Frédéric Grimaud relate des entretiens de professeur.es des écoles, qui parlent de leur métier, de l’organisation de leur travail, et de tous les choix auxquels le quotidien de la classe les confronte. Chaque semaine, retrouvez deux d’entre eux et d’entre elles qui expriment un point de vue différent sur la manière de faire leur métier, qui n’utilisent pas les mêmes outils pour réaliser leur tâche, qui ne font pas les mêmes gestes professionnels.
Les messages interfèrent non seulement avec ma vie privée mais aussi ma vie en classe.
Aude et Véronique débattent sur leurs manières de gérer l’usage des canaux de discussion (mails, réseaux sociaux, site de la classe en ligne …) avec les collègues, les parents ou l’administration. Toutes les deux s’accordent pour constater une inflation continue de ces échanges et du temps que cela prend sur la vie personnelle. Mais toutes les deux ne sont pas d’accord sur la gestion de ces nouveaux types de tâches professionnelles, notamment sur le fait de répondre aux messages immédiatement ou de différer :
Aude : « C’est un temps considérable que l’on passe sur nos ordis ou nos smartphones, et pas toujours utile en plus. Moi c’est quelque chose qui me perturbe beaucoup. On reçoit des messages en permanence, sur le groupe WhatsApp de l’école, sur Classroom … sans compter les mails. En vrai c’est ingérable et ça interfère non seulement avec ma vie privée mais aussi ma vie en classe. Maintenant, même quand je mets en mot dans le cahier de liaison, y’a des parents qui disent ne pas avoir eu l’info car j’ai pas envoyé de mail. Donc faut que je double tout, voire triple ! Bien sûr y’a de gros avantages avec tous ces outils numériques mais y’a aussi et surtout de gros changements dans notre façon d’organiser notre temps. Ça interfère avec tout. Alors moi déjà en classe ou dans la cour, pas de téléphone. C’est pas le cas de tout le monde et je ne veux pas devenir une prof tout le temps connectée. Donc déjà ça c’est une ligne rouge que je me fixe.
« Je tiens bon et j’essaye de ne pas utiliser mes messageries professionnelles au moins le week-end et les vacances »
Mais maintenant je me la fixe aussi sur mon temps de vie perso. Le week-end, les vacances ou quoi je déconnecte avec le travail. Mais je sais que je suis la seule car après je vois les messages que les autres se sont envoyés tout le week-end et j’hallucine. En plus y’a des infos importantes genre des trucs à savoir pour le lundi matin. Mais au milieu des autres messages, des mails … ben moi je rate beaucoup d’infos. Pourtant je tiens bon et j’essaye de ne pas utiliser mes messageries professionnelles au moins le week-end et les vacances. Ou alors je jette un œil mais je ne réponds pas. »
Véronique lui rétorque : « Mais comme tu dis, si tu ne regardes pas tes messages pendant quelques jours, tu peux être submergée ou même rater des infos importantes. Alors on n’a pas vraiment le choix je trouve. C’est quelque chose que je m’étais dit quand j’étais directrice à la maternelle. J’avais pas de temps de décharge suffisant et je recevais des messages en permanence. A un moment j’ai pensé comme toi et j’ai dit stop ! Je ne répondrai aux sollicitations que pendant mon temps de décharge. Mais en fait c’est impossible et après tu arrives à ta journée de décharge et tu la passes à lire, à répondre et aussi à transférer à l’équipe.
Transférer c’est un truc on se rend pas compte mais c’est chronophage. Je me suis aperçue qu’en vrai, en répondant immédiatement aux messages, tu gagnes du temps et tu te libères mentalement. Et je préfère savoir que c’est traité plutôt que de me dire dans ma tête : « y’a le message à envoyer aux familles, il faut répondre au texto de la collègue… » ou je ne sais pas quoi qui encombre mon esprit. Alors autant que possible, et même maintenant que je ne suis plus directrice, je réponds quand je vois le message. C’est du temps gagné en fait je pense. En tous cas dans mon esprit ça rentre dans la case « fait » et plus dans la case « à faire ». Après c’est sûr, si on me regarde on doit se dire « celle-là, elle est tout le temps sur son tel ! »… Et c’est vrai mais je préfère, au moins c’est fait. Même en classe ou en récré je l’avoue. »
Petite analyse : L’usage, et surtout l’inflation, des outils numériques dans le travail des professeur.es des écoles mérite d’être interrogé. Nous le savons depuis Mac Luhan, quand les outils changent, tout change. Mais les changements dans la culture professionnelle liés à l’usage des nouvelles technologies sont extrêmement rapides et il est difficile de prendre du recul. A peine un outil s’incorpore-t-il au genre professionnel que déjà il a changé de forme.
Et vous, face à cette inflation de messages, vous êtes plutôt comme Aude ou comme Véronique ?
Frédéric Grimaud
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