Frédéric Grimaud relate des entretiens de professeur.es des écoles, qui parlent de leur métier, de l’organisation de leur travail, et de tous les choix auxquels le quotidien de la classe les confronte. Chaque semaine, retrouvez deux d’entre eux et d’entre elles qui expriment un point de vue différent sur la manière de faire leur métier, qui n’utilisent pas les mêmes outils pour réaliser leur tâche, qui ne font pas les mêmes gestes professionnels.
« Je dois en permanence l’avoir à l’œil sinon il peut se blesser »
Lucia est AESH en charge d’un élève porteur de sévères troubles du comportement. Non verbal et sans cesse en mouvement, il demande une attention constante de la part de son AESH qui explique : «Adam il court partout et tout le temps. Moi je dois en permanence l’avoir à l’œil sinon il peut se blesser, blesser un autre élève ou même se sauver. C’est déjà arrivé qu’on le retrouve au cycle 3 ou dans la cantine, c’est l’angoisse à ce moment. C’est un enfant autiste qui ne fait pas grand-chose en ULIS mais qui est très difficile à gérer. Ce n’est pas qu’il fasse des crises ou qu’il soit violent, mais il fait vraiment ce qui lui passe par la tête. Alors en récréation c’est très, très difficile, il faut constamment le surveiller, savoir où il est et ce qu’il fait. C’est moi et les maîtresses qui sont de surveillance qui avons cette responsabilité mais c’est surtout moi qui le gère. Alors je ne le lâche pas des yeux.
« Notre métier c’est l’inclusion et là tu affiches un enfant handicapé avec un gilet fluo »
Seulement ça arrive qu’un autre enfant me parle par exemple, que je sois déconcentrée ou quoi, et alors je le perds des yeux quelques secondes. Là je stresse et je le cherche des yeux partout dans la cour. J’ai trop peur qu’il ne se fasse mal ou mal à un enfant. Et si je n’arrive pas à le retrouver vite, je panique car je me dis « autant il est rentré dans les couloirs, il s’est enfermé aux toilettes ». Ou même il peut escalader le portail sans souci. Alors avec la maîtresse on avait eu l’idée pour le repérer de suite, de lui mettre un dossard de sport quand il va dans la cour. Ça permet en un coup d’œil de le voir et de ne pas le perdre des yeux. On en a parlé aux parents en ESS et ils comprennent qu’on ne puisse pas faire autrement. C’est quand même pour sa sécurité à lui d’abord. Les parents ont compris, et c’est mieux que quand on lui faisait faire une récré à part des autres.»
Shéhérazade aussi est AESH, en ULIS TSA, et elle réagit en contre aux propos de Lucia : « C’est sûr que les parents faut les prévenir parce que ce n’est pas anodin de mettre un dossard à un enfant dans la cour. Moi ça m’interpelle. Je comprends hein ce que tu dis sur la sécurité et tout, nous aussi on a des enfants très speed qu’il ne faut pas lâcher des yeux en récré. Mais c’est quand même hyper stigmatisant. Notre métier c’est l’inclusion et là tu affiches un enfant handicapé avec un gilet fluo, ça pose question quand même.
Déjà nos élèves ils ne sont pas hyper bien vus des autres et en plus si on leur met un dossard ça fait un peu « regardez, je suis un enfant handicapé ». C’est pas ce qu’on nous demande je pense à l’école. Au contraire, c’est que le plus possible nos élèves soient intégrés aux autres. Moi en tous cas je te le dis, en tant que maman, ça me choquerait qu’on me dise que mon enfant porte un dossard fluo dans la cour. Même si je comprends la sécurité et tout. Ou alors il faut demander à se relayer avec une autre AESH ou en mettre 2 à le surveiller spécifiquement à lui, mais lui mettre un gilet jaune ou orange non. Je pense vraiment que c’est trop stigmatisant et que c’est l’inverse de ce qu’on nous demande.»
Petite analyse : Encore une fois, le réel de la situation, les préoccupations qui remontent du terrain, peuvent mettre à mal les finalités même du métier de celles et ceux qui travaillent dans des écoles. Les deux AESH controversent sur les critères du travail bien fait, au regard des valeurs qu’elles portent ou que porte leur métier, et au regard du réel de la situation qui parfois les met en difficulté.
Et vous, que pensez-vous de l’idée de mettre un dossard à un élève en situation de handicap afin d’assurer sa sécurité ?