double logique semble guider leur action, celle selon laquelle « si l’élève travaille plus, il va réussir mieux » et celle selon laquelle « pour que l’élève travaille plus et mieux il doit être réconcilié, heureux en confiance avec l’activité scolaire ». » C’est l’idée que » Si on offre du soutien, les élèves vont progresser et c’est ce que l’on cherche « .
Mais ce qu’observent les auteurs c’est que » les élèves auxquels les dispositifs sont les mieux adaptés sont ceux qui ont le moins besoin d’aide, sont les plus autonomes et les plus au clair sur ce qu’ils dominent et ce qu’ils ne dominent pas ». Car les auteurs y voient une forme de pensée magique : » cette conception pourrait bien reposer sur l’idée d’un « effet magique du soutien », où les savoirs et l’entrée dans ces derniers, ainsi que les liens et les tissages entre les différents registres vont de soi… À l’épreuve des faits, la réalité n’est pas si simple et les soutiens offerts sont tour à tour détournés, délaissés, mobilisés et dans ces différentes configurations, on peut se demander si est soutenu ce qu’on pense avoir soutenu ou à l’inverse tout autre chose ». On retrouve dans cette analyse l’écho des travaux sur les malentendus et la nécessité d’expliciter les enseignements.
Pas de « bonnes pratiques »
Quelle leçons en tirent les auteurs ? D’abord l’idée que le soutien passe par trois dimensions : une dimension cognitive, une dimension culturelle et enfin quelque chose qui relève de l’identitaire et de l’épanouissement. » Nos analyses présentes et précédentes ont mis au jour que les trois registres identifiés sont simultanément en jeu dans les apprentissages, ce qui nous conduit à refuser des approches unilatérales dont chacune est absolument nécessaire, mais également non suffisante. Comme dans le cas de la souffrance au travail, le choix n’est pas entre la réponse standardisée ou le « coussin compassionnel » , mais dans des façons d’assurer la consistance de chacun des registres ainsi que leur collaboration efficace. Nous voyons ainsi que ni les aides méthodologiques « hors-sol », ni la compassion face aux identités blessées par la compétition scolaire, ni les apports d’une culture supposée générale ne permettent des progressions qui, spontanément, rendent cognitivement habile, autonome dans ses projets et émancipé par les savoirs. Les transferts ne se produisent pas spontanément au sein des registres : on n’acquiert des méthodes, une culture générale, une autonomie qu’en surmontant des épreuves toujours singulières et en développant à cette occasion des dispositions qui se généralisent et se stabilisent… Les soutiens les plus efficaces sont ceux qui ne laissent de côté aucune de ces dimensions « .
» L’action des établissements et de leurs acteurs lorsqu’elle vise à motiver ou remotiver leurs élèves ne nous a pas paru suffisante pour leur assurer de réelles progressions dans les apprentissages », poursuivent les auteurs. « Le sentiment d’être motivé peut en effet être assez illusoire et confiner à une pensée magique incapable de faire soutenir un effort dans la durée. Une approche en termes de ressources à mobiliser semble plus opportune au sens où elle insiste sur l’action à accomplir et sur les réalités extérieures aux personnes et avec lesquelles il faut composer. Les dispositifs de soutien la rendent possible, précisément parce qu’ils mettent explicitement à disposition de quoi construire ses apprentissages. Mais une deuxième illusion guette, celle selon laquelle le seul fait de les offrir suffirait. Même destinés à des jeunes, ils sont souvent en effet conçus dans des logiques institutionnelles qui ne prennent pas spontanément en compte les processus d’apprentissage qu’ils veulent favoriser. Nulle part leur présence n’est à elle seule garante d’un soutien aux élèves. »
Pour les auteurs cela écarte toute idée de « bonne pratique » transposable dans un autre établissement. » Seuls des collectifs, eux-mêmes mobilisés, sont susceptibles de proposer des types de soutiens adaptés à des visées de réussite, à des profils d’élèves, à des contextes d’établissements, à en expliciter pour les élèves les caractéristiques et les avantages, à ne pas perdre de vue, à travers toutes les dimensions qu’ils impliquent, les bénéfices scolaires escomptés, même si des bénéfices éducatifs plus larges peuvent aussi en être attendus. »
« Notre intention n’est surtout pas de culpabiliser ou décourager des équipes qui se trouveraient concernées par notre double mise en question d’une bienveillance qui laisse au second plan les savoirs et leurs enjeux ou d’une exigence académique oublieuse des élèves réels », écrivent finalement les auteurs. Ils concluent en ouvrant des perspectives. « Bienveillance et exigence nous semblent en effet les composantes nécessaires de l’éducation… Mais nous proposons un moyen terme pour qu’elles ne mènent pas une existence séparée en préconisant une « considération » qui, entre éthique de l’éducabilité et respect des normes de l’apprendre, prenne en compte toutes les facettes des apprentissages. »
François Jarraud