Le dispositif UPE2A est destiné à accueillir les élèves allophones nouvellement arrivé·es sur le territoire français pour leur permettre d’acquérir une maîtrise suffisante de la langue française et faciliter leur inclusion dans une classe ordinaire. Leurs parcours de vie, parfois traumatisants, sont divers, leurs nationalités différentes, certain.es n’ont jamais connu l’école, mais tous et toutes « ont en commun d’avoir dû quitter leur pays, leurs amis, une partie de leur famille, leur langue ». Dans Les Nouveaux venus la bédéaste Aurélie Castex nous invite à découvrir le quotidien d’une de ces classes, où l’a accueillie Sophie Delègue, enseignante à Paris dans le 19e arrondissement. Toutes deux répondent aux questions du Café pédagogique et évoquent cette année d’immersion partagée, riche en découvertes et en échanges…
Comment et pourquoi devient-on enseignante en UPE2A ?
Sophie Delègue : Ma carrière de professeure des écoles a débuté en maternelle à Paris, d’abord dans le 18e arrt, et en particulier à la Goutte d’Or, puis dans le 19e à Belleville. J’ai donc pendant 18 ans eu de très jeunes élèves dont la langue maternelle n’était pas le français, et ai dès mes débuts été interpelée par l’importance de l’enseignement du français comme langue de scolarisation, atout majeur dans la poursuite des études à venir. Un congé formation m’a permis de suivre un Master de Français Langue Seconde à la Sorbonne, qui m’a naturellement conduite vers ce dispositif. Cela fait maintenant 13 ans que j’enseigne en UPE2A, mais chaque jour est une découverte !
Comment fonctionne une classe d’UPE2A de primaire ? Quels en sont les objectifs ?
S.D : Depuis 2012, l’UPE2A, Unité Pédagogique pour Elèves Allophones et nouvellement Arrivés, est un dispositif destiné à accueillir les élèves arrivant de l’étranger et à leur permettre en un temps limité (un an, voire 15 mois pour les élèves non scolarisés antérieurement ENSA) d’acquérir à leur rythme le français de scolarisation qui leur permettra d’être progressivement totalement inclus en classe ordinaire. Après une évaluation initiale, une classe correspondant à leur âge leur est attribuée au sein de l’école, et un programme personnalisé est mis en place en UPE2A. Dès leur arrivée, les élèves suivent les cours d’Arts Visuels, de musique, et d’EPS avec leur classe. Ils sont aussi très rapidement inclus en cours de mathématiques si leur scolarisation antérieure le permet.
Dès l’arrivée de l’élève, l’apprentissage du français est bien sûr oral, mais il s’appuie aussi sur l’écrit car l’objectif de l’UPE2A est de permettre aux élèves de comprendre et de communiquer, mais aussi de lire, et d’écrire en français. Il est indispensable d’utiliser une pédagogie différenciée en fonction des besoins, et de varier les supports oraux, écrits, numériques, visuels, ludiques, musicaux, dans la classe ou en dehors de l’école. La reconnaissance des langues et des cultures d’origine, et l’appui sur celles-ci, jouent aussi un rôle très important dans l’appropriation de langue et culture françaises.
A quelles principales difficultés est-on confronté·e quand on enseigne dans ce type de classe ?
S.D : Il faut savoir que les élèves arrivent tout au long de l’année, le calendrier migratoire étant le plus souvent distinct du calendrier scolaire ! Une autre particularité de ce dispositif est de regrouper des enfants âgés de 6 à 11 ans, d’origines diverses, tant sur le plan géographique que social, et de degré de scolarisation antérieure très variable. Les élèves travaillent en petits groupes, en fonction de ce qu’ils ont à apprendre en priorité, ce qui les aide à acquérir une bonne autonomie. Le groupe est en revanche au complet lors d’événements les concernant tous : anniversaires, sorties (qui seront exploitées différemment selon l’âge et le niveau), accueil d’un nouvel arrivant, etc.
Mais si les difficultés rencontrées sont nombreuses et de natures variées, ce sont aussi sans doute aussi des situations d’enseignement très riches ?
S.D : Cette hétérogénéité fait la richesse de ce dispositif ! Les situations ne sont pas perçues de la même façon par tous et les séances prennent souvent un tour inattendu, sur lequel il est passionnant de rebondir, dans la bonne humeur. L’arrivée d’un nouvel élève permet à chacun de se sentir responsable, et aussi de prendre conscience de ses propres progrès. Chaque arrivée modifie l’équilibre du groupe, mais éveille aussi la curiosité des camarades, on se renseigne sur son pays, sa ou ses langues. L’accueil, toujours chaleureux, est primordial. Certains ont vécu des événements traumatisants, mais tous ont en commun d’avoir dû quitter leur pays, leurs amis, une partie de leur famille, leur langue. Il faut qu’ils se sentent les bienvenus et qu’ils prennent confiance, pour être disponibles et commencer à apprendre le français, pour construire ce qui sera leur avenir en France.
Comment est né votre projet d’immersion dans la classe ?
Aurélie Castex : L’immersion est pour moi une façon d’observer et de comprendre le sujet dont je parle et une façon discrète d’entrer dans un espace pour témoigner de ce que j’observe. Cela me permet de retranscrire directement sur le papier, dans mes carnets écrits et dessinés, ce qui se passe autour de moi et les scènes auxquelles j’assiste. J’avais déjà travaillé comme cela pour ma précédente bande-dessinée dans le monde agricole.
