Laurent Rocheteau enseigne la physique-chimie au lycée Jean Hyppolite de Jonzac dans le Sud de la Charente-Maritime. En 2010, il était venu à Dax présenter son projet « Pepceh », un projet où les lycéens enseignent le temps d’une journée les sciences à des enfants dont certains sont hospitalisés. Laurent a décidé de faire une pause dans cette aventure avant tout humaine après avoir durant treize ans préparé, observé et vécu des moments d’apprentissage et de partage uniques. Aujourd’hui, c’est sans amertume et avec beaucoup de bonheur qu’il nous raconte son projet.
Les idées naissent souvent subrepticement, un éclair dans le flot des pensées. Un jour, Laurent Rocheteau passe devant l’hôpital Pellegrin de Bordeaux, songe aux enfants hospitalisés là et se dit qu’il y a forcément quelque chose à faire pour alléger leur douloureux quotidien. Progressivement l’idée germe. Il enseigne à des premières L et SMS (Sciences Médico Sociales maintenant ST2S). Pourquoi ne pas demander à des lycéens volontaires de présenter des expériences en physique chimie aux enfants scolarisés à l’hôpital ? Il prend contact avec le centre scolaire de l’hôpital de Bordeaux et là commence une véritable chasse aux idées reçues. Au contact des enseignants spécialisés, il apprend que le mieux qu’il puisse faire pour effectivement aider les enfants, est de venir faire son métier sans regard de compassion, comme dans une vraie classe. Il prend conscience aussi qu’un travail de préparation sera nécessaire pour ses élèves. Lorsqu’il se sent prêt, il démarre son projet en 2000.
Dix-neuf séances de préparation d’une heure sont proposées aux lycéens pour mettre au point les expériences qui seront présentées mais aussi pour apprendre comment intéresser les enfants, répondre à leurs questions. Une première présentation est faite aux élèves de CM2 d’une école voisine. L’objectif des séquences est de les initier à des expériences et également de les familiariser avec le lycée. Plusieurs TP font l’objet de démonstrations, les élèves circulent de l’un à l’autre. Au départ conçues comme une préparation, ces séances sont devenues un projet dans le projet, les enseignantes du CM2 exploitant à leur tour les expériences en classe. Découverte scientifique, découverte de l’enseignement secondaire, Laurent Rocheteau n’avait pas prévu ce double développement de son projet. Entre les adolescents et les écoliers, le courant passe, les mots employés, l’écho recueilli par les questions décuplent l’intérêt des uns et des autres. Ensuite, les lycéens animent des séquences auprès de leurs parents. Le stress est plus intense encore d’autant qu’ils doivent adapter leur vocabulaire et leurs présentations à un public adulte.
L’étape suivante consiste à reproduire l’expérience cette fois en milieu hospitalier, à Bordeaux tout d’abord puis à Paris à l’hôpital Robert Debré et à Necker. Par la suite Toulouse se substituera à Paris dans le projet. Bordeaux est à une heure 30 de Jonzac, le déplacement se fait dans la journée avec dans les soutes le matériel mis à disposition par le lycée. A l’occasion une rencontre avec des professionnels est organisée par le centre scolaire. Les lycéens savent qu’ils vont apprendre des expériences de physique à des enfants malades mais ils savent aussi que ces enfants souhaitent qu’on fasse abstraction de leur maladie pour être le temps de l’école des élèves avant tout. Ils ont vu des films, des reportages pour se préparer à ce qu’ils vont voir et vivre. Laurent Rocheteau leur explique aussi lors des séances de préparation « si vous n’êtes pas bien, c’est normal, si vous ne vous sentez pas bien, quittez l’atelier, allez pleurer, revenez et si vous ne revenez pas, ce n’est pas grave ». Le milieu hospitalier n’est pas un milieu ordinaire, la maladie lorsqu’elle s’attaque aux enfants est d’une injustice inouïe et puis cela peut réveiller de mauvais souvenirs même enfouis. Ils mettent au point un code pour faire face. Un lycéen qui se sent mal dira « j’ai besoin d’aller aux toilettes ».Et l’enseignant présent avec Laurent, l’accompagnera pour lui permettre d’évacuer le stress ou la tension. En douze ans, seuls trois élèves ont craqué et à chaque fois, ils ont repris la séance après une pause.
« En fait, nous explique Laurent, le seul à partir de l’hôpital la première fois en se sentant mal, c’était moi ». Les lycéens parviennent rapidement à faire abstraction du contexte car ils sont extrêmement concentrés sur ce qu’ils doivent faire, les expériences à réaliser, les questions des enfants. Lors des débriefing suite aux séances, ils soulignent souvent la tension éprouvée à enseigner, découvrant ainsi une des facettes du métier de professeur qu’ils ignoraient. Il arrive aussi que des enfants ne puissent venir dans les salles de cours du centre hospitalier et que les lycéens se déplacent dans leur chambre. Le moment est encore plus intense, le sentiment d’amener un souffle de vie ordinaire encore plus fort. Les parents présents assistent au cours, s’intéressent aux expériences et sont touchés par l’attention sérieuse et délicate des adolescents à transmettre des grains de sciences.
