Ouvertes à la rentrée 2012, les 4 « Maisons pour la science » inaugurent une nouvelle conception de la formation des enseignants en jetant des ponts entre les enseignants et les scientifiques. Président de La Main à la pâte, académicien des sciences, Pierre Léna croit dans la possibilité de changer le regard des jeunes sur la science.
Comment sont nées les « Maisons pour la science au service des professeurs »
A l’origine des Maisons pour la science il y a la coïncidence entre la création de la Fondation de coopération scientifique La main à la pâte, en octobre 2011, créée pour poursuivre l’œuvre de Lamap, et le financement attribué par les Investissements d’avenir, initialement sous l’impulsion de Michel Rocard. Précédemment, l’Académie des sciences avait tenu deux Colloques, en 2007 et 2010, sur la formation initiale et la formation continue des enseignants. La formation des enseignants est apparue comme un point central pour rénover l’enseignement des sciences et nous nous sommes inspirés des recommandations de ces colloques. Xavier Darcos, alors ministre, avait reconnu lui-même, devant l’Académie des sciences, que la formation continue des enseignants était sinistrée. L’Académie a donc proposé aux Investissements d’avenir de créer un véritable outil de développement professionnel. J’insiste sur le terme : le développement professionnel suppose une attitude active alors que le mot « formation » est un peu connoté passivement.
Les Maisons sont en fait des prototypes. Leur principe fondateur est de mettre en relation, de la façon la plus intense possible, les enseignants et les scientifiques pour partager le goût de la science et sa pédagogie. Elles sont impérativement situées dans des universités (ou PRES), qui sont le lieu naturel de transmission et d’actualisation des connaissances. Les universités proposent aux rectorats l’offre des Maisons.
Nous avions remarqué que, dans les formations organisées par le Ministère de l’éducation nationale, les intervenants, scientifiques ou ingénieurs extérieurs, sont très rares. Avec les Maisons nous imposons une réelle parité entre scientifique et enseignants dans la formation. Car l’objectif est le partage de la science vivante.
Nous nous sommes inspirés des National Science Learning Centers britanniques. Confrontés comme nous à la chute des vocations scientifiques ils ont ouvert ces centres depuis 2006. Nous aimerions que l’inspection générale les découvre comme nous l’avons fait. Lamap suit aussi avec beaucoup d’intérêt ce qui se passe en Australie avec le programme Primary Connections. Dans tous ces pays il y a des scientifiques éminents qui, comme Georges Charpak, se rendent compte de leur dette personnelle envers l’Ecole.
Vous avez suffisamment de scientifiques intéressés par cette formation ?
Il y a un vivier considérable. Par exemple, chaque année, pour six mois de formation humaine, les élèves de Polytechnique sont mis à la disposition d’organismes comme les pompiers, la gendarmerie, des ONG ou de Lamap qui en emploie une quinzaine chaque année. Ils participent par exemple à l’ASTEP, que Lamap a créé pour l’accompagnement à l’enseignement des sciences et de la technologie au primaire. De jeunes ingénieurs, par exemple, épaulent des professeurs des écoles pour monter des expériences. Ce sont plus de 3000 jeunes qui accompagnent ainsi les enseignants de par la France. Il y a aussi les membres de l’Académie des sciences : plus d’une cinquantaine (sur 250) sont intervenus dans les collèges d’enseignement intégré de science et technologie (6e e 5e) depuis 2006.
Chaque Maison construit une offre de développement professionnel. La Fondation donne son avis et elles construisent ainsi leur catalogue. Par exemple, la Maison de Midi Pyrénées propose une formation 2 fois 3 heures pour traiter la question « D’où vient l’électricvité qui parvient à la prise ? » ou de 3 heures sur « un concept abstrait l’énergie ». Les moyens de mise en oeuvre sont financés à moitié par la Fondation, à moitié par les universités.
Avec quel budget ?
La Fondation recevra sur 5 ans 8 millions d’euros des Investissements d’avenir. Les Maisons disposent de sommes variables, les mieux dotées bénéficiant de 2,25 millions pour cette période. De grandes entreprises, partenaires de la Fondation, participent à son financement.
Et quel calendrier ?
La Fondation, créée par décret en 2011, fonctionne depuis janvier 2012 et les premières Maisons depuis la rentrée 2012.
Comment voyez-vous l’avenir des Maisons avec l’installation des ESPE ?
