Organisée par France Education International, ce vendredi 7 février, la manifestation « l’IA en éducation, quel cadre pour quels usages ? » a permis de comprendre et de mesurer comment les politiques européennes prennent en compte et pilotent le développement de l’IA. Il a été aussi possible de comprendre la place prise par la France dans ce champ. Malheureusement, au-delà des déclarations de bonnes intentions, développement open source et autres cadres d’usages en cours d’écriture comme au travers de la communauté CREIA etc., nous n’avons pas pu déceler une analyse qui aille au-delà de ce que l’on observe actuellement autour des IA génératives et dans une moindre mesure des IA adaptatives. Car le bouillonnement actuel n’est pas perçu comme un moment mais comme un aboutissement, sur lequel nous sommes surtout prompts à discourir et avons bien du mal à agir. Car le constat fait dès le début de cette rencontre, 20% des enseignants et 80% des lycéens utilisent l’IA pour leur travail scolaire, est suffisamment parlant mais aussi suffisamment inquiétant pour qu’on aille vers une analyse plus globale.
Une tendance à l’allégeance ?
Car le fait le plus marquant de cette rencontre, et ce n’est pas nouveau en France (et peut-être en Europe), c’est le volontarisme autour des progrès technologiques numériques dont l’IA est actuellement le faire de lance. Le paradoxe de tous ces propos est oui, il faut développer, et non il ne faut pas laisser faire sans cadre. On ressent derrière ce paradoxe, que nous avons souvent souligné avant même l’avènement de l’IA sur la place publique, les politiques (dont on se demande s’ils comprennent bien le fond du problème où s’ils ne s’informent qu’à la surface médiatique) sont bien dans cette idée concurrentielle à partir de laquelle il faudrait développer l’IA tout en rappelant, pour apaiser les critiques, qu’ils mettent en place des limites, de vigilances suffisantes. Malheureusement, les faits semblent leur donner tort. Les évolutions idéologiques actuelles montrent pourtant qu’une tendance forte va vers cette allégeance aux puissants et à l’idéologie du progrès technique bon pour l’humain.
Des annonces de la ministre Borne
Les annonces faites par la ministre d’État de l’Éducation sont bien étonnantes : elle se félicite du « partenariat mondial sur l’IA pour promouvoir une IA éthique et responsable » que la France aurait initié ; elle ajoute « Mais nous devons aller encore plus loin en garantissant que l’IA devienne véritablement un outil au service de tous, en particulier au sein de notre système éducatif. » Face au déséquilibre enseignants/élèves dans les usages, elle préconise : « permettre une appropriation éclairée de l’IA et éviter un décalage qui fragiliserait la transmission des savoirs » induisant l’idée d’enseignants dépassés. La grande consultation annoncée sur un cadre d’usage en éducation passe entre autres par CREIA, avec cette ambition : « donner les moyens aux professeurs de prendre en main ces technologies, non pas pour les remplacer, mais pour les renforcer dans leur mission essentielle » et ainsi mettre en place « Ce document didactique précisera les conditions dans lesquelles l’IA peut aujourd’hui être utilisée« . Annonçant un parcours obligatoire pour les élèves de quatrième autour de l’IA et proposé à tous autour d’un PIX élargi, avec cet objectif « d’acquérir les bases du prompting, de comprendre les grands types d’apprentissage de l’IA, leurs fonctionnements et leurs enjeux, notamment en termes de limites et de biais, de gestion des données et d’impact environnemental. » Mais n’est-ce pas une fausse mesure de surface ? L’annonce suivante est étonnante. Il s’agit de concevoir en France, pour 2026-2027, une « IA souveraine » : »Son objectif, concevoir une IA ouverte, transparente et pérenne qui puisse aider nos professeurs à préparer leurs cours, corriger des devoirs, et enrichir leurs pratiques pédagogiques« . Elle ajoute même « nous serons pleinement engagés pour défendre une IA éthique, inclusive et respectueuse de nos valeurs. » Ainsi les bonnes intentions ne manquent pas en éducation. Mais soyons lucide, l’économique commande !
Le temps d’évaluer, de comprendre et celui de l’évolution de l’IA
Les échanges (internationaux) qui ont suivi ont conforté cette analyse. On s’étonnera cependant dans ce flux d’annonces de l’absence de cette annonce faite par un précédent ministre de l’Education autour de l’IA concernant « MIA seconde » et dont on sait que le ministère y a consacré des sommes importantes et dont l’évaluation semble encore en cours. Les bonnes paroles échangées autour de ce cercle restreint et retransmis sur Youtube (propriété de Google !!!) ne changent pas l’impression du moment : Notre pays et l’Europe sont submergés par ce déferlement et pour y faire face tentent quelques timides initiatives (financièrement sans commune mesure face aux grandes puissances), mais surtout de se positionner en « gardien du temple », éthique et moral, un peu comme quand la France était (se situait comme) le « phare de l’Europe » (en rappel au 187è siècle et les discours sur la raison). Aveu d’impuissance ou signe de modestie, en vue de ne pas être complètement marginalisés à l’échelle mondiale…
Enfin, on ne peut que s’interroger sur l’écart entre l’état de l’art tel qu’il est présenté dans cette manifestation (ia générative beaucoup, et un peu adaptative) et les propos de Yann Le Cun tenus en octobre dernier à l’université de Genève. L’évolution actuelle de l’IA est très rapide et des nouveautés sont annoncées chaque jour. Même si, comme le pense Yann le Cun, ces produits actuels sont déjà dépassés par les travaux de recherche, ils n’en sont pas moins sur le devant de la scène publique et c’est pourquoi cette manifestation de ce 7 février est emblématique de cet état de l’art actuel et de la réflexion politique. C’est d’ailleurs ce que dénonce le chercheur, à savoir (écouter le passage dans son discours) l’incompétence des politiques dans ce domaine….
Alors que les médias vont nous inonder d’articles et de compte rendus sur le sommet de l’IA qui se tient à Paris les 10 et 11 février, il est nécessaire de dépasser les discours publics et d’aller sur les terrains (cf. l’intervention, trop courte, de Colin de la Higuera dans cette manifestation) pour comprendre les véritables mutations en cours et surtout les suivre indépendamment des zélateurs et détracteurs qui vont se faire forts de prendre la parole…. et d’être relayés dans les médias de flux…. voir les réseaux socio-numériques.
Bruno Devauchelle