Quelques jours après la publication de l’Observatoire des inégalités, la FCPE consacrait samedi 7 décembre 2025 un colloque national à la pauvreté : « Ce que la pauvreté fait à l’école. Ce que l’école fait de la pauvreté ». Pour renouer avec cette tradition, la FCPE a choisi Jean-Paul Delahaye, ancien Dgesco comme grand témoin. L’Inspecteur Général honoraire avait placé en 2015 ce sujet au cœur du rapport « Grande pauvreté et réussite scolaire, le choix de la solidarité pour la réussite de tous ». La journée a réuni différents acteurs et actrices du secteur éducatif – élus, associations, universitaires, personnels éducatifs, parents d’élèves : les interventions de Najat Vallaud Belkacem, du député Benjamin Lucas, de la conseillère régionale Céline Malaisé, de la présidente d’ATD Quart Monde Marie-Aleth Grard, de l’historienne Laurence de Cock ont accompagné les témoignages des parents d’élèves, des personnels de l’Éducation nationale et des associations. Plaidant pour une convention citoyenne, la FCPE aurait-elle lors de ce colloque entamé l’exercice ?
1 enfant sur 5 vit sous le seuil de pauvreté
« L’école n’est pas responsable de tout », « point positif de notre école : le niveau de formation des jeunes s’est considérablement élevé au cours de ces dernières années » déclare Jean-Paul Delahaye en rendant hommage au personnel éducatif et au soutien des collectivités. Il poursuit « l’école est le reflet du climat social et de la sécession des riches ». Pour lui, ce « colloque permet d’ouvrir les yeux sur la fabrique des inégalités sociales en France ». Aujourd’hui, encore, la France est l’un des pays de l’OCDE où l’origine socio-économique conditionne le plus le destin scolaire et les évaluations Timss publiées la semaine dernière confirment l’écart de réussite entre élèves favorisés et moins favorisés. Florence Prudhomme, la Secrétaire Générale de la FCPE ouvre la série des table-rondes du colloque sur des questions : Comment vivre sa vie d’élève quand on est mal logé, quand on est mal soigné, quand on a du mal à payer les fournitures ? Comment apprendre dans de bonnes conditions ?
« 1500 élèves pour moi toute seule »
« La pauvreté n’est pas une abstraction et elle s’insinue dans l’école de multiples façons » déclare le président de la FCPE Abdelkrim Mesbahi. Aurélie Dufrene, infirmière scolaire à Avignon, a témoigné de la réalité de la pauvreté : « Mon métier n’est pas facile, il me ramène chaque jour à ce qu’est la pauvreté ». Elle décrit des « enfants qui n’avouent pas qu’il n’y a pas à manger » et sa lucidité dans un système, qui n’apportera pas de réponse : « Je fais des orientations, des papiers, mais je sais que ce ne sera pas possible pour eux d’aller se soigner ». Le prix des bilans, non remboursés est hors de portée des enfants et elle sait que « les autres services publics, non plus, n’ont pas les moyens ». « On rame avec ce qu’on n’a pas » dit-elle.
L’invisibilisation de la pauvreté
L’historienne Laurence de Cock souligne « les raisons structurelles et historiques d’un ascenseur en panne » : « dès le début, ce sont des enfants qui n’apprennent pas à se fréquenter » rappelle-t-elle au sujet de l’école de Jules Ferry. Elle relève que depuis « 2017, il y a une accélération rapide et brutale des inégalités structurelles » dont Parcoursup peut être le révélateur mais aussi « le choc des savoirs » qui est « une violence faite aux classes populaires ». Marie-Aleth Grard qui préside le mouvement ATD Quard Monde rejoint ce constat et parle d’« un mépris pour les plus pauvres que nous n’avons jamais vu » : leur courrier au gouvernement n’a pas de réponse.