Lors de ces séances, Laurent Rocheteau observe les aptitudes de ses élèves à s’adapter aux situations chaque fois différentes. Il est là pour veiller au bon déroulement des démonstrations et intervient peu. Chaque fois, il s’étonne de les voir faire face aux difficultés avec humanité là où lui-même aurait eu une attitude trop prévenante. « Un jour, les ados menaient une expérience avec un bécher que les enfants devaient manipuler. A l’un deux, des doigts manquaient. Moi j’aurais évité de lui tendre le bécher. Les élèves non, ils l’ont spontanément donné à l’enfant et tout s’est bien passé ». Laurent constate le sens de la pédagogie, la confiance qui s’instaure dès le début des séances, le sérieux, l’écoute et l’implication. La qualité pédagogique est au rendez-vous. L’hôpital Purpan de Toulouse a même filmé des séances en studio pour alimenter sa chaîne éducative interne. Pour les lycéens, l’engagement n’est pas mineur. Les séances de préparation se déroulent le mardi en dehors des heures de cours, les séjours à Paris ou à Toulouse ont lieu pendant les vacances. Chaque année, le nombre de volontaires oscille autour de quatorze. Ce qu’ils vivent avec le projet est plein d’apprentissages et d’effets bénéfiques collatéraux. Lors du concours d’entrée à l’école d’infirmières, plusieurs ont mentionné l’expérience et cela a été un plus pour l’obtention du concours. Et puis, beaucoup d’entre eux ont fait leur premier voyage à Paris en allant rencontrer les enfants hospitalisés.
« Je ne suis pas votre enseignant de physique-chimie, je suis un enseignant qui vient sur un projet non lié au cours » précise t’-il lorsque le groupe se constitue. L’expérience est dans l’entre deux entre le lycée, les cours et l’extérieur. Laurent Rocheteau a songé un moment la faire vivre dans une association puis s’est ravisé : le soutien de son proviseur, le matériel mis à disposition et le gage de sérieux pour les hôpitaux qu’est le cadre scolaire l’ont emporté. Ne plus habiter uniquement le rôle d’enseignant est important pour établir des relations où l’acte d’enseigner appartient aux élèves. Tout au long du projet, Laurent n’a relevé aucun incident qui serait venu troubler son déroulement, même pendant les séjours à Paris. Les journées étaient denses, le matin à l’hôpital Robert Debré, l’après midi à Necker, agrémentées de visites.
L’engagement de Laurent Rocheteau est également conséquent. Outre la préparation des séquences, il prend en charge la partie administrative, la réservation des bus, de l’auberge de jeunesse, de financements. Chaque fois qu’il va avec son groupe dans un hôpital, un collègue l’accompagne que Laurent dispense des tâches d’organisation. La responsabilité du projet pèse aussi. Le regard sur son initiative est bienveillant voire indifférent mais en cas de souci, il est conscient qu’il pourrait être mis en cause. La motivation, Laurent la puise dans la richesse des relations humaines vécues dans le projet, avec les élèves, avec les enfants malades et leurs parents, avec les enfants de l’école voisine et leurs enseignants, avec les enseignants spécialisés des centres scolaires hospitaliers. « Quand je parle de ce projet, je ressens comme un manque » confie t’il. Sa famille s’est agrandie alors il a choisi de reprendre du temps pour lui, pour apprécier pleinement sa nouvelle vie. Et puis, Laurent Rocheteau enseigne aussi en S. Les changements de programme lui ont réclamé un travail conséquent, difficile à concilier avec l’investissement nécessaire pour le projet. Il ne l’a pas laissé tomber pour autant. Dans un an ou deux, il reprendra les séances destinées aux élèves de CM2 de l’école voisine sans être certain qu’elles seront animées par les élèves.
A écouter Laurent Rocheteau raconter son projet, on entend tout le bonheur qu’il a eu à le vivre, allant de surprises en découvertes, regardant son idée grandir, se transformer dans des dimensions qu’il n’avait pas imaginées. Aujourd’hui son souhait serait qu’un autre enseignant s’empare du projet, le reprenne, renouvelle l’expérience quelque part en France. Peut-être un enseignant rencontré à Dax ? Alors la boucle serait bouclée comme un effet retard de l’énergie positive que Laurent avait ressentie au forum des enseignants innovants.
Monique Royer