L’EPS « assure l’inclusion, dans la classe, des élèves à besoins éducatifs particuliers ou en situation de handicap », si l’on en croit les programmes scolaires du cycle 4. C’est la seule discipline qui y est mentionnée pour un bénéfice n’allant pas de soi. Il passe notamment par des actions conjuguant une attention à construire du commun entre les élèves et à prendre en compte leurs singularités. Avant d’aborder le rapport entre ces deux aspects dans une perspective inclusive, quelques mots sur des références guidant la réflexion.
Agrégé d’EPS retraité, formateur pendant plus de 20 ans au CNEFEI (aujourd’hui INSEI), actuellement chercheur associé au laboratoire Cultures-Éducation-Société (université de Bordeaux), codirecteur, avec Didier Séguillon, de « Les élèves à besoins éducatifs particuliers et les autres en EPS : la construction d’un commun » (coédition INSEI/Revue EP&S, juillet 2024), Jean-Pierre Garel invite à concevoir l’inclusivité de l’EPS à partir d’un regard croisé sur le commun et le singulier.
Boussole pour agir
L’inclusion fait l’objet de critiques, dans le domaine scolaire par des enseignants confrontés parfois à des élèves posant des problèmes face auxquels ils sont démunis, et aussi, plus généralement, sous l’argument qu’elle romprait le pacte républicain, vu que « l’abolition des différences dans un cadre commun fonde le vivre ensemble et l’égalité »[1]. Mais c’est là confondre l’uniforme et l’universel, figer et hiérarchiser des catégories (valides/handicapés, hommes/femmes, autotochne/étranger…), conforter les inégalités existantes, s’interdire des approches pédagogiques particulières visant à réunir, autant que possible, les élèves autour de ce qu’ils et elles peuvent partager.
Cet objectif de reliance s’inscrit dans le principe, promu actuellement par le philosophe Alain Policar, d’« un universalisme pluriel conçu comme coexistence de tous les particuliers »[2], ouvert à l’altérité et attentif à construire un monde commun. Selon ce principe, il s’agit de déconstruire les fragmentations et les exclusions. À sa modeste mesure, l’EPS peut participer à cet effort, notamment avec des élèves en situation de handicap encore trop souvent laissés à l’écart de et dans l’école sous prétexte qu’ils n’y sont pas adaptés, alors qu’il incombe au système scolaire de s’adapter à eux. Travailler à une reliance qui fasse droit aux singularités illustre l’association, appelée « dialogique » par Edgar Morin, de deux logiques opposées, en tension et en dialogue permanent, en l’occurrence infiltrant le couple différenciation/assimilation en EPS.
L’inclusivité de l’EPS, sous conditions
D’un côté, on peut acquiescer au pouvoir inclusif de l’EPS, sachant que son enseignement, comme d’autres, s’adresse normalement à tous les élèves et que, dès lors qu’ils sont regroupés dans cette discipline potentiellement riche en interactions et émotions, les expériences qui y sont partagées dès le début de la scolarité sont l’occasion, au-delà des apprentissages disciplinaires, de développer un rapport positif à l’altérité.
D’un autre côté, il serait naïf de méconnaître les exclusions dont des élèves « différents » sont parfois l’objet et l’auto-dévalorisation de celles et ceux qui se vivent en échec, d’autant plus quand leurs enseignants sont empêchés de bien faire leur travail, faute de formation, de soutien et de conditions d’exercice adéquates pour intervenir auprès d’élèves parfois déroutants. Il ne suffit pas d’évoluer au sein d’un groupe pour être inclus. On peut être « exclu de l’intérieur », selon la formule de Pierre Bourdieu. Afin que l’EPS s’avère inclusive, pour le moins qu’elle ne soit pas la proie de séparatismes qui traversent actuellement l’école et la société, on peut emprunter quelques pistes concourant à la construction d’un commun articulé à la prise en compte des singularités individuelles.
Le partage d’activités parasportives
Prévaut souvent l’idée qu’il y a le sport pour les valides et le parasport pour les personnes en situation de handicap, y compris à l’école. C’est ainsi que le Conseil économique, social et environnemental, dans son avis de 2023 sur le développement du parasport, préconise d’inscrire un cycle obligatoire de parasport en EPS pour tous les élèves tout au long de la scolarité. Ce serait déjà fait, selon le ministère des Sports et des Jeux olympiques et paralympiques. Dans sa réponse, publiée au JO le 11/10/2022, à une question d’un député sur l’état actuel de l’inclusion, il est écrit que « plusieurs réalisations sont d’ores et déjà à souligner : intégration des para-disciplines dans les programmes officiels d’éducation physique et sportive (cécifoot par exemple) ». De quoi surprendre les observateurs les plus attentifs aux programmes scolaires… Et aussi de quoi s’interroger : quelles sont les activités partageables, en EPS, entre les élèves en situation de handicap, et plus largement à besoins éducatifs particuliers, et les autres, en dehors d’un temps de parasport forcément restreint, étant donné que les valides ne peuvent pas être cantonnés à une activité parasportive ?
