Magali est enseignante à Mayotte depuis la rentrée 2023. Les années précédentes, elle était dans l’Hexagone et depuis son départ dans l’île, elle raconte son quotidien de professeure des écoles dans un groupe de discussion avec ses ancien.nes collègues. On y découvre ses effectifs de plus de 30 élèves, le travail avec des enfants non francophones, la classe qui commence à 7h30 pour finir à 15h … et puis Chido ! Depuis le cyclone, Magali décrit la situation vue par une professeure des écoles de maternelle à Kangani, relatée ici sous forme de questions.
Tout d’abord, comment vas-tu et comment te sens-tu ?
Je vais bien ainsi que mon chien et aucune des personnes que je connais n’a été blessée. Par contre on se retrouve beaucoup sans toit. J’éprouve un peu de colère et beaucoup de tristesse. Mon logement est détruit mais, avec ma voisine, on en a trouvé un autre chez des gens qui vont être rapatriés, avec nos animaux de compagnie et les leurs. Je tourne dans le village et je visite toute la communauté des potes. Je participe à ma façon à la circulation des informations. Je prends des nouvelles de chacun-e et je donne celles que j’ai entendues. Personne n’est dupe. Ça va être long, compliqué et difficile.
C’est-à-dire ?
La tension monte un peu pour certaines personnes même si la plupart des gens, à Kangani, restent actives et bienveillantes. Il y aura un avant et un après. Pour l’instant, nous sommes toujours dans le pendant et ce que nous avons découvert après le passage du cyclone n’était que désolation. Les gens ici parlent de « guerre » et effectivement, on dirait ces paysages que l’on voyait sur nos livres d’histoire après une déflagration nucléaire. D’autres, souvent des mzougous, évoquent plus le tiers monde. Et c’est ça aussi.
Comment avez-vous été préparé.es à l’arrivée du cyclone ?
Si je retrace dans ma tête les heures précédant le cyclone avec les informations qui me sont parvenues depuis, je me pose des questions. Nous savions depuis plusieurs heures qu’un cyclone se dirigeait vers notre île mais la prévention restait minimale : confinez-vous, pensez aux réserves d’eau, aux conserves, aux bougies et aux allumettes et … c’est tout. Nous avons donc rangé nos classes en prévision du cyclone, notamment pour en faire des hébergements pour ceux et celles qui en seraient dépourvu.es après son passage. C’est de notre propre chef que nous avons fait cela, des collègues plus anciennes nous disant que notre école pourrait potentiellement être réquisitionnée, cela s’étant déjà produit dans le passé. Mais aucune consigne n’est venue de de notre hiérarchie. Il aura fallu attendre 16h30 (nous avons rendu nos élèves à leur famille à 15h après leur avoir dit de se tenir informé-e-s) pour avoir la confirmation que tous les établissements scolaires seraient fermés le lendemain. Les gens en ont profité pour aller faire les courses sur les axes menant aux grandes surfaces. Il y avait des contrôles de la police et de la gendarmerie. On comprend pourquoi les personnes vivant dans les bangas ne sont pas déplacées vers les écoles et les collèges et ont préféré rester sur place.
Et depuis ? Comment se sont passés les premiers jours ?
Les gens reconstruisent. On entend le bruit des marteaux sur les tôles. Tout le monde descend à la rivière pour laver le linge et se laver soi-même. Les risques de pollution des eaux sont grands. La semaine dernière, en allant à Mamoudzou, la vision des tôles, des conteneurs, fauchés, anéantis m’a profondément affectée. Combien de bidonvilles se sont reconstitués, pire que les bangas déjà insalubres ? Je ne saurais le dire. Mais on voit déjà de nouveaux bangas avec des tôles de toutes les couleurs, récupérées à droite et à gauche. Les gens sont regroupés, effarés, fatalistes. Pas de véhicules de pompiers ou de gendarmes, rien qui puisse rassurer, informer. Nous avons les infos par le bouche à oreille, avec toute sa part d’exactitude relative… À l’ heure où j’ écris, j’ ai une boule au ventre en pensant à cet anéantissement humain et environnemental.
Et depuis, comment vous organisez-vous ?
