Après un premier trimestre bien rempli, le temps de vacances qui arrive est d’abord un temps partagé avec les proches et « en présence ». Alors que l’école sera mise entre parenthèses, les enseignants, les éducateurs mettent souvent à profit ces moments pour approfondir leurs connaissances, préparer la suite de l’année, et penser les projets en cours et à venir. Le numérique et l’Intelligence Artificielle ont continué d’alimenter nos réflexions, nos questionnements au cours de ce premier trimestre comme on peut le constater au vu du nombre de contributions et documents mis en ligne. Suivre des formations est toujours une possibilité, mais, les enquêtes le confirment, l’auto-formation et le travail entre pairs sont les sources principales du développement des compétences personnelles et professionnelles. Les enseignants sont traditionnellement des lecteurs de livres et documents divers (et pourtant ils liraient moins autour de leur métier) et ils accèdent volontiers à des podcasts, des vidéos et autres informations en ligne pour accompagner cette activité. Pour accompagner ce temps d’autoformation, nous proposons des lectures possibles pour cette période de repos. Chacun pourra, ou non, tirer profit de ces documents parus et mis en ligne (pas tous) récemment et qui pourront alimenter la réflexion et les échanges dans les mois à venir.
Des livres que l’on peut acquérir…
– Ce livre que nous avons récemment présenté Aksel Kilic, Jean Pau Payet, L’école du like, les nouvelles relations écoles-familles à l’ère du virtuel, (PUF, 2024) fait un état des lieux de liens école famille au travers de l’usage des plateformes de communication mises en place dans les établissements scolaires primaires (ENT et autres produits commerciaux). Une évolution réelle se fait jour dans les établissements primaires et dans la culture enseignante qui propose une nouvelle visibilité de l’école. Certes, ces pratiques ne sont pas vraiment nouvelles, mais c’est leur généralisation actuelle et souvent en dehors des propositions institutionnelles qui est le signe d’une évolution « culturelle » des enseignants de l’école primaire.
– Dans ce numéro de la revue de l’AFAE (Association Française des Acteurs de l’Éducation, École et Intelligence artificielle, Je t’aime, moi non plus ?, AFAE, n°183, 2024/3) il est question d’un point d’étape et de réflexion après deux années de déploiement de l’IA générative portée par l’irruption de ChatGpt dans l’espace grand public. Un ensemble d’articles tous très intéressants qui proposent un tour d’horizon des questions qui se posent actuellement. Si ce numéro ouvre de portes pour la réflexion, il n’apporte cependant pas un éclairage suffisamment avancé pour les acteurs impliqués au quotidien dans la salle de classe. On ressent, en creux, les craintes sous-jacentes et les mises en garde que les auteurs variés de ces articles portent, il conviendra d’approfondir à partir de là !
– Étonnant ouvrage publié Sous la direction de Yves Citton, Marie Lechner et Anthony Masure et al., éditeurs. « Angles morts du numérique ubiquitaire« . (Presses universitaires de Paris Nanterre, 2023, https://doi.org/10.4000/11tv9.) qui propose une sorte de glossaire composé de mots qui « tentent de relever certains angles morts dans nos visions dominantes de la numérisation de nos sociétés ». Ce glossaire permettra, en particulier à ceux qui sont le plus engagés dans le domaine du numérique éducatif, d’approfondir leur compréhension de ce qui se passe en ce moment dans notre société. Le principe du lexique permet de choisir ses entrées soit pour conforter, approfondir sa compréhension soit pour découvrir certaines notions. Parle d’angles morts, c’est permettre de regarder autrement une réalité qualifiée d’ubiquitaire parce que omniprésente. Rappelons ici qu’Yves Citton est l’auteur d’un ouvrage de qualité intitulé « Pour une écologie de l’attention » qui, dès 2014, nous invitait à penser le nécessaire équilibre qu’il nous faut préserver face aux tentatives de captation de cette attention, si importante pour conserver la force de choisir…
– Le développement du numérique et son usage par les jeunes peut faire rêver certains à de nouvelles possibilités de faire par soi même. Patrick Rayou publie un livre intitulé « L’autonomie des élèves, Injonctions, pratiques, inégalités, » (PUL, 2024). C’est justement cette autonomie qui doit être questionnée que ce soit face au livre, ou face au numérique. Pour l’auteur, l’autonomie est d’un apprentissage difficile. Il ne suffit pas de la décréter pour qu’elle soit active : nombre d’élèves sont capables d’autonomie en dehors de l’école, mais pas dans l’école : est-ce de la même autonomie dont il est question. En rappelant le travail d’Héloïse Dürler, on peut s’interroger sur la manière dont les enseignants se représentent l’élève autonome… L’auteur nous invite, dans un ouvrage dense, basé sur des travaux de recherche et une approche philosophique et pédagogique, à interroger notre utopie d’une « société sans école », pour reprendre le titre (mal traduit) de l’ouvrage d’Ivan Illitch…
Des publications, des enquêtes et des rapports qui éclairent notre compréhension du monde actuel
1 – Fatigués de s’informer, si on allait voir ailleurs
En premier lieu, à l’heure où l’Éducation aux Médias et à l’Information est devenu le deuxième pilier de la formation du citoyen dans un monde numérisé, la question de la fatigue informationnelle (jadis on parlait aussi d’infobésité), est posée dans cet ouvrage en ligne basé sur une enquête : Sébastien Boulonne, Guénaëlle Gault, David Medioni, L’exode informationnelle, enquête sur la fatigue informationnelle, Fondation Jean Jaurès 2024 https://www.jean-jaures.org/publication/lexode-informationnel/ . A la suite aussi des enquêtes menées par divers médias sur le rapport à l’information (Kantar, La confiance des
Français dans les médias, La Croix novembre 2023), il est nécessaire d’analyser cette fatigue qui semble se généraliser : Éduquer aux médias devient donc encore plus important alors que les radicalisations de toutes sortes se multiplient et où le renforcement des biais de conformité se trouve renforcé : qui écoutons nous encore ? que lisons nous ? Savons-nous encore engager une démarche de controverse ?