Des APSA (activités physiques, sportives et artistiques) partagées et si besoin différenciées
D’autres activités que des parasports sont accessibles à toutes et tous si l’on prend soin d’en différencier les conditions de pratique, y compris pour des activités impliquant une opposition, en étant attentif aux singularités individuelles, aux obstacles rencontrés par l’élève lors de son activité ainsi qu’aux ressources qu’il est susceptible de mobiliser. Ainsi, un élève avec une déficience motrice restreignant la mobilité de ses déplacements pourra peut-être pratiquer le badminton avec un camarade valide si son terrain de jeu est suffisamment réduit. Dans ces conditions de partage d’une même activité, il serait curieux d’avancer que l’un fait du sport et l’autre du parasport. Les différenciations envisageables répondent à un souci d’équité qui va à l’encontre d’une logique sportive posant que l’égalité entre joueurs est garantie par des règles identiques. Une logique moins prégnante dans certaines activités et absente de celles qui sont de nature artistique, particulièrement propices à une pratique partagée. L’intérêt d’une différenciation doit s’accompagner d’une double vigilance : qu’elle ne verse pas dans une individualisation de l’enseignement qui isole l’élève du collectif et des projets pouvant y être engagés, ni dans un respect des différences tel que l’enseignant en rabatte sur des exigences auxquelles l’élève pourrait satisfaire, l’assignant ainsi à sa différence.
Au-delà des APSA connues, dont la plupart, dans l’enseignement secondaire, relèvent du sport, du parasport et des activités physiques artistiques, des professeurs d’EPS ingénieux ont créé des activités originales[3]. Elles mobilisent, en proportion variable et comme les autres activités partagées, des savoirs communs et d’autres convenant particulièrement à des élèves en situation de handicap.
Entre savoirs communs et savoirs particuliers
Lors d’une pratique partagée en basket, aux savoirs inhérents à ce sport s’ajoutent, pour des élèves en fauteuil roulant à propulsion manuelle, des savoirs spécifiques, construisant par exemple une habileté à utiliser le fauteuil. Dans le cas où des élèves ne sont pas en mesure de partager la même activité que les autres, l’enseignant est amené à en prévoir une qui leur est réservée, tout à fait différente ou, si possible, apparentée. Soit un élève se déplaçant en fauteuil roulant à propulsion manuelle, incapable de pratiquer le saut en longueur comme ses camarades valides. En revanche, si les conditions matérielles le permettent, il sera peut-être capable de s’engager dans l’activité voisine suivante : de même que pour le saut en longueur de référence, il s’agira de franchir la plus grande distance possible après une course d’élan accélérée, puis d’enchaîner avec une impulsion prise dans une zone précise, effectuée par une forte poussée des mains sur les mains courantes du fauteuil.
Pour réussir, aux savoirs communs s’ajoutent des savoirs spécifiques concernant l’action sur les mains courantes, puisqu’il faut doser au mieux sa fréquence, son intensité et son amplitude. Il arrive que les savoirs requis ne soient pas spontanément disponibles. Ainsi, des professeurs d’EPS sont parfois conduits à accompagner des élèves aux incapacités singulières dans la recherche d’une technique originale propre à les rendre autrement capables. Ce peut être le cas en natation, face à la diversité des profils d’élèves présentant une déficience motrice. À ce sujet, on peut penser à Gabrielzinho, nageur brésilien né sans bras et avec des jambes atrophiées, qui a développé une technique de nage particulière et s’est illustré lors des récents jeux paralympiques.
À travers les savoirs et les pouvoirs acquis en EPS, un élève en situation de handicap est à même de se reconnaître et se voir reconnu des capacités d’action ouvrant sur une participation sociale qui signe une avancée inclusive. Elle se manifeste notamment dans l’accès à des loisirs autour d’APSA permettant d’y trouver matière à gratification.
Une réflexion à élargir
Aborder la dialectique du commun et du singulier, et plus généralement la question de l’inclusion, en considérant uniquement les élèves dits « en situation de handicap » laisse dans l’ombre la diversité des élèves non étiquetés comme tels ou désignés « à besoins éducatifs particuliers », alors que la population susceptible de rencontrer des difficultés en EPS et à l’école, jusqu’à être plus ou moins exclue à certains moments, est plus large. Par ailleurs, conjuguer commun et singulier appelle un rapprochement des personnels intervenant, ou susceptibles d’intervenir, auprès des élèves. Or leurs cultures professionnelles diffèrent, quand certains relèvent du ministère de l’Éducation nationale et d’autres, en poste dans des établissements et services spécialisés, du ministère en charge de la santé.
On pourrait aussi envisager un lien entre deux filières universitaires des Sciences et techniques des activités physiques et sportives (Staps) : la filière Activité physique adaptée et santé, qui accueille des étudiants amenés à intervenir auprès de personnes ayant des troubles divers dans une perspective thérapeutique, rééducative ou de prévention, et la filière Éducation et motricité pour les étudiants se destinant à l’enseignement. Les clivages à briser sont multiples, sans compter ceux dus à une catégorisation des élèves selon des types de troubles, avec le risque de se focaliser sur eux, sur des besoins particuliers et des bonnes pratiques censées en découler, et de négliger des ressources et des aspirations communes.
Jean-Pierre Garel
[1] Vincent Lamkin (20/10/2023). Pourquoi la République n’est pas inclusiv. L’opinon. Cité par Dominique Momiron (17/11/2023). Sale temps pour l’école inclusive. Café pédagogique. https://cafepedagogique.net/2023/11/17/sale-temps-pour-lecole-inclusive-i/
[2] Alain Policar. (15/11/2021). Un universalisme pluriel conçu comme coexistence de tous les particuliers. Le Monde.
[3] Voir https://epsetsociete.fr/lingeniosite-dune-equipe-denseignants/