Qu’est-ce qui se niche derrière le mot « innover » ? a été l’un de nos questionnements lors du 13e forum du Café pédagogique. Lors de son intervention au forum, Philippe Meirieu a appelé à une vigilance et à « une lucidité critique » dans l’usage des mots comme dans l’approche. Le contexte de censure trumpiste nous rappelle l’importance du lexique et ses enjeux pour penser le monde. En rappelant le pouvoir et l’expertise de l’enseignant -chercher, créer, inventer et non (s’) exécuter -, Philippe Meirieu rappelle le savoir-faire du professeur.
Des dangers du mot-valise « innovation » : méthode-totem, repli identitaire, vitrine de luxe
Philippe Meirieu met en garde contre une innovation qui pourrait devenir une crispation identitaire, une concurrence dans une perspective ultra libérale ou encore une méthode-totem. Il alerte sur ce qui peut menacer « d’enfermement identitaire » comme sur l’effet « vitrine de luxe » qu’elle peut cacher. L’innovation, pourrait « être une contribution à la société du spectacle qui promeut un certain nombre de projets extraordinaires pour mieux masquer la médiocrité du fonctionnement de l’institution au quotidien ».
Une invitation à la réflexion pour une « innovation » au service d’une école plus émancipatrice et solidaire
Philippe Meirieu identifie sept conditions pour une innovation au service d’une école plus émancipatrice et solidaire. La première d’entre elles est que l’innovation soit « au service d’une ambition et non d’une récréation », celle de l’éducation de toutes et tous, d’une plus grande égalité du droit d’accès de toutes et tous à la culture.
La deuxième condition est que « l’innovation soit articulée à une problématisation », « innover, c’est se poser des questions, s’interroger sur les véritables difficultés rencontrées au quotidien. C’est devenir des enseignants chercheurs-chercheuses » poursuit Philippe Meirieu. Selon lui, l’enseignant est un chercheur quand il élabore une réflexion à partir des difficultés, de la recherche des moyens de les surmonter, qu’il problématise les diffcultés. C’est ainsi que l’enseignant.e devient actrice ou acteur du système éducatif, et non pas seulement exécutant.
« La pédagogie est un art de faire »
La troisième condition pour une innovation au service d’une école plus juste est d’être une invention. L’innovation ne doit pas être « la totémisation d’un outil à la mode », déclare le spécialiste de l’éducation. « Inventer, c’est imaginer, chercher, créer. L’invention est centrale en pédagogie car la pédagogie est un art de faire dans lequel les solutions ne sont pas contenues dans les problèmes ms dans les solutions se construisent » explique Philippe Meirieu. Il invite à regarder comment les choses se passent au quotidien, à questionner les outils adaptés pour la meilleure médiation possible. Cette invention se nourrit de l’héritage, mais aussi de l’imagination et de l’invention des collègues.
Intégrer toutes et tous, faire réussir chacune et chacun
Pour le professeur émérite et vice-président des Céméa, l’innovation positive est un projet de l’intégration de toutes et tous, « sans forme larvée d’exclusion ». Le professeur doit faire en sorte de ne pas payer « la réussite commune par l’exclusion de ceux qui nous apparaissent comme les moins compétents […] ce qui arrive parfois dans des formes d’innovations institutionnelles ».
Une innovation inscrite dans la formation
Une innovation qui s’inscrit dans la professionnalisation en intégrant des objectifs fondamentaux et des programmes de compétences et de culture. L’innovation ne doit pas se développer exclusivement à la marge. Pour Philippe Meirieu, elle doit s’articuler dans la formation de nos disciplines d’enseignement, dans les travaux de sciences humaines et des sciences de l’éducation.
Innovation et évaluation
Philippe Meirieu plaide pour « une innovation qui ait le souci de l’évaluation », pour prémunir le risque d’une satisfaction narcissique. L’évaluation permet le « repérage des progrès, de la manière dont chacun s’est saisi de ce que nous faisons pour accéder à des savoirs nouveaux ».
La mutualisation
Il poursuit sa définition d’une innovation positive, qui doit être « une occasion de la mutualisation dans une logique des solidarités, des créativités, des inventions ».
L’innovation ambitieuse est une innovation qui problématise, invente, intègre, s’appuie sur les objectifs de la scolarité. Selon la conception de Philippe Meirieu, l’innovation positive a également le souci d’évaluer et de mutualiser. Ce sont ces conditions qui permettent aux enseignantes et aux enseignants de devenir des concepteurs et des conceptrices par opposition aux exécutants. Il met en garde contre « les formes d’évaluation institutionnelle nationale et internationale, les tentations technologiques qui arrivent dans le monde éducatif » et appelle à « la lucidité critique sur ce que nous autres enseignantes et enseignants pouvons faire et apporter dans un système scolaire qui se cherche parfois, qui peut apparaître sclérosé et qui a besoin de notre dynamisme et de notre militance pour être à la hauteur des défis de la société d’aujourd’hui ».
Djéhanne Gani
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