Vous ne le connaissez sans doute pas, mais il y a de grandes chances pour que vous l’ayez indirectement croisé… à travers les outils qu’il met gratuitement à disposition de la communauté éducative, et qui rencontrent un succès fracassant. « Digipad » est le plus connu, mais une escouade de petites applications ont été développées, chacune avec l’ambition de n’avoir qu’une seule fonction. Emmanuel Zimmert, leur unique créateur, est pourtant loin d’avoir un parcours académique qui le préparait à cette aventure. Le Café l’a rencontré.
Quel est ton parcours ?
J’ai commencé par des études dans le domaine culturel, et j’ai eu l’opportunité de découvrir le champ du « Français Langue Etrangère » (FLE) et j’ai poursuivi un cursus en Sciences du Langage. J’ai alors fait plusieurs missions dans différents pays pour le ministère des Affaires Étrangères, pour enseigner le FLE puis former des enseignants à l’utilisation du numérique en contexte éducatif, et produire des ressources tout en réfléchissant à l’usage éthique. Mon passage comme chef de projet numérique au CAVILAM-Alliance Française à Vichy a été déterminant, car le centre était bouillonnant de créativité, accueillant plus de mille enseignants du monde chaque année en formation. Aujourd’hui je suis attaché de coopération pour le français à Copenhague, pour l’Institut Français du Danemark. Mais la Digitale, c’est un projet que je mène sur mon temps libre hors du travail.
Tu t’es formé seul ?
Tout à fait, purement autodidacte. J’ai eu un ordinateur très tardivement, à l’université, mais depuis le milieu des années 90, dès l’âge de douze ans je lisais des revues sur l’informatique. J’ai commencé à trifouiller, à tester, à creuser les distributions GNU/Linux comme Mandriva ou Debian, pour comprendre comment fonctionnent les systèmes d’exploitation.
J’ai toujours privilégié l’Open Source et la gratuité, parce j’avais peu de moyens et que je travaillais dans des milieux où les professeurs n’en n’avaient pas plus. J’avais la volonté de lier l’enseignement du français et le numérique. En Inde du Sud, j’ai eu à fédérer la communauté des professeurs de français en créant un réseau social artisanal sous WordPress. J’ai ensuite commencé à creuser le PHP, parfois sans trop comprendre, lorsque je voulais une fonctionnalité que je ne trouvais pas toute prête. Puis j’ai trouvé Stack OverFlow pour récupérer des bouts de code, en cherchant toujours à développer en français dans le code source. Avec beaucoup de tâtonnements et d’essais-erreurs !
D’où vient la philosophie « La Digitale » ?
En début de COVID, on passe brutalement en ligne, et les collègues formateurs avec qui je travaille à Vichy se retrouvent en difficulté avec les outils comme Padlet qui connaissent de fortes affluences. Et comme j’avais dans un coin de mon disque dur un outil qui ressemblait à ce que deviendra Digipad, je l’ai mis à disposition des collègues qui ont été mon réseau de testeurs pour me renvoyer des propositions précieuses d’amélioration. On était dans l’urgence.
Le projet « La Digitale » est venu progressivement de ma pratique de formateur cherchant à ce que les collègues repartent avec des outils utilisables. C’est Framasoft qui m’a montré le chemin avec la FramaKey qui permettait de repartir avec une clé USB remplie d’outils et de logiciels libres. Je voulais quelque chose de simple, où les collègues ne passent pas un temps fou à paramétrer des logiciels usine-à-gaz, mais repartent avec des ressources utilisables pour l’enseignement du français.
Mais avec le distanciel, tout devenait plus compliqué, et j’ai commencé à développer des outils en ligne, accessibles sans créer de compte, en proposant des outils auxquels les enseignants puissent faire confiance hors des outils du marché pas toujours recommandables, parce que porte d’entrée vers de la publicité, ou proposant des offres qui passent du gratuit au payant…
J’ai donc cherché à reproduire des outils que j’aimais utiliser, avec le retour de centaines d’enseignants qui me disaient « j’aimerais que ça fasse ça », comme des briques simples que je développais le week-end, en cherchant des projets courts, réalisables en quelques heures. D’ailleurs, aucun de mes outils n’est réellement fini : je fais une première version utilisable, mais rustique, que j’améliore au fur et à mesure si je rencontre une demande.
