Pas possible d’échapper au réchauffement climatique. A Saint-Dié-des-Vosges, lors du dernier festival, une bonne dizaine de conférences, un café géo sur deux ont évoqué ce qui devient une obsession du raisonnement sur le monde physique. L’écho des géographes, dont certains sont climatologues, parvient jusqu’aux oreilles des médias, mais il leur faut absolument choisir leur camp : réchauffiste ou climato-sceptique. Oui ou non ? Quels sont les risques ?
Les risques sont une notion statistique. Ils se définissent par la probabilité que se produise un événement avec des conséquences négatives. Mais on sait, par expérience, que le raisonnement probabiliste est « contre-intutif ». Autrement dit, nous ne sommes pas capables d’adopter un raisonnement probabiliste. Il nous faut une gymnastique mentale très importante. Personne ne parle le même langage et en percevant le danger en termes binaires, on ne peut pas admettre que la Terre se réchauffe « un peu », que le risque est « négligeable ». L’être humain raisonne, pour les anthropologues, en termes binaires, comme si le danger est une caractéristique intrinsèque d’une situation, comme si c’était une essence.
Cela a des conséquences sur notre travail en classe. Les questions du monde franchissent les murs des lycées et collèges. Sommes-nous armés pour présenter une question aussi complexe sans risquer d’accroître l’incertitude chez les élèves ? Laissons de côté les manuels qui sont une caricature de la question. Comment les enseignants peuvent-ils faire savoir qu’aucune réponse ne peut être donnée à une question mal posée ? Si ce n’est qu’expliquer que les technologies permettent de mesurer la fonte des glaces aux pôles, faire un lien entre des courants marins et des types de temps. De là à vouloir chercher un coupable et transformer l’élève en justiciable…
Une solution serait de s’inspirer de Claude Lorius, le glaciologue grenoblois, lauréat du Blue Planet Prize, héraut de l’Antarctique au temps de la guerre froide et qui avait eu, le premier, avant le Nobel Paul Crutzen, l’audace de nommer notre période géologique « l’anthropocène ». Autrement dit, une ère géologique marquée par l’homme. A l’Institut de physique du globe de Paris (IPGP), les chercheurs pensent qu’un volcan peut entrer en éruption si le poids du glacier qui le coiffe diminue. Et en Chine, rapporte René-Eric Dagorn(1) , le tremblement de terre du Sichuan pourrait être lié à la construction d’un barrage dont la retenue pèse plus de 300 millions de tonnes en amont. Le même papier rapporte la thèse sur l’Amazonie comme « artefact culturel, objet construit » qui n’est pas nouvelle non plus mais qui ne parviendra pas à ôter du crâne des humains d’aujourd’hui l’idée qu’elle est le poumon et qu’il faut la sauver à ce titre. Et quand Jérôme Gaillardet (IPGP aussi) note que c’est la forêt tempérée qui progresse et joue un bien plus grand rôle dans les climats d’aujourd’hui qu’une forêt tropicale…
Philippe Descola a construit dans toute sa vie au Collège de France une lecture du monde(2) qui devrait répondre aux questions que nous nous posons aujourd’hui. Lire le monde non pas dans ce dualisme stérile (et pourtant lévi-straussien) d’une nature opposée à la culture mais bien comme un ensemble d’ontologies qui pourraient dialoguer. Le savoir disciplinaire servi en barquettes horripilait Pierre Gentelle qui vient de nous quitter et dont nous n’aurons pas fini de relire les caustiques Lettres de Cassandre(3). C’est toute notre conception de la transmission qui est à revoir. Les cautères des réformes sur les jambes de bois de notre système ne changeront rien à notre système éducatif bien mal en point. A nous d’inventer en attendant que les vagues de l’histoire ne l’emportent un jour.
Gilles Fumey, créateur des Cafés de géographie, enseigne la géographie à l’IUFM de Paris et la géographie culturelle de l’alimentation à l’université de Paris IV-Sorbonne.
Notes
(1) Sciences humaines, Août-septembre 2010, p. 18.
(2) Par-delà nature et culture, Gallimard, 2007.
(3) www.cafe-geo.net