En recherchant à développer chez l’élève l’autonomie et la responsabilité, le système éducatif n’est -il pas en train de piéger les enfants des familles populaires ? C’est la thèse que défend Pierre Périer dans le dernier numéro de Recherches en éducation , centré sur cette idée d’autonomie.
« Pensée comme une valeur éducative, l’autonomie requise en classe et dans les apprentissages peut donc constituer un piège se refermant à la fois sur les élèves et sur les professeurs. Sur les élèves qui ne parviennent pas à la construire et à l’exercer à des fins d’apprentissage et de performance scolaire. À rebours d’une émancipation par l’autonomie, celle-ci secrète en son envers le risque d’aliénation de celui qui, mal classé et mal jugé, subit par le biais d’un « manque d’autonomie » une forme de dépossession de soi. Sur les professeurs qui, moins assurés de leur autorité et légitimité d’institution, cherchent à associer sans y parvenir des élèves qui ne possèdent pas les dispositions ni n’occupent les positions favorables à la contractualisation et aux règles implicites de l’autonomie », écrit Pierre Périer.
Basée sur une trentaine de témoignages de nouveaux enseignants en collège zep, sa contribution interroge les nouvelles pratiques pédagogiques. Au lieu de transmettre le savoir, on demande à l’élève de le construire. Cette évolution pédagogique provient, selon P Périer, du développement du modèle « puérocentriste » dans la société. » Les modes de socialisation et les valeurs dominantes encouragent désormais la formation de dispositions et de conduites qui placent l’enfant dans un rôle à la fois autonome et actif, voire dans un statut de partenaire de ses parents placés dans une fonction d’accompagnement ». Du coup les formes traditionnelles d’autorité à l’école sont ébranlées et un nouveau modèle pédagogique s’installe.
« En présupposant le développement personnel et intellectuel d’un élève « mis au centre » », poursuit Pierre Périer, » l’école semble ignorer les inégalités de dispositions et de ressources entre ces derniers afin d’occuper et de tenir une telle place. En effet, les modes de socialisation et valeurs dans la famille peuvent entrer en dissonance avec les réquisits des apprentissages, exigeant des enfants-élèves d’être autonomes ou de s’inscrire dans un type de rapport à l’adulte en porte à faux avec ce qu’ils vivent hors l’école. Ainsi, les pratiques éducatives dans les familles populaires s’appuient plus fortement sur des positions d’autorité et des obligations de conformité, fixant des limites et cadres de conduite à respecter selon des règles strictes » Ainsi pour le spécialiste des sciences de l’éducation, la recherche de l’autonomie chez l’élève piège les enfants des familles populaires et assoit une nouvelle domination sociale.