Avec plus de 700 000 candidats, le bac 2012 fait un nouveau bond. C’est cette bonne nouvelle que Jean-Michel Blanquer, directeur général de l’enseignement scolaire, a présenté à la presse le 13 juin. S’il est positif, ce nouveau bond du taux d’accès au bac s’accompagne pourtant d’un certain échec à sa démocratisation. Le système éducatif apparait plus segmenté que jamais.
Avec 703 059 candidats cette année, le baccalauréat est, depuis la disparition du service militaire, le plus important événement vécu en commun par les jeunes français. Cette année encore, le nombre de candidats augmente de façon significative : +7% par rapport à 2011. Pour Jean-Michel Blanquer, cette croissance du taux d’accès au bac est un succès. Il met en avant d’autres chiffres impressionnants. 469 549 candidats passent les épreuves anticipées de première. Et 175 390 correcteurs et examinateurs sont nécessaires pour que les épreuves, qui commencent lundi 18 juin, se passent bien. De nouvelles épreuves apparaissent cette année : sciences en L et ES, histoire-géo en S pour les épreuves anticipées.
Mais les statistiques ministérielles tempèrent la satisfaction. La croissance du nombre de candidats creuse le fossé entre bac technologique et général et bac professionnel. Le bac général est quasi stable (+1,5%).C’est la série ES qui augmente le plus vite (+3%) alors que la série L continue à perdre des candidats (-3%). Il n’y a plus que 55 297 candidats en L, trois fois moins qu’en S ! La chute du bac technologique continue malgré la réforme des filières. C’est en STI et en hôtellerie qu’elle est la plus grave avec -9%. En STG on est à -4%.
Finalement la quasi totalité des gains dans le taux d’accès au bac se fait grâce au bac professionnel. En 2012 il croit de 28% avec 220 000 candidats (171 000 en 2011). Le bac existe dans 84 spécialités, certaines infimes (mise en oeuvre des matériaux céramiques : 2 candidats) , d’autres colossales (commerce 31 394 candidats, électrotechnique 22 018).
On retrouve cette année encore deux bacs très différents qui évoluent de façon opposée. Alors que le bac pro progresse chaque année, il faut remonter à 2000 pour retrouver le maximum de candidats au bac technologique et à 1995 pour le bac général. On a échoué à démocratiser les filières qui donnent de bonnes chances de faire des études supérieures courtes ou longues réussies.
« Ce n’est pas un gonflement artificiel », explique JM Blanquer à propos de la croissance du bac pro. Pour lui il est clair qu’elle résulte de la réforme qui a fait passer le bac pro de 4 à 3 ans. Il serait plus exact de dire que c’est la conséquence de la quasi suppression du Bep, devenu un diplôme intermédiaire au contenu et à la reconnaissance flous. Davantage de jeunes vont jusqu’au bac pro du fait de cet effacement du bep. Dans une étude réalisée pour le CREN, Vincent Troger montre que le bac pro est en train de changer d’identité. « Les contenus professionnels enseignés paraissent moins rébarbatifs aux jeunes et leur ouvrent éventuellement des perspectives d’études qui leur paraissent compatibles avec ce qu’ils pensent être leurs compétences, tandis que l’égalité symbolique avec les autres filières de lycée et l’espoir de poursuite d’études qui y est associé rassurent leurs parents.. Le LP ne serait plus utilisé exclusivement comme une filière de consolation pour les éclopés du collège unique, mais il serait aussi choisi par des publics majoritairement populaires en raison de contenus de formation correspondant mieux à leur rapport au savoir et dans l’optique d’une accession au baccalauréat et à différentes formes d’enseignement supérieur, principalement technologiques. »
Mais cette heureuse évolution a sa part d’ombres. D’une part cette espérance d’études supérieures est souvent un leurre. Pas grand chose est fait pour permettre l’accueil des bacheliers professionnels dans des filières supérieures courtes. Leur arrivée en université conduit généralement à l’échec. D’autre part, la croissance des bacs pro se fait dans une refonte globale du professionnel. Le nombre de jeunes orientés en CAP a considérablement augmenté. Les trois quarts d’entre eux entreront dans la vie active après le CAP avec une formation assez faible. Les autres, un quart environ, vont en bac pro. Pour beaucoup d’élèves de seconde pro atteindre le bac en 3 ans au lieu de 4 reste une gageure. C’est nettement plus dur et le taux de décrocheurs à la fin de la seconde pro a doublé avec la mise en place de la réforme passant de 7 à 14%.
Le rapport de Jean-François Cuisinier et Brigitte Doriath réalisé en 2011 pose la question de cette croissance du décrochage. « La rénovation de la voie professionnelle augmente-elle les sorties sans qualification ou au contraire les réduit-elle ? La voie professionnelle offre dorénavant deux niveaux : le bac professionnel en 3 ans et le CAP. Si l’orientation en fin de troisième vers la voie professionnelle stagne légèrement à la baisse, les entrées en CAP augmentent fortement puisqu’elles passent de 2 à 4% des sorties de 3ème. Les CAP semblent trouver leur public. Mais pour les autres jeunes, le risque d’exclusion s’est renforcé. Les inspecteurs ne le disent pas mais le rythme accéléré du bac pro. (3 ans au lieu de 4) le rend plus difficile pour certains élèves. A la fin de la seconde une proportion plus forte (un jeune sur 5) n’est pas admise en première. Que deviennent ces élèves ? » Un peu plus d’un jeune sur cinq ne passe pas en première et peu, parmi eux, reprennent un cursus en LP », note le rapport. « Pour les autres, toutes les hypothèses sont ouvertes : un autre cursus de formation pour les uns, l’abandon de toute formation pour les autres. Se joue là, en partie, la réussite du deuxième objectif de la rénovation : la réduction des sorties sans diplôme ».
La montée des bacs pro a cette double face d’un tri plus précoce et d’une progression du nombre de bacheliers. Globalement le taux de bacheliers progresse. Mais au final le taux d’accès au supérieur lui ne s’améliore pas. Il reste très inégalitaire socialement. Sur le fond « tout change pour que rien ne change ». La promesse de démocratisation du supérieur, tenue dans de nombreux pays développés, reste à faire.
François Jarraud