Quel est actuellement le « hit-parade » des ressources de La Digitale ?
Le vaisseau amiral est évidemment Digipad, qui me demande le plus de temps du fait du nombre d’utilisateurs. La rentrée est toujours un moment délicat, qui me vaut des sueurs froides du fait du pic d’utilisateurs qui peut faire craquer mon serveur. Quand j’ai plusieurs dizaines de milliers d’utilisateurs qui font des requêtes à la même heure, la technique peut être mise à genoux, d’autant plus que les bases de données des utilisateurs sont volumineuses. Je me suis retrouvé cette année avec des centaines d’e-mails par jour qui s’inquiétaient, sans que je puisse réellement communiquer sur la nature du problème ni pouvoir réagir avant de sortir du travail !
Digiscreen, un fond d’écran interactif pour la salle de classe, est aussi très utilisé, et est très facile à enrichir. Sinon, Digiflashcards, Digimindmap ou Digiwords, Digistorm, Digiview, tout ce qui permet de créer des interactions pour la classe ou de se protéger de la publicité Youtube est très utilisé.
D’où vient le nom « La Digitale » ?
C’était le premier jour où on avait le droit de sortir après le confinement, je me promenais seul dans la forêt autour de Vichy et je testais Pl@ntNet, une petite application pour reconnaitre les plantes. J’ai vu cette fleur que je n’avais pas souvenir d’avoir déjà vue. Son nom m’a marqué, je l’ai noté dans un coin. Il m’évoquait la question de la traduction des anglicismes, et « digital » m’a toujours fait bondir, comme mauvaise traduction de « numérique ». J’y ai donc vu un joli clin d’œil, même si on m’a beaucoup dit que c’était un mauvais choix marketing. Ça m’a amusé à l’époque, n’ayant aucune ambition de ce point de vue !
Mais je me dis souvent qu’il faut que je pense à créer un vrai logo qui intègre cette fleur.
D’où vient ta nouvelle proposition « Digidrive » ?
Tout simplement d’utilisateurs qui me demandaient comment ils pouvaient m’aider. Il faut bien dire que je n’ai jamais conçu la Digitale en imaginant que mes ressources servent à autant de personnes. C’est pour ça que chaque brique reste autonome, y compris avec une volonté de ma part de responsabiliser les utilisateurs (nécessité de prendre en note le lien et les informations de connexion, par exemple). Les utilisateurs me demandaient comment rassembler les adresses de leurs différentes ressources utilisées, mais aussi leur souhait d’avoir un « compte » leur permettant de tout retrouver. J’ai pris du temps pour le faire, là encore en faisant simple, et avec l’idée d’une contrepartie offerte aux personnes qui me soutiennent financièrement. Ce n’est pas un produit, mais un petit plus de confort supplémentaire.
Aujourd’hui les finances ne sont pas critiques, mais j’ai très peu de visibilité pour savoir si dans quatre mois j’aurai de quoi faire tourner les onze serveurs de la Digitale, un peu plus de mille euros par mois.
Quelle relation as-tu avec ta communauté ?
A l’ancienne, parce que je suis très peu adepte des réseaux sociaux. J’ai des retours par e-mails, sur ce qui ne marche pas, mais aussi sur ce que les gens font des outils, ou ce qu’ils aimeraient voir amélioré. Mais ce sont surtout les échanges pédagogiques qui me font plaisir, ou l’accompagnement sur des testeurs de nouvelles fonctions.
Je n’ai pas de communauté de développeurs, c’est sans doute un point faible, mais pour l’instant je n’ai pas de réel besoin.
Un point que tu voudrais ajouter ?
Oui. La philosophie du Libre m’est venue plus tardivement, mais c’est aujourd’hui central pour moi. La Digitale est une merveilleuse porte d’entrée pour engager la discussion sur le logiciel libre et ses valeurs et ce avec tout type de public (professeurs, élèves, institutions, etc.) tout en transmettant l’idée de simplicité et de sobriété, dans un monde où le numérique devient de moins en moins soutenable.
Propos recueillis par Patrick Picard
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