Le coup de grâce des groupes de niveaux viendra-t-il du Conseil d’Etat ? Sur la forme, le ministère doit revoir sa copie pour maintenir cette mesure phare du choc des savoirs. Monique de Marco, ancienne enseignante, et sénatrice écologiste de la Gironde avait déposé le 24 avril 2024 un recours auprès du Conseil d’Etat contre le Choc des savoirs. Le rapporteur public du Conseil d’Etat vient de demander l’annulation des groupes de niveaux et a rendu publiques ses conclusions mercredi après-midi. La sénatrice répond à nos questions après avoir pris connaissance des arguments.
Pourquoi avoir déposé un recours auprès du Conseil d’État contre la réforme du « choc des savoirs » ?
Alors que le gouvernement n’écoute ni la communauté éducative, ni le Parlement, cette action en justice est complémentaire aux nombreuses mobilisations de la communauté éducative. Cette réforme n’a jamais été débattue au Parlement, et elle est unanimement rejetée par les enseignants. Le gouvernement a voulu la faire passer en force et dans la précipitation. Au-delà de notre opposition sur le fond de la réforme, il y a un véritable problème démocratique sur la forme. Le gouvernement ne pourra pas éternellement gouverner par arrêtés et décrets, au détriment du débat démocratique et de la concertation.
D’un point de vue juridique, nous considérons que plusieurs articles sont contraires aux principes fondamentaux du Code de l’éducation et du Code général de la fonction publique, comme l’article 4 sur les « groupes de niveau » ou le principe de « volontariat » des enseignants. Nous attaquons également la forme puisque le gouvernement aurait dû prendre un décret et non un arrêté pour créer les groupes de niveau. L’outil juridique qui a été utilisé n’est pas celui qu’il faut pour une réforme aussi importante, il ne permet pas la concertation nécessaire.
C’est pour toutes ces raisons que j’ai déposé en avril dernier un recours au Conseil d’État contre la réforme du « choc des savoirs » avec le soutien de parlementaires écologistes, d’enseignants et de parents d’élèves.
Quelle est la position du groupe écologiste sur cette réforme et de manière plus générale sur la politique menée par le gouvernement ?
Les Écologistes ont toujours dénoncé la réforme du « choc des savoirs » et en particulier la mise en place de groupe de niveaux au collège. Cette réforme est un nouvel affront aux valeurs républicaines. Elle institutionalise le tri social et aggrave les inégalités scolaires au détriment des plus fragiles et de la cohésion sociale. Il s’agit d’une rupture d’égalité majeure, contraire aux principes fondamentaux de l’École républicaine.
La mise en place de « groupe de niveau » ou « groupe de besoin » contrevient au principe du collège unique hérité de la loi Haby du 11 juillet 1975. Il s’agit d’un retour en arrière sans précédent, en revenant sur des décennies d’acquis pour la démocratisation scolaire. Nous le redisons avec force, notre École n’a pas besoin d’un « choc des savoirs ». Elle a besoin d’un choc de moyens et d’un choc d’égalité. L’École publique doit être un rempart face aux inégalités.
Le projet écologiste en matière d’éducation c’est le projet scolaire de l’École publique. Nous considérons que chaque enfant doit recevoir des pouvoirs publics les mêmes moyens consacrés à son éducation et à son émancipation, quelle que soit son origine ou sa situation géographique. D’ailleurs, toutes les études montrent que la mixité scolaire permet de tirer l’ensemble des élèves vers le haut et qu’il s’agit du meilleur levier d’élévation du niveau.
Les réformes se multiplient et les ministres se succèdent dans le plus grand mépris de la communauté éducative. Depuis que je suis élue, j’ai connu 6 ministres différents à l’Éducation nationale…
Alors que le budget de l’Éducation nationale a subi une baisse de 700 millions d’euros par décret, en février dernier, et que le budget pour 2025 prévoit la suppression de 4000 postes d’enseignants, nous demandons un plan d’urgence. La priorité n’est pas à un acte II du « choc des savoirs » mais au déblocage de moyens humains et financiers pour permettre à notre École d’accomplir ses missions de service public.
Que pensez-vous des conclusions du rapporteur ?
Le rapporteur public du Conseil d’État vient de présenter ses conclusions lors d’une audience à laquelle j’ai pu assister aux côtés de plusieurs syndicats de l’Éducation nationale. Si tous nos arguments n’ont pas été retenus, le rapporteur public a tout de même conclu à l’annulation de l’article 4 de l’arrêté instituant les groupes de niveau au collège. Il s’agit d’une excellente nouvelle pour la communauté éducative et les parents d’élèves qui se mobilisent depuis des mois pour dénoncer cette réforme dangereuse. Il considère que le gouvernement aurait dû passer la réforme par décret et non par arrêté.
Nos arguments sur le fond de la réforme n’ont pas été retenus pour le moment mais il s’agit d’une première victoire car cet avis confirme la fragilité juridique du « choc des savoirs ». La mesure phare de l’ancien ministre Gabriel Attal a du plomb dans l’aile, mais nous restons prudents en attendant la décision définitive du Conseil d’État qui devrait arriver d’ici trois semaines.
Quelle suite maintenant ?
Suite à cette première conclusion du rapporteur public, le gouvernement pourrait repasser sa réforme par décret ou par un projet de loi au Parlement. La poursuite de cette politique serait irresponsable alors même que nous n’avons aucune information sur le coût de cette réforme et que seuls 26% des établissements l’ont réellement mis en place.
D’autre part, passer par décret ou par le Parlement reviendrait à modifier le code de l’Éducation, en particulier sur la question de l’autonomie des établissements. Or, vu le contexte politique, nous souhaitons bon courage à Madame Genetet. Une chose est sûre, la mobilisation de la communauté éducative et des parlementaires écologistes n’est pas près de s’arrêter.
Propos recueillis par Djéhanne Gani
Le rapporteur public du Conseil d’Etat demande l’annulation des groupes de niveau au collège