« En tant qu’enseignants, nous jouons un rôle clé pour transmettre ces enjeux à nos élèves et les guider vers des solutions durables. L’objectif est de les sensibiliser non seulement aux bienfaits, mais aussi aux limites de ces technologies » écrit Romain Jeanneau. Dans cet article, cet enseignant de SVT souligne l’enjeu éducatif et environnemental autour de l’IA. Il nous expose quelques données pour éclairer ces questions.
L’essor de l’intelligence artificielle (IA) soulève des enjeux sociétaux et environnementaux majeurs, mais l’estimation de son impact environnemental reste toutefois complexe, en raison du manque de données fournies par les entreprises. En tant qu’enseignants, il est important de sensibiliser les élèves à ces problématiques pour encourager une réflexion critique et responsable sur les technologies de demain. Voici un état des lieux structuré en quatre axes : les ressources nécessaires, le coût énergétique, le bilan carbone et le rôle des crowdworkers (travailleurs en ligne).
Quelles sont les ressources nécessaires ?
La production et l’exploitation des technologies liées à l’IA nécessitent des ressources considérables :
- Minéraux et terres rares : Lithium, cobalt, néodyme… L’extraction de ces matériaux, indispensables pour fabriquer les puces et les composants électroniques, a des impacts environnementaux importants[2].
- Eau, principalement pour le refroidissement des data centers : En 2022, Microsoft a augmenté sa consommation d’eau de 34 % et Google de 22 %[3]. Pour 10 à 50 requêtes de ChatGPT, on estime la consommation d’eau à 0,5 litre selon Shaolei Ren, professeur à l’université de Californie[4].
- Énergies fossiles : Bien que les entreprises cherchent des alternatives, l’électricité nécessaire au fonctionnement des systèmes repose encore largement sur des sources non renouvelables.
Quel est le coût énergétique de l’IA ?
L’IA consomme d’importantes quantités d’énergie, tant lors de la phase de formation des modèles que pendant leur utilisation quotidienne :
- Phase d’inférence : Une simple requête ChatGPT consomme dix fois plus d’électricité qu’une recherche Google[5]. Générer une image par IA équivaut à la charge complète d’un smartphone, selon une étude conjointe de Hugging Face, Carnegie Mellon University et Allen Institute for AI[6].
- Refroidissement des data centers : Les systèmes de refroidissement consomment autant d’énergie que l’alimentation des serveurs eux-mêmes (source : AIE). Les solutions basées sur le refroidissement par l’eau déplacent cependant la problématique vers l’utilisation des ressources hydriques.
- Prévisions de croissance : La consommation énergétique de l’IA pourrait être multipliée par 80 d’ici 2030, selon la banque Wells Fargo[7]. Microsoft, Google et Amazon s’associent à l’industrie nucléaire pour répondre à cette demande croissante[8], qui pourrait représenter 4 % de la consommation mondiale d’électricité à cette date. À titre de comparaison, la France représente environ 1,5% de la consommation électrique mondiale en 2023.
Pour Antonio Neri, PDG de Hewlett Packard Enterprise, des innovations dans les domaines de l’efficience énergétique, du refroidissement et de la conception des data centers seront essentielles pour soutenir le développement durable des technologies d’IA[9].
Quel est le bilan carbone de l’IA ?
Les émissions de CO₂ des géants technologiques augmentent rapidement :
- Google a vu ses émissions augmenter de 48 % entre 2019 et 2023[10], tandis que celles de Microsoft ont bondi de 29 % sur la seule année 2023[11], en grande partie à cause de l’essor de l’IA. Ces hausses d’émissions remettent en question les engagements de neutralité carbone pris par ces entreprises
- Projections : Selon Lotfi Belkhir et Ahmed Elmeligi (2018), le « secteur de la tech » pourrait représenter 14 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre d’ici 2040[12].
Quel est le rôle des crowdworkers ?
Un autre aspect souvent ignoré de l’IA est le travail des crowdworkers, essentiels à son développement :
- Les crowdworkers, travailleurs temporaires sur des plateformes en ligne, jouent un rôle clé dans la formation des modèles d’IA en annotant des données et en accomplissant des tâches répétitives. Ce travail est souvent délocalisé dans des pays comme l’Inde, les Philippines ou le Kenya, où les travailleurs sont souvent payés moins de 2 dollars de l’heure[13].
- Ce modèle de travail mal rémunéré et précaire ne respecte pas les standards du travail décent, soulevant ainsi des questions éthiques sur la durabilité sociale de ce système[14]. L’ONU a exprimé ses préoccupations à ce sujet dans un rapport publié en 2018[15].
Conclusion : éduquer pour un usage raisonné
Bien que les technologies d’IA puissent contribuer à développer des approches plus efficaces pour un développement durable[16], leur impact environnemental nous invite à repenser leur utilisation et à privilégier des approches technologiques plus sobres. Par exemple, un seul GPU consomme environ 700 watts, et un datacenter spécialisé en IA en utilise des milliers ! En comparaison, le cerveau humain réalise des prouesses cognitives avec une consommation énergétique comparable à celle d’une ampoule basse consommation (20 watts) ! Ce même cerveau, qui a inspiré la conception des architectures informatiques basées sur les réseaux de neurones, pourrait désormais, espérons-le, servir de modèle pour créer des systèmes d’IA plus économes en énergie.
En tant qu’enseignants, nous jouons un rôle clé pour transmettre ces enjeux à nos élèves et les guider vers des solutions durables. L’objectif est de les sensibiliser non seulement aux bienfaits, mais aussi aux limites de ces technologies, en intégrant une approche critique et éthique dans leur formation.
Romain Jeanneau
[1] Par exemple dans la prédiction de la demande énergétique, l’optimisation de l’intégration des énergies renouvelables dans les réseaux électriques ou la conservation des écosystèmes
[2] http://eduterre.ens-lyon.fr/thematiques/mineraux-et-ressources-minerales/terres-rares/les-terres-rares
[3] https://next.ink/brief_article/datacenter-la-consommation-deau-explose-chez-microsoft-avec-34-de-hausse/
[4] https://arxiv.org/pdf/2304.03271
[5] https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S2542435123003653
[6] http://arxiv.org/pdf/2311.16863
[7] https://www.presse-citron.net/comment-lia-pourrait-enfin-arreter-dexploser-la-facture-delectricite/
[8] https://www.sudouest.fr/sciences-et-technologie/google-amazon-microsoft-pourquoi-les-geants-de-la-tech-investissent-des-milliards-sur-le-nucleaire-21806352.php
[9] https://www.lesechos.fr/tech-medias/intelligence-artificielle/lenergie-lautre-goulet-detranglement-des-champions-de-lia-2096901
[10] https://www.latribune.fr/climat/energie-environnement/google-voit-ses-emissions-carbone-exploser-a-cause-de-l-ia-1001368.html
[11] https://www.lemondeinformatique.fr/actualites/lire-avec-l-ia-le-bilan-carbone-de-microsoft-derape-en-2023-93750.html
[12] https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S095965261733233X
[13] https://time.com/6247678/openai-chatgpt-kenya-workers/
[14] https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0007681324001265
[15] https://www.latribune.fr/technos-medias/l-extreme-precarite-des-crowdworkers-les-ouvriers-du-clic-inquiete-l-onu-791717.html
[16] Par exemple dans la prédiction de la demande énergétique, l’optimisation de l’intégration des énergies renouvelables dans les réseaux électriques ou la conservation des écosystèmes