J’ai ressenti l’envie et le besoin de parler de l’école en découvrant celle de mes enfants. Je voyais les enseignants très engagés, auprès de tous les élèves d’où qu’ils viennent, faire face à des difficultés parfois inimaginables et dépassant le cadre de leur métier. J’ai pensé qu’une bande-dessinée documentaire pourrait être une façon d’ouvrir une porte sur l’intérieur de l’école dont on n’imagine pas réellement toutes les difficultés lorsqu’on n’y travaille pas.
Puis, le sujet s’est précisé. J’ai découvert l’existence de la classe UPE2A, dispositif précieux à l’intérieur de l’école pour accueillir les élèves nouvellement arrivés. J’ai eu envie de montrer également cet espace positif dans l’école. Par le directeur de l’école de mes enfants, j’ai rencontré Sophie, enseignante UPE2A, et je lui ai parlé de mon projet. Ce fut une belle rencontre, et Sophie m’a permis pendant une année de venir passer une journée par semaine dans sa classe pour réaliser cette bande-dessinée.
S’immerger ainsi dans une classe, cela ne va pas de soi. Comment y êtes-vous parvenue ?
A.C : Cela s’est fait petit à petit. Sophie m’a d’abord présentée aux élèves puis je me suis installée dans la classe à une table à hauteur d’enfant, à côté d’eux. Au début, ils étaient surpris et cela les amusait de me voir dessiner. Ils venaient voir ce que je faisais. Puis Sophie a instauré un petit temps spécial et régulier, à la fin de chaque jour, où ils pouvaient venir voir les dessins. Pour Sophie, tout est prétexte à parler français. Les dessins, comme ma présence, furent donc aussi un sujet de discussion en français pour eux. Petit à petit, ils se sont habitués à moi et m’ont oubliée. La vie de la classe a continué comme si je n’étais pas là. C’est l’avantage de venir juste avec un carnet et des crayons. On est assez discret.
A la lecture, on est frappé·e par la place donnée à la parole des enfants : pourquoi était-ce si important de faire entendre leurs mots ?
A.C : Il était en effet particulièrement important pour moi de retranscrire, le plus précisément possible et sans la dénaturer, la parole des enfants. Les enfants expriment à leur façon des vérités émouvantes sur leur situation, ils posent, avec des mots simples, des questions profondes sur notre monde d’adulte. Il était donc vraiment très important pour moi de respecter ce qu’ils avaient dit. Je voulais aussi qu’on puisse se mettre à la place de l’enseignante qui, face à ses élèves, apprend à les connaître au fil de ce qui se dit en classe.
Un an, c’est aussi tout le quotidien d’une école, et d’une équipe éducative, que l’on partage. Avez-vous été surprise par « l’arrière-cuisine » que vous avez découverte ?
A.C : J’ai été surprise lorsque j’ai commencé à m’intéresser à l’école par les enjeux sociaux énormes qui pèsent sur les épaules des enseignants. J’ai été très touchée de découvrir la solidarité des équipes enseignantes et leur engagement humain pour aider les familles ou enfants en détresse. J’ai découvert en effet, qu’une équipe enseignante, c’est non seulement des enseignants mais aussi une assistante sociale, un médecin scolaire, une psychologue scolaire. Des métiers complémentaires qui permettraient à l’école de bien fonctionner si ces équipes étaient au complet. Aujourd’hui beaucoup de postes sont malheureusement vacants.
Quel(s) message(s) aimeriez-vous que l’on retienne de cette lecture ? Quel bilan tirez-vous de cette expérience commune ?
A.C : Ce fut une expérience très riche sur le plan humain par les rencontres avec les enfants et les adolescents, et évidemment cette rencontre avec la formidable Sophie. Je suis convaincue que l’UPE2A permettant un accueil adapté aux enfants qui arrivent en France, d’où qu’ils viennent, est fondamentale pour qu’ils puissent continuer une scolarité dans de bonnes conditions et s’intégrer à notre société. J’espère que ce livre pourra en témoigner.
S.D : La magnifique BD d’Aurélie donne une visibilité aux classes comme la mienne, qui, bien qu’existant sous différentes formes depuis les années 70, sont en général très méconnues, elle devrait trouver sa place dans toute classe d’élémentaire. Elle met en valeur le travail et le courage de ces enfants déracinés qui, si on leur donne un coup de pouce à l’arrivée, sont capables de donner à leur tour le meilleur d’eux-mêmes et de suivre les études qui leur permettront de réussir aussi bien, sinon mieux, que leurs camarades natifs. Dès le début du projet est née entre nous une grande complicité, qui s’est transformée en réelle amitié au fil du temps nécessaire à l’élaboration de cet ouvrage, ce qui m’a aussi permis de découvrir un univers dont j’ignorais tout. J’ai eu grand plaisir à accueillir Aurélie et la magie de ses croquis dans la classe, et à échanger avec elle au sujet des enfants qu’elle a si bien compris et qui lui ont, à juste titre, offert leur confiance.
Propos recueillis par Claire Berest
Les Nouveaux venus, Aurélie Castex. Editions du Faubourg.
« Bouteilles radiophoniques à la mer ». Un projet à retrouver sur le site du Café pédagogique.
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