2 – Mieux connaître et comprendre l’évolution des compétences informatiques
Les jeunes français semblent avoir une maîtrise moyenne du monde numérique qui les entoure comme semble le signaler le rapport ICILS sur les élèves de quatrième, (https://www.iea.nl/fr/node/1446 , présentation française : https://www.education.gouv.fr/icils-2023-enquete-internationale-des-eleves-de-quatrieme-en-litteratie-numerique-et-pensee-357584 ). La note de la DEPP qui s’en fait l’écho est un peu éloignée du véritable intérêt de cette enquête en particulier sur ce qui est mesuré : littératie et pensée informatique. Il est intéressant d’aller lire l’ensemble des documents issus de cette enquête pilotée indirectement par l’OCDE (IEA étant affilié) car ils apportent les bases pour mieux connaître les véritables enjeux de cette évaluation : comment se forme la compétence en informatique et en littératie numérique.
3 – L’IA, un potentiel considérable, mais comment ?
Quand les élus tentent d’éclairer leur et notre compréhension, il y a souvent de bonnes lectures à faire. La délégation à la prospective (https://www.senat.fr/travaux-parlementaires/office-et-delegations/delegation-a-la-prospective.html ) met à disposition des vidéos et des rapports qui peuvent nous éclairer. En particulier, le rapport du Sénat sur IA et enseignement, https://www.senat.fr/travaux-parlementaires/office-et-delegations/delegation-a-la-prospective/detail-actualite/rapport-ia-n-3-3911.html , (document accessible ici : https://www.senat.fr/rap/r24-101/r24-101-syn.pdf ), qui concerne particulièrement ce qui se passe en ce moment autour de l’école et de l’enseignement. Constatant le « déjà-là » de l’IA dans l’enseignement, les auteurs évoquent aussi bien l’IA générative que l’IA adaptative (trop souvent passée sous silence) dont ils pressentent les effets possibles sur le métier d’enseignant. Le rappel d’une très inégale appropriation réelle des moyens numériques par les enseignants est une alerte pour ce qui est de l’IA. Bien sûr, les propositions d’action sont très mesurées et timides, reprenant des axes anciens et rassurants : « Il s’agit d’assurer les enseignants de leur place toujours centrale dans le processus éducatif ». Former, accompagner, évaluer, approfondir, des propositions bien générales et pas nouvelles qui révèlent l’embarras des élus face à cette évolution.
4 – Les adultes ne sont pas si différents que les jeunes…
Parler des compétences numériques des jeunes est une chose, mais elle ne doit pas laisser de côté la question quand il s’agit des adultes. C’est ce que propose l’OCDE dans le rapport PIAAC, 2024 sur les compétences des adultes en littératie, numératie et résolution de problèmes (https://www.oecd.org/fr/about/programmes/piaac.html). « Les adultes possèdent-ils les compétences nécessaires pour s’épanouir dans un monde en mutation ? » est la question centrale posée dans cette enquête (publiée le 10 décembre 2024). Alors que l’on parle de « numérique ubiquitaire » ou omniprésent, on observe que les adultes sont mis devant un fait technique qui, pour certains, leur est suffisamment éloigné pour que des « fragilités » soient identifiables. Le constat global est assez prévisible : les plus diplômés sont ceux qui maîtrisent le mieux ces compétences. S’y ajoute aussi le milieu social (les fameuses CSP, « catégories Socio Professisonnelles ») qui est un autre élément en corrélation forte avec le niveau de compétence. Les sociétés contemporaines (pays de l’OCDE) sont donc toutes inégalitaires dans ce domaine, ce qui conforte l’idée que le développement du numérique, à l’instar de l’écrit, permet aux plus nantis de capital culturel et social de conserver une forme de domination dans la société…
Bruno Devauchelle
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