Récemment, avec une amie, nous sommes allées acheter quelques produits de première nécessité mais il n’y en avait plus (huile, farine, sardines, eau minérale…). On a pris ce qu’on a trouvé (thon, maquereau, spaghetti, jus de fruits…) avec des antiseptiques et des bandages pour soigner les bobos avant qu’ils ne s’infectent. On voit bien des hélicos dans le ciel avec des chargements suspendus mais, rien sur terre. Une copine de Koungou m’a confirmé qu’il n’y avait pas plus de distribution chez elle qu’à Kangani. L’organisation commence à être longue à se mettre en place. Quelques distributions de produits de première nécessité (mabawa pour le premier de l’an) ont débuté jeudi dernier pour ceux et celles qui sont les plus démuni-e-s. C’est l’appel à la prière depuis la mosquée qui sert à prévenir les gens. On a enfin apporté une citerne d’eau dans mon ancien quartier qui en était dépourvu depuis le cyclone. Mais il n’y a pas eu assez d’eau pour tout le monde. Elle doit revenir le lendemain. Pour l’électricité, ils devront encore attendre. Les camions poubelles chargent aussi les tas d’immondices. Les éboueurs ont des gants bleus et des masques du COVID sur la bouche et le nez. L’odeur est insupportable ! Samedi, nous allons faire ensemble une grande opération de nettoyage. Les mouches et les moustiques nous envahissent ! Et il y a énormément d’abeilles aussi. Elles semblent totalement déboussolées. Que dire des makis qui n’ont plus de branches pour s’abriter, plus de fruits pour se nourrir et qui deviennent si vulnérables !
Au-delà de ça, ce sont désormais les pluies diluviennes qui rythment notre quotidien. Elles apportent avec elles de la fraîcheur, de l’eau pour la végétation hachée par Chido mais aussi des glissements de terrain. Le cyclone a dévoilé ce que nous savions mais que les bananeraies cachaient : il n’y a plus d’arbres pour retenir les sols. Et avec les fortes pluies, ces coulées de boue entraînent des bangas nouvellement rebâtis avec eux. C’est ce qui s’est passé hier à Kaweni et qui risque de reproduire ailleurs.
Et côté Education nationale ?
Le lundi suivant le cyclone, le recteur a proposé aux personnels de l’éducation de se retrouver au rectorat, pour leur dire de ne pas baisser les bras et que tout allait être fait pour accueillir les élèves à la rentrée de janvier. Mais nos classes ont le toit écroulé, les portes arrachées… Ces propos seraient presque drôles dans une autre situation. Et puis je ne sais pas comment les collègues ont eu l’info de cette réunion. Il y avait visiblement quelques personnes présentes à qui il aurait été dit aussi qu’un rapatriement allait être mis en place. Une liste a donc circulé sur les réseaux sociaux sur laquelle il faudrait s’inscrire et noter les personnes qui vont nous accompagner. Mais rien n’est dit sur nos animaux de compagnie et, encore une fois, cette information ne parvient pas à tout le monde. Cela sonne comme une fake news, d’autant que l’aéroport n’est pas fonctionnel. Pourtant la rumeur circule que du personnel de l’éducation a quitté Mayotte et se retrouve à la Réunion. Qui ? Comment ? Il est très difficile d’avoir des informations fiables. Je continue à aller à la pêche aux infos.
Comment envisages-tu ce début d’année ? La reprise de l’école ?
Nous recevons des notes du préfet et du recteur qui s’accordent sur le fait que nous devons tout mettre en œuvre pour proposer une rentrée le 20 janvier. C’est dans pas longtemps et je me demande bien comment ce sera possible. D’autant qu’il faudra commencer par évacuer les gens qui sont désormais logés dans les établissements scolaires. Pour les placer où ? Leur demander de reconstruire des bangas à la va-vite ? Alors qu’on leur dit de ne plus le faire ? C’est un cercle sans fin. La reprise d’une vie ordinaire ne me semble pas encore à l’ordre du jour, loin de là.
Propos recueillis par Frédéric Grimaud
Les échanges avec Magali et d’autres enseignant.es de Mayotte vont continuer. Le Café pédagogique se tient aux côtés de la communauté éducative de l’île, des familles, des élèves.