La triche est un comportement qui n’a pas attendu le numérique pour faire parler dans les salles des professeurs. Mais depuis que le numérique s’impose au quotidien elle est redevenue un objet de préoccupation. Parler de triche demande d’abord de préciser les contours de cette attitude qui recouvre des réalités bien différentes les unes des autres. La triche est avant tout un contournement des règles établies en vue d’obtenir un résultat équivalent, voire supérieur à celui que l’on obtiendrait en les respectant. L’arrivée du numérique, a bien sûr, actualisé les procédés et élargi la palette des possibles. Il faut dire que, pour les jeunes amateurs de technologies, ils ont en face d’eux des adultes qui ont bien du mal à entrer dans ce monde qui leur est bien plus familier. En classe, à la maison, sur le chemin de l’école, grâce à la bonne volonté de tous ceux qui mettent en ligne des contenus, il y a désormais matière à contourner des règles qui ont été édictées au temps où les « antisèches » étaient au fond de la trousse ou dans quelque bout de papier chiffonné au fond de la poche.
Certes en 1980 un film comme « les sous-doués passent le bac » avait donné le ton d’une possible invasion des technologies pour tricher (mais aussi pour apprendre). Nombre de légendes courent sur ces tricheries de toutes sortes. Mais parfois parmi ces tricheries certaines apparaissent comme particulièrement problématiques, tel le copier coller qui pour le meilleur comme pour le pire contribue grandement à un discours sur les méfaits des technologies dans le monde de l’enseignement. Connaissant l’imagination et l’habileté de certains, tricher est une activité qui semble inépuisable, mais surtout qui doit être analysée en fonction du contexte dans lequel cela s’exerce. Si l’on se pose la question de savoir pourquoi ces comportements perdurent et même, selon certains, se développent, il faut probablement aller voir davantage dans la direction de la fin que dans celle des moyens.
Pourquoi tricher ? Pour obtenir un avantage que l’on n’aurait pas en suivant simplement les règles édictées. Les formes de cet avantage sont multiples : économie de temps, d’énergie, d’argent, amélioration du quotidien, de l’estime de soi, de la reconnaissance, obtention d’un bien, d’une note, d’un résultat. La multiplicité des raisons de tricher est au diapason de la multiplicité des formes de la tricherie. Comme pour l’exemple de tricherie que constitue le dopage, une des premières questions est celle de savoir à partir de quand on estime qu’il y a ou non tricherie. Certains n’hésitant pas à remettre en cause les critères choisis, les seuils retenus.
Les figures de tricherie (dans l’enseignement) liées au numériques sont principalement celles du copier coller, sous plusieurs formes. Que je copie sur mon voisin, que je recopie une source externe en la faisant passer pour un travail personnel, le copier coller est la tricherie qui fait le plus parler d’elle. Parmi les autres formes, on trouve l’entraide via les réseaux, l’utilisation de logiciels facilitateurs, la substitution d’identité (à distance en particulier) ou encore le « piratage » de sites réservés comme les notes, les présences etc…. Même si l’imagination de ceux qui veulent tricher est immense, il reste que l’exercice est souvent assez classique. L’habileté numérique importante de certains, mais aussi une certaine naïveté aussi bien des jeunes que des adultes ont amené à une augmentation importante de cas, voire, pour certains une généralisation ou plutôt une systématisation.
Dans le même temps, les moyens numériques sont aussi devenus de formidables moyens de surveillance, de traçage de l’activité. Mais comme dans de nombreuses circonstances le recours aux ordinateurs (et autres terminaux numériques) est interdit, on ne peut engager ces moyens de surveillance. On imagine aisément ce que serait un examen dans lequel Internet serait autorisé et l’activité tracée (c’est à dire que, selon les choix faits, on enregistre telle ou telle action de l’usager). On aurait ainsi la possibilité d’analyser en temps réel la manière de travailler et l’on pourrait mesurer l’activité de copier coller et toute autre forme d’emprunt ou de référence. Pour l’instant, il semble que, dans un contexte d’évaluation plus traditionnel, mais avec travaux rendus sous forme informatique, le recours à un logiciel qui permet de repérer les copier coller est la forme la plus souvent mise en place (plutôt dans le supérieur qu’un lycée). Une des sociétés de logiciel anti-plagiat propose aussi aux étudiants de s’auto-évaluer en soumettant eux-mêmes leurs travaux pour vérifier qu’ils ne dépassent pas la « dose » autorisée de citations.
Le développement de ces comportements, facilité par la miniaturisation des machines ne peut qu’amener à une réflexion sur l’évaluation et l’organisation du travail scolaire en général, plus qu’à un renforcement des surveillances de toutes sortes.
– En premier lieu c’est la notion de travail à la maison qui est à retravailler. C’est souvent là que s’origine la possibilité de tricher. Aide familiale, aide numérique, plusieurs ressources sont à disposition pour rendre le travail personnel plus facile. L’usage des moyens de communication interpersonnels ajoute des possibilités nouvelles au copier coller, en vue d’une solution toute trouvée. Impossible de se contenter d’une production faite en dehors de l’école, mais nécessité de s’interroger sur le processus ayant amené à cette production. En d’autres termes on ne peut plus demander le même travail à faire dans cet univers numérisé, dont il faut prendre en compte les potentialités.
– Ensuite c’est sur les formes de l’évaluation, sommative en particulier, qu’il convient de s’interroger. La nécessité de moyens de surveillance s’accroit avec le numérique, en particulier avec les smartphones. Les témoignages se multiplient de recopie en cours de devoir sur table de sources directement tirées d’Internet (copie de corrigés d’annales etc..). Comment imaginer désormais de faire un devoir dans lequel tous les documents seraient autorisés, en incluant le lien avec Internet ? Il est probable que l’on va devoir de plus en plus réfléchir à ces nouvelles modalités d’évaluation des apprentissages si l’on veut éviter que ces comportements continuent de se développer. Mais encore faut-il concevoir qu’un devoir ne repose pas principalement sur la restitution de connaissances mémorisées puis mises en situation sous forme d’exercices.
– De manière plus générale, enfin, c’est l’organisation du travail scolaire qui est interrogée. Dans les textes officiels qui encadrent l’accompagnement personnalisé, une allusion est faite à l’usage des TIC comme moyen de modifier l’organisation habituelle du temps scolaire. Certaines expérimentations d’enseignement asynchrone à distance sur plateforme numérique ont prouvé leur efficacité et mis en difficulté les tricheurs. Mais en modifiant l’organisation globale du travail scolaire, on modifie le cadre qui pourrait leur paraître incitatif. Il serait aisé de commencer par la modification des formes de l’examen final car cela inciterait les enseignants à réfléchir en amont leur pratique pour amener les jeunes à ces certifications. Il serait plus globalement possible de réfléchir collectivement et régulièrement à l’articulation entre besoins et moyens de tricher. En faisant ce travail on verrait rapidement émerger une compréhension de la source du problème plutôt que des seuls méfaits.
On peut tenter de s’attaquer à la triche aidée par le numérique en milieu scolaire (ou universitaire). Mais si on se limite à rechercher des moyens pour lutter contre sans interroger ce qui y incite, on risque de rester longtemps à la traîne des spécialistes du contournement. Il est intéressant d’utiliser le phénomène de triche pour engager une réflexion sur ce le sens des apprentissages, de leur évaluation et des conséquences sociales de la réussite ou de l’échec… Les objets numériques sont davantage un révélateur qu’un pourvoyeur. Profitons de l’occasion pour interroger plus fondamentalement le fonctionnement du système scolaire.
Bruno Devauchelle