L’erreur. Un jeudi sur deux, Jacques Marpeau, docteur en sciences de l’éducation et Daniel Gostain, enseignant spécialisé, membre de la FNAREN nous proposent de décortiquer certaines notions pour en faire un sujet de réflexion, pour ouvrir le débat, afin de mettre en relief les enjeux qui découlent de leur utilisation. « La représentation de l’erreur véhiculée dans l’institution scolaire est dans les faits, une pédagogie de l’exclusion par l’erreur, quand elle est vécue par les élèves comme une disqualification. Elle est une pédagogie de l’inclusion quand l’erreur est vécue par les élèves comme un moyen d’ouverture à la démarche de recherche, à partir des différents modes de compréhension pouvant être mis en commun et réfléchis collectivement ».
Le statut de l’erreur
Un statut est une place sociale, une fonction reconnue et signifiée par l’environnement. Le statut conféré à l’erreur dans le milieu scolaire et familial permet de comprendre la façon dont un élève se sent invalidé par ses erreurs ou s’en empare pour construire une nouvelle compréhension.
Or, l’erreur est très fréquemment présentée comme étant synonyme de faute et d’incompétence sanctionnée par une dégradation de la note. L’estime de soi et la confiance en soi de l’élève sont directement impactées par la signification sociale de l’erreur exprimée et amplifiée par les réactions d’une classe. Ce « statut » infléchit le regard que chaque élève porte sur lui-même et sur autrui. Il y a validation ou invalidation, souvent moins en fonction de la compréhension que de la conformité de a production au résultat attendu.
Le traitement de l’erreur renvoie aux implicites des visées pédagogiques. Soit il s’agit de l’inculcation de modèles de résolution de problèmes à appliquer, soit il s’agit de mettre des élèves en travail d’élaboration de différents modes d’intelligibilité des réalités, en utilisant des clés de compréhension différentes selon les domaines de connaissances…
L’erreur traduite comme étant une faute résulte d’un écart par rapport à la méthode enseignée comme devant permettre la réussite. La comparaison à un modèle ne peut conduire, au mieux, qu’à la conformité, puisque toute différence est estimée en écart négatif de la méthode à reproduire. Si une démarche d’apprentissage par l’application d’une procédure permet d’obtenir le résultat attendu, elle ne garantit en rien la compréhension du principe général à l’œuvre dans l’opération travaillée, ni sa transférabilité à des situations de vie réelles.
L’erreur, moyen d’une compréhension particulière
L’erreur, appréhendée comme un moyen de compréhension invite à formuler une nouvelle hypothèse et à entrer dans le tâtonnement de la démarche de recherche. Elle donne des indices sur une énigme à appréhender.
Ce mode de rapport à l’erreur fait supposer l’existence d’une autre démarche de compréhension possible à découvrir. L’erreur fait partie intégrante d’un processus d’interrogation et de questionnement à mettre en œuvre dans tout rapport à l’inconnu.
L’erreur postule la nécessité d’un changement de logique d’appréhension d’une situation, par un changement du cadre de référence. Quand elle est travaillée en groupe, elle éclaire les différents modes d’intelligibilité possibles et ce qui fait leur pertinence dans une matière particulière.
Quand les élèves ont compris que l’erreur peut les conduire à la compréhension de modes d’interactions inconnus, elle stimule leur curiosité face à une réponse étonnante. Le regard des élèves est alors en partie décentré de l’attente d’un résultat, et recentré sur le processus de réflexion permettant de formuler une réponse pertinente. Ils ont ainsi accès à une capacité de distanciation leur permettant d’appréhender les modes de compréhension propres aux disciplines de connaissances abordées.
Les enjeux d’élaboration du rapport à l’erreur
Le rapport à l’erreur se traduit dans la façon dont chaque élève se sert de ses expériences d’erreur dans ses approches tant intellectuelles que manuelles, comme dans ses relations avec le contexte dans lequel il évolue.
Un rapport à l’erreur créatif implique la capacité à vivre l’erreur comme un moyen de découverte et de compréhension nouvelle. Il implique chez les élèves, la mise au travail d’un nombre considérable de « capacités structurelles ». Ils doivent être capables de changer de cadre de référence, d’interroger les situations autres et possiblement comparables. Ils doivent soutenir l’incertitude de l’expérimentation par tâtonnement. Ils doivent encore être dans la continuité d’un effort sans réussite immédiate ou garantie.
C’est l’absence d’un « travail » sur le rapport à l’erreur, qui fait qu’elle est vécue comme une invalidation provoquant le désinvestissement et l’enfermement dans une perception de fatalité indépassable.
La représentation de l’erreur véhiculée dans l’institution scolaire est dans les faits, une pédagogie de l’exclusion par l’erreur, quand elle est vécue par les élèves comme une disqualification. Elle est une pédagogie de l’inclusion quand l’erreur est vécue par les élèves comme un moyen d’ouverture à la démarche de recherche, à partir des différents modes de compréhension pouvant être mis en commun et réfléchis collectivement.
Propos de Jacques Marpeau recueillis par Daniel Gostain