Frédéric Grimaud relate des entretiens de professeur.es des écoles, qui parlent de leur métier, de l’organisation de leur travail, et de tous les choix auxquels le quotidien de la classe les confronte. Chaque semaine, retrouvez deux d’entre eux et d’entre elles qui expriment un point de vue différent sur la manière de faire leur métier, qui n’utilisent pas les mêmes outils pour réaliser leur tâche, qui ne font pas les mêmes gestes professionnels.
Joanne et Christine enseignent en maternelle. Tous les jours, elles mettent en place des activités de motricité avec leurs élèves qu’elles n’investissent pas exactement des mêmes contenus. Si la première en profite pour mettre en jeu des savoirs en langue ou en mathématiques, la seconde pense que l’EPS est une discipline à part entière déconnectée des autres.
Joanne commente une de ses séances de grande section où les élèves jouent aux « déménageurs » : « C’est une activité qui j’aime beaucoup, je la faisais aussi quand j’avais les petites sections ou même les CP/CE1. Et les élèves l’adorent car ils sont beaucoup dans l’action. Il y a beaucoup d’enjeux en termes de motricité d’abord, là par exemple on a beaucoup échangé sur la gestion de l’espace entre eux. Se déplacer oui, mais en tenant compte des autres et des espaces de la cours où il y a des objets afin d’être le plus efficace possible.
Ensuite quand on a fini de remplir les coffres, il faut savoir qui a gagné. Donc on compte les objets. Quand on a commencé l’activité aujourd’hui, qu’ils connaissent bien, j’ai rajouté ces ardoises par équipe où il doivent ensuite écrire leur score. Y’a deux enjeux mathématiques là. D’abord dénombrer une quantité. Parfois ils dépassent pas les 5 ou 6 objets dans la caisse, mais là tu vois y’en a 19 et à ce moment de l’année c’est encore loin d’être acquis pour tout le monde. Mais surtout après il faut savoir qui a gagné, donc entre l’équipe qui a 19 et celle qui a 17, qui a gagné ?
Si je n’y arrive pas à régler ça en même temps que la séance, on rentre avec les ardoises et ensuite en classe on va chercher à déterminer, en manipulant les réglettes par exemple, en observant la file numérique ou en associant terme à terme, qui a obtenu le meilleur score. Du coup les apprentissages mathématiques sont contextualisés par une séquence de sport, c’est important pour les petits que les maths aient un sens qu’ils identifient directement, dans leur vie. La motricité sert aussi à faire des mathématiques, surtout en maternelle. »
« Moi je fais de l’EPS pour faire de l’EPS »
Christine lui répond aussi sec : « Tu vois moi j’ai un désaccord avec cette phrase : « La motricité ça sert à faire des mathématiques ». On ne dirait pas ça pour une autre discipline que l’EPS. Parce que ce qu’on fait avec les déménageurs, c’est de l’EPS. Du moins c’est dans des compétences physiques que moi je mets mes intentions didactiques. Là par exemple, l’enjeu de se déplacer en tenant compte des autres et de l’espace, c’est fondamental. Je sais bien que l’EPS peut être prétexte à mettre en jeu d’autres savoirs, surtout en langage d’ailleurs. Mais je pense qu’on doit tenir sur le fait que les compétences motrices, et là je dis « surtout en maternelle », sont un enjeu en soi. C’est pour ça que moi je fais de l’EPS pour faire de l’EPS, de la motricité pour développer de la motricité. Y’a des compétences motrices que les enfants n’ont pas l’occasion de développer chez eux ou du moins ailleurs qu’à l’école. Et on ne fait pas tant de sport que ça au final par jour.
Donc si ce peu de temps on ne le consacre pas 100% à des compétences motrices, on risque de passer à côté. La transversalité de l’EPS c’est un truc qui m’a toujours gênée, même si je vois bien ce que tu veux dire. En plus, si on laisse faire, un jour ce sera un truc qu’on va nous enlever à nous les profs des écoles tu crois pas ? »
Petite analyse : Christine et Sandra ont l’occasion de confronter deux manières de faire qui cachent des débats importants sur les enjeux de l’école, sur ce qu’on y fait et pourquoi on le fait. Sans qu’aucune des deux n’ait le dernier mot, ces moments où des professionnelles de l’éducation peuvent se disputer sur les critères du travail bien fait sont fondamentaux car ils permettent de faire vivre leur métier.
Et vous, profitez-vous de faire de l’EPS pour des notions transversales ?
Frédéric Grimaud