Une invitation à la lecture
L’ouvrage, très bien documenté, se lit d’abord comme un magnifique livre de contes et légendes, dans lequel se déploie tout un monde peuplé de divinités et êtres surnaturels. On commence par les Kami, divinités incarnées dans tous les éléments de la nature, qui n’ont rien à envier aux dieux de l’Olympe. Répartis entre « Kami Parents du Monde », « Kami du Ciel » et « Kami de la Terre », ils constituent un panthéon merveilleux nourri de passions, rivalités et trahisons. Suivront les Yōkai, êtres fantastiques et farceurs, « qui se manifestent sous de multiples formes » : femme-serpent suceuse de sang, chats aux pouvoirs magiques, objets abandonnés en quête de vengeance …, puis dragons et personnages légendaires aux dons extraordinaires.
Chaque créature fait l’objet d’un récit sur deux pages, suivi d’une double page qui vient préciser, en quelques courts paragraphes, ses caractéristiques physiques et vestimentaires – avec un grand souci du détail – ou certain·es de ses prérogatives et attributs. On lit à son rythme, on apprend une anecdote, on scrute les légendes et dessins inspirés de documents photographiques, on s’émerveille devant les somptueuses représentations colorées qui évoquent l’art de l’estampe du peintre et dessinateur Hokusai … Une invitation à la lecture active, personnelle ou partagée.
D’hier à aujourd’hui
Ainsi approfondit-on peu à peu aussi ses connaissances, en mettant en perspective l’univers merveilleux des mythes qui trouvent « leurs sources dans les recueils de textes et poèmes composés au 8e siècle pour les deux principaux : le Kojiki, « Livre des antiquités », ainsi que le Nihonskoki, « Chroniques du Japon », et leur signification et présence aujourd’hui. Cet univers invisible « émanant des religions shintoïste et bouddhiste » est en effet encore très présent dans la vie quotidienne du Japon. L’ouvrage s’emploie régulièrement à en faire l’illustration, à travers l’évocation de fêtes ou de festivals, de monuments ou de sanctuaires, mais aussi d’objets porte-bonheur ou de plats et traditions. Une manière de découvrir une autre culture et de confronter son passé à son présent, en découvrant aussi l’origine de nombreuses créatures « qui ont inspiré les super-héros des enfants : Pokémon, Naruto, Totoro, Mario… », présentes dans les mangas, jeux vidéos et animes.
Avec des lecteurices un peu plus âgé·es, on pourra aussi interroger la permanence de certains de ces mythes d’une culture à l’autre, leurs significations et leurs fonctions. Quels points communs entre Izanaki allant chercher sa bien aimée Izanami aux enfers et Orphée cédant à la tentation de se retourner vers Eurydice ? Entre une cosmogonie qui décrit « aux premiers temps du monde, la Terre semblable à une tâche d’huile qui flotte et dérive…», et le chaos « masse grossière, informe, qui n’avait que de la pesanteur, sans action et sans vie, mélange confus d’éléments qui se combattaient entre eux » des Métamorphoses d’Ovide ? Entre la Méduse aux serpents de Persée, et le « corps à tentacules, mou et sans cerveau » de celle du roi-dragon Ryūjin ?…
Un superbe album « entre mythologie japonaise et culture pop », et une très belle occasion à saisir pour créer des ponts entre différentes cultures et expressions artistiques, et entre différentes générations…
Claire Berest