Nous tenons aujourd’hui à l’autonomie des Maisons par rapport aux ESPE, tout en y collaborant. Et je crois que les ministères en sont d’accord. Les IUFM avaient parfois du mal à se convertir à la participation de scientifiques aux formations. Nous souhaitons éviter les batailles de pouvoir, nous souhaitons également que l’apport financier des Investissements d’avenir ne se noie pas dans le budget des ESPE. Nous préférons donc qu’on laisse vivre ces Maisons prototypes pendant encore 4 ans. Si la voie qu’elles dessinent fonctionne bien, les Espe s’en inspireront, ou les intègreront éventuellement. Nous positionnons ces Maisons comme une expérimentation. Il faut voir si elles font leurs preuves.
Qu’offrent-elles actuellement ?
Le principe de base des Maisons, c’est de contribuer à l’égalité des chances entre élèves. Les sciences doivent servir cette égalité, et non la desservir. Cela se joue au primaire et au collège, en amont du lycée ou de l’abandon. Dans ce but, comme La main à la pâte le vit depuis quinze ans, les Maisons veulent partager une science vivante avec les enseignants de la maternelle à la fin du collège. Nous sommes particulièrement vigilants sur le fait d’offrir les sciences à tous les élèves. Bien souvent dans notre société ou au ministère, quand on pense sciences, souvent on se réduit à la série S et aux prépas. Ce n’est pas notre point de vue. Ce que nous visons est « sciences pour tous » !
Vous avez toujours tenu une position particulière dans le monde de l’éducation. Très proche de l’institution mais aussi toujours indépendante…
C’est le miracle de l’Académie des sciences. On ne peut évidemment pas être présent sur le terrain des sciences dans l’éducation nationale en ignorant le ministère. Mais l’Académie a une autorité indiscutable et une grande indépendance vis-à-vis du pouvoir politique. Surtout elle possède une qualité rare, nécessaire à tout changement dans l’éducation : la durée.
Nous avons travaillé avec neuf ministres de l’éducation différents, ils nous ont reconnu le sens de l’intérêt public et ont apprécié, je crois, l’énergie que nous y mettons. Avec Vincent Peillon et Geneviève Fioraso, nous venons de signer la 3ème convention-cadre quadriennale de coopération entre l’Académie et leurs ministères.
Comment cela se passe-t-il avec le corps enseignant ? L’enseignement intégré des sciences n’a pas toujours été bien accepté.
Nous avons la conviction que les prototypes que nous proposons doivent marquer une rupture claire par rapport à l’existant. Il est donc normal que l’on argumente et rencontre certains conservatismes. Au début, Lamap a rencontré quelque hostilité dans certains IUFM. Mais les enseignants voient bien que nous ne sommes pas dans une stratégie de pouvoir. Je crois que nous avons acquis la confiance de nombre d’entre eux, nous sommes bien accueillis dans les écoles et les collèges. S’agissant de l’enseignement intégré au collège, une enquête de la Depp (Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance du ministère de l’éducation nationale) a montré fin 2011 la progressive adhésion des professeurs concernés.
L’enquête de la Depp montrait aussi que toutes les disciplines ne s’y retrouvent pas…
Pour nous cela a été une surprise de constater l’extrême cloisonnement disciplinaire dans l’enseignement au collège. Par exemple il y a une nette frontière entre les professeurs de technologie et ceux des autres disciplines scientifiques. Ce cloisonnement produit des aberrations intellectuelles. Je me souviens qu’en 2005, lors de la première rencontre des professeurs qui allaient s’engager dans l’EIST, Pierre-Gilles de Gennes a fait un passionnant exposé scientifique et technique qui, à aucun moment, ne s’enfermait dans une seule discipline ! Il faut tisser des liens entre les sciences, c’est cela qui est fécond.
Cette réflexion d’interdisciplinarité nécessaire parcourt les expériences australienne ou britannique que j’ai déjà citées, également les programmes européens Pollen et Fibonacci que nous avons pilotés. L’Italie vient de créer, sous l’impulsion de son Académie (Lincei), cinq centres pilotes d’enseignement rénové des sciences.
Etes-vous optimiste pour l’enseignement des sciences ?
Je me dirais plutôt « optimisateur ». Je veux rendre les choses optimales et je sais que c’est une question de travail. Il faut continuer. Alors que notre pays se désindustrialise et manque de compétitivité, je suis préoccupé par le fait que la loi d’orientation sur l’école, en cours, fasse aussi peu de place à l’éducation à la science et à la technique, pourtant vitales pour les citoyens comme pour l’emploi.
La méfiance très prégnante envers la science dans notre société est-elle inquiétante ?
Le problème vient de loin. Dès le collège beaucoup de jeunes perdent le goût de la science, pourtant si passionnante lorsque bien enseignée et alors comprise pour ce qu’elle est vraiment. Lorsque nous aurons rendu son goût et sa passion à ceux qui l’enseignent, nous aurons fait du chemin….
Propos recueillis par François Jarraud