« Lancer une convention citoyenne sur l’éducation est un bon moyen pour ouvrir la réflexion au public » écrit Stéphane Germain. Dans ce texte, il revient sur la proposition de convention citoyenne dont il a déjà été question dans le Café pédagogique. Pour Stéphane Germain, la convention citoyenne permet d’interroger « la raison d’être de l’éducation » et « la capacité à créer le vivre ensemble et à permettre la construction d’un monde durable ».
L’idée d’une convention citoyenne sur l’éducation fait son chemin. D’abord limitée aux acteurs de terrain, bousculés dans leurs valeurs, leurs missions et leurs conditions de travail, la demande est maintenant relayée par les parents qui constatent eux-aussi la lente dégradation du service public. Pour beaucoup, sur un sujet complexe et délicat – celui de l’état actuel du service public d’éducation – après le rythme effréné des réformes de surface qui n’ont pas vraiment apporté de solutions, il apparaît que la France est arrivée au stade de la refonte de son système éducatif. Il s’agit de poser calmement, collectivement et lucidement, les bases d’un service public adapté aux enjeux de ce siècle. Dans ce processus, rassembler les parties prenantes de la manière la plus large manière possible semble nécessaire pour obtenir leur adhésion. Cela permet aussi de se prémunir contre toute forme d’instrumentalisation. Aussi, la création d’une convention citoyenne semble le moyen le plus adapté dès lors que la volonté collective est celle d’une transformation du fonctionnement existant.
A quoi sert l’éducation ?
La question de la refonte du service public d’éducation n’est pas propre à la France. Beaucoup de pays ont porté le débat sur l’éducation sur la place publique, ce qui a permis d’interroger collectivement le sens, les visées et les modalités de l’éducation. De fait, le débat public semble être un prélude indispensable : tant que l’opinion publique ne s’empare pas du sujet, tant qu’elle ne revendique pas la défense de son service public, la lente dégradation se poursuit et la refonte ne se produit pas. C’est pourquoi l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) – équivalent pour l’éducation de ce que l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) est à la santé – appelle clairement à « un nouveau contrat social pour l’éducation, afin de souligner l’’urgence de faire entendre et de prendre en compte les voix des enseignants ». Pour l’UNESCO, le débat public permet de faire naître un nouveau contrat social pour l’éducation et la voix des enseignants y a une place prépondérante.
Lancer une convention citoyenne sur l’éducation est un bon moyen pour ouvrir la réflexion au public. La question de la représentativité des parties prenantes à cette convention est une question centrale. Tout aussi centrale est la question des sujets à mettre sur la table. En la matière, une approche systémique, pour aborder le service public dans sa globalité, semble incontournable si l’objet de la convention vise effectivement la refonte. Aussi, le premier sujet, la première question que la convention devra être amenée à se poser – et sur laquelle elle va devoir se prononcer – est celle de la raison d’être de l’éducation.
Celle première question est celle du sens. A quoi sert l’éducation ? Il s’agit du « pourquoi » de l’éducation. Pas celui des objectifs mais celui de la finalité. Pourquoi les sociétés humaines se dotent-elles d’un service public d’éducation ? L’UNESCO a déjà traité le sujet au travers des conférences mondiales sur l’éducation et apporte des éléments de réponse : la raison d’être de l’éducation est d’apprendre à vivre ensemble et à construire ensemble un monde durable. Cette noble intention mérite d’être précisée.
Apprendre à vivre ensemble
Les établissements scolaires sont des lieux de socialisation. On pourrait même dire que les établissements scolaires sont les lieux principaux de la socialisation et de l’apprentissage du vivre ensemble. Dans les établissements scolaires de France, de l’âge de trois ans jusqu’à la fin de leurs études, les jeunes passent la plus grande partie de leurs journées à se côtoyer, à découvrir l’autre dans sa diversité, à s’enrichir des différences. Vivre ensemble est un apprentissage long et complexe. Il suppose une grande vigilance sur la façon dont les interactions se construisent entre les élèves. Oui, les établissements scolaires sont les lieux où l’on apprend le respect, la tolérance, l’ouverture d’esprit ; des lieux où l’on apprend à se connaître, à avoir conscience de soi, à se maîtriser, à communiquer de façon constructive ; des lieux où l’on apprend à développer des relations constructives, à résoudre des conflits, à coopérer avec les autres, etc.
Or de nos jours, à l’heure du numérique et des réseaux sociaux, cette socialisation citoyenne, au sens où elle s’effectue au profit de la construction collective, est directement concurrencée – menacée devrait-on dire ? – par la socialisation virtuelle que les jeunes entretiennent entre eux au travers des écrans. Il s’agit d’une menace, car les procédés de socialisation mis en œuvre ne sont pas ceux du respect, de la tolérance ou de l’ouverture d’esprit. A bien des égards, pour les jeunes, les réseaux sociaux semblent être des lieux d’apprentissage du rejet de l’autre et de ses différences, des lieux de construction sociale de la personnalité centrée sur soi et sur les apparences, des lieux générant des processus de pensée excluants posés comme des entraves à l’intelligence collective. Il s’agit d’une menace car la cyberviolence engendrée par les réseaux sociaux se prolonge dans les établissements scolaires et « altère », en quelque sorte, les processus habituels de socialisation.
