Le détour par le cinéma
Comment aborder avec la bonne distance les questions qui touchent à la sphère intime et familiale, et en particulier à la violence, avec des élèves ? Comment libérer la parole sans risquer, par trop d’intrusion, de les enfermer dans un conflit de loyauté ? Peut-être en passant par le biais de l’étude d’une œuvre qui permet, à la fois, de s’identifier et se mettre à distance. La littérature, y compris patrimoniale, peut bien sûr remplir ce rôle : on pense par exemple à L’Assommoir de Zola, roman de la dénonciation des violences conjugales et intrafamiliales.
Mais par son langage symbolique le cinéma, et en particulier les films courts – dont on peut découvrir actuellement la vitalité un peu partout en France – faciles à visionner en classe, fournissent des détours qui peuvent aider chacun.e à sortir de l’isolement et du silence, tout en se protégeant d’une confrontation trop directe.
Pour apprendre à regarder
Ainsi pour aborder la question des violences intrafamiliales, on ne saurait trop conseiller le court métrage de Laurent Achard La peur, petit chasseur, Grand prix du festival international de Clermont-Ferrand en 2005. Un film habité de silences, d’une extrême délicatesse, qui fait le pari risqué du presque rien, du dépouillement. Car ici chaque déplacement, aussi petit soit-il, chaque accessoire, chaque élément du décor, aussi tenus et insignifiants semblent-ils, racontent, à hauteur du regard d’un petit Poucet effrayé et impuissant à chasser l’Ogre, l’impossible parole face à la violence d’un père, et l’enfermement dans la solitude de l’enfance nue.
Cette œuvre, exigeante dans son propos, comme dans le minimalisme de sa mise en scène (un plan-séquence fixe de 8 minutes), déconcerte dans un premier temps une classe. Elle en maintient néanmoins l’attention jusqu’au bout ; puis suscite beaucoup de réactions. Circonspectes souvent « C’est fini ? », « J’ai rien compris ! » : point de départ rêvé pour susciter la prise de parole, et déclencher les débats et le décryptage.
Car après avoir visionné, on revisionne, et là tout, ou presque, va s’éclairer, de la composition de l’image, au choix du point de vue ; du détachement apparent, à l’émotion profonde ; du naturalisme à la Pialat, au sentiment d’inquiétante étrangeté. La classe, aiguisant son regard, prend peu à peu conscience que le style et le propos s’imbriquent. L’un comme l’autre racontent que les loups ne sont pas tapis dans les forêts noires qui entourent les maisons, mais souvent cachés derrière des volets fermés, frappant les mères et terrorisant les enfants, qu’un chien, même aimant, ne suffira pas à sauver.
Alors que faisons-nous ? semble nous demander La Peur, petit chasseur. Allons-nous continuer à nous tenir à distance, immobiles, regardant de loin, ou allons-nous enfin entrer dans le champ ? Le temps est venu de dessiller les yeux et de rompre les silences. Le temps est venu d’écouter et de décrypter la parole des enfants. Le temps est venu d’éloigner la peur du petit chasseur…
Claire Berest
La Peur, petit chasseur, Laurent Achard (2004). 8’13
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