Une part de responsabilité de l’école : reproduction des inégalités, « braquage » du privé
Si l’école publique est au bord du gouffre, elle a sa part de responsabilité dans son rôle dans la reproduction des inégalités : « l’école est faite pour un enfant de prof, il sait exactement ce qu’on attend de lui » résume Laurence De Cock. La conseillère régionale en Ile-de-France Céline Malaise (PC) pointe la responsabilité d’un système qui finance l’école privée sous contrat au détriment de l’école publique. Rappelant que l’école privée sous contrat scolarise des enfants plus favorisés, elle dénonce les financements non obligatoires que versent les collectivités, avec des exemples de la région Ile-de France. L’enquête Médiapart a révélé qu’1, 2 milliard de fonds publics au-delà des obligations données avait été versé aux établissements privés sous contrat depuis 2016.
Le séparatisme dans l’École
L’ancienne ministre socialiste de l’Éducation nationale Najat Vallaud Belkacem dénonce également le « détournement d’argent » du privé et « le séparatisme qui est à l’œuvre partout sur le territoire, pas seulement dans les quartiers défavorisés ». « Subventionner le privé tout en ne lui imposant aucune contrainte est une exception française » rappelle-t-elle. Elle déclare « le compromis entre la droite et la gauche en matière d’éducation n’existe pas. Le programme de la droite est de pousser tous ceux qui peuvent le faire vers l’enseignement privé. » Quand « 9 enfants sur 10 en situation de handicap sont dans le public, le privé ne contribue pas comme il le devrait à l’éducation » affirme-t-elle.
« Ce dont souffre l’école, c’est de la prégnance et de la violence des inégalités, et non pas des questions d’ordre, d’autorité »
Pour le député des Yvelines Benjamin Lucas (Génération.s), « Ce dont souffre l’école, c’est de la prégnance et de la violence des inégalités, et non pas des questions d’ordre, d’autorité ». Il plaide pour un droit aux vacances pour toutes et tous, rappelant que 40% de Français ne partent pas en vacances. Il a d’ailleurs construit avec ATD Quart Monde une loi déposée en 2023, et évoque le rôle des vacances dans la construction de la confiance en soi et a fortiori dans la stigmatisation. Le député des Yvelines explique que « l’argent dédié au SNU devrait être alloué à un fonds de soutien pour les associations d’éducation populaire ».
Les tables rondes ont dressé un tour d’horizon des inégalités, de leurs reproductions, d’une École qui va mal, mais des notes d’espoir ont résonné durant la journée. La Maire d’Avignon Celine Helle (PS) a ouvert la journée sur des actions de la municipalité en faveur de l’Ecole, de lutte contre les inégalités. Elle a municipalisé la restauration scolaire, baissé les tarifs dans sa Ville où 30% des enfants paient moins d’1 euro leur repas. La fréquentation a augmenté, tout comme l’accès au centre de loisirs.
« La lumière dans les yeux des enfants »
Des témoignages de parents, des associations et de personnels de l’Éducation nationale ont également apporté des expériences positives dans l’école, des exemples de réussite et d’actions de terrain. Il y a (encore) dans l’École une formidable vitalité pour les élèves. Les inégalités ne sont pas une fatalité : il existe des leviers et des solutions mises en avant durant la journée.
Chrystèle Boulard, professeure d’éducation musicale dans un collège REP+ d’Avignon a présenté un projet de comédie musicale pour ouvrir les horizons des élèves, qui leur donne confiance en eux. Elle raconte les bienfaits et effets positifs de ce projet collectif et interdisciplinaire sur ces élèves en termes de réussite scolaire, de cohésion. Comment fait-elle pour mener chaque année ce projet pharaonique depuis plus de 20 ans s’étonne-t-on dans la salle : « la lumière dans les yeux des enfants » répond-elle.
Pour Jean-Paul Delahaye, grand témoin du colloque national, face aux attaques réactionnaires du pouvoir en place, aujourd’hui « l’école a besoin d’un choc citoyen de fraternité ».
Djéhanne Gani
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