C’est pourquoi il devient nécessaire d’adopter une posture plus active sur l’apprentissage du vivre ensemble. C’est pourquoi, l’OMS a préconisé à partir de 2001, l’apprentissage des compétences psychosociales dans les établissements scolaires. C’est pourquoi le Parlement européen, reprenant une recommandation de l’OCDE, a proposé dès 2006, qu’un des huit domaines du socle commun de compétences concerne les compétences sociales et civiques. C’est pourquoi, en 2008, le Conseil de l’Europe a proposé un Guide pratique sur l’éducation à citoyenneté mondiale. C’est pourquoi, l’UNESCO a élaboré, en 2015, le référentiel de compétences pour l’éducation à la citoyenneté mondiale.
Ecole de la république
Si les établissements scolaires sont les lieux principaux de la socialisation, apprendre à vivre ensemble suppose d’aller à l’école ensemble. En France, de manière implicite, « l’Ecole de la République » désigne cette institution qui accueille et rassemble les enfants de la République, – c’est-à-dire l’ensemble des élèves, sans distinction de culture ou de catégorie sociale – car c’est ensemble qu’ils apprendront à socialiser et à devenir des citoyens de la République. Mais cet implicite est battu en brèche dans beaucoup d’endroits. Après des années passées à prôner la réussite individuelle des élèves, la compétition interne, la comparaison des établissements scolaires et le classement généralisé, « l’école de la réussite » semble avoir supplanté « l’école de la République » dans les inconscients comme dans les faits. L’école de la réussite – la meilleure école pour l’enfant – est revendiquée par de nombreux parents qui affichent ostensiblement la volonté de sortir du creuset républicain en reniant l’apprentissage du vivre ensemble pour privilégier ceux qui favorisent une poursuite d’études prestigieuses. A certains égards, l’institution encourage cette fuite vers l’école de la réussite puisqu’elle fournit elle-même le classement des établissements permettant la plus grande réussite. Les critères utilisés – la somme des réussites individuelles – sont éloquents et très éloignés de ceux qui caractérisent l’école de la République : la capacité à créer le vivre ensemble et à permettre la construction d’un monde durable.
Car si on devait caractériser la capacité d’un établissement scolaire à être une école de la République, le premier critère serait assurément celui de la mixité sociale. Il faudrait que les autorités éducatives se penchent sur la création d’un indice de mixité sociale et que celui-ci soit communiqué pour chaque établissement. Cet indice serait une fierté pour les personnels qui défendent l’école de la république. Sa généralisation à tous les établissements permettrait d’apporter de la nuance. Il permettrait de montrer que le phénomène de contournement de l’école de la République ne se résume pas à un duel public-privé. Car dans la plupart des zones rurales où ils sont implantés, principalement dans l’Ouest de la France, les établissements privés accueillent la même diversité sociale et culturelle que leurs homologues publics. A l’inverse, on peut légitimement s’interroger sur la mixité sociale de certains établissements scolaires, qu’ils soient publics ou privés, de l’hypercentre des grandes agglomérations urbaines. Une convention citoyenne permettrait-elle de faire reconnaître et émerger des critères de mixité sociale dans une logique de refonte du service public d’éducation ?
Construire ensemble un monde durable
Pour l’UNESCO, l’apprentissage du vivre ensemble n’est pas le seul aspect de la raison d’être de l’éducation. Celle-ci doit aussi permettre aux élèves d’apprendre à construire un monde durable. A bien y réfléchir, tous les systèmes éducatifs, ceux des pays démocratiques comme ceux des régimes autoritaires, ont pour finalité de construire le monde de demain puisqu’ils ont pour mission de former les élèves à des capacités qu’ils pourront mettre en œuvre dans leurs vies d’adultes. Toute la question repose donc sur la vision du monde qui est portée par le système éducatif. S’agit-il d’un monde mécanique où les élèves sont amenés à reproduire ce qu’ils ont appris ? S’agit-il d’un monde libéral où les élèves apprennent à être en compétition pour réussir mieux que les autres ? S’agit-il d’un monde de coopération où les élèves apprennent la fabrique du consensus et la mobilisation les procédés d’intelligence collective ? Pour l’UNESCO, la vision du monde est celle de la durabilité. Il s’agit de faire prendre conscience aux élèves des limites de la surexploitation des ressources et de l’accaparement des richesses tout en leur montrant la formidable capacité de transformation collective dont ils disposent. En d’autres termes, pour l’UNESCO, l’éducation au développement durable est une raison d’être. En France, une convention citoyenne permettra-t-elle de faire reconnaître cette finalité ? Permettra-t-elle réellement la prise de conscience collective du pouvoir transformateur de l’éducation ?
Stéphane Germain
« Il est temps de rêver gros et grand pour notre École publique » (FCPE)
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