Les IA génératives et IA adaptatives sont-elles en concurrence en éducation ? Bruno Devauchelle revient sur les promesses de l’IA en éducation et fait un point d’étape dans un paysage numérique qui évolue très vite. « Ce que fait un enseignant, ce n’est pas dérouler un scénario pré-écrit, mais bien adapter les attentes institutionnelles à la réalité des élèves auprès desquels il travaille », met-il en perspective dans sa chronique.
Chaque jour ou presque, la presse spécialisée relaye les nouveautés concernant le développement de l’Intelligence Artificielle. Par exemple, la récente annonce d’un moteur de recherche basé sur l’IA proposé par une de ces sociétés est un effet d’annonce qui ne doit pas cacher le fait que cette évolution était inexorable, compte tenu des défauts des moteurs de recherche. Devenus difficilement exploitables du fait de leurs algorithmes d’une part et de la place prise par la publicité dans les résultats d’autre part, mais aussi par la difficulté de lecture des résultats proposés. L’utilisateur n’est pas toujours expert et perspicace et l’on peut rapidement baisser les bras devant des réponses qui ne correspondent pas réellement aux attentes.
L’arrivée de l’IA générative a bousculé dans un premier temps les usagers placés devant ces réponses « presque humaines ». Il était clair que cela devait évoluer. Récemment aussi les responsables de Wikipédia déclarent devoir faire face à la multiplication de propositions de contenus proposés et rédigés sous forme d’IA. Ces contenus sont parfois complètement inventés, et très souvent ne sont que peu ou très mal sourcés (certaines de ces sources étant parfois inventées aussi). On mesure donc ce qui est nommé actuellement les « hallucinations » contenus dans les réponses de l’IA générative. À côté de l’IA générative, il y a l’IA adaptative qui semble faire débat jusqu’en éducation.
MIA, choc des savoirs ou illusion ?
Un ex-ministre de l’Éducation avait présenté la mise en place d’un logiciel d’enseignement adaptatif (appelé MIA) pour le français et les maths en classe de 2de. Un récent article du journal « Le Monde », à propos du projet MIA, met en question l’IA dite adaptative à partir de propos épars de chercheurs, principalement nord-américains. Outre qu’il n’aborde pas les questions du déploiement de MIA (envergure, coût, etc..) l’article tend à montrer que l’IA adaptative est déjà dépassée. Il semble bien que certaines questions soient mal posées ou partiellement. En effet l’IA adaptative n’est pas nouvelle (cf. Lalilo ou encore le projet Voltaire), car elle était déjà présente dans l’esprit de concepteurs des systèmes experts dans les années 1980, mais aussi dans des travaux antérieurs (l’une des utopies liées à la représentation de l’humain par les machines ainsi que les interactions possibles).
Mais il s’agit ici d’une IA adaptative centrée sur un « micro-monde » défini au préalable (programmes d’enseignement par exemple). L’une des critiques essentielles faites à ce type de développement c’est la notion d’analyse des comportements d’apprentissages en vue de fournir des préconisations, un guide, voire des exercices et enseignements spécifiques. Finalisée de cette manière, l’IA adaptative semble très pauvre.
Vous avez dit adaptatif ?
Il nous faut revenir ici sur la notion d’adaptatif. Le fonctionnement de nombreux produits grand public (moteurs de recherche, services de vente en ligne, marketing) est basé sur l’analyse comportementale à partir de la captation des données utilisateurs. Sans être labellisés comme outils d’intelligence artificielle, ils tentent d’être adaptatifs. D’ailleurs certains n’ont pas hésité à accoler l’acronyme IA à leur activité, afin d’être mieux en vue auprès des usagers. Surfant sur la vague d’une forme de fascination de la relation humain machine, ces entreprises proposent donc ce que les IA génératives sont aussi en mesure de proposer : répondre aux questions des usagers, mais aussi anticiper sur leurs besoins en vue de les « orienter » vers telle ou telle activité.
La particularité de ce que l’on nomme adaptatif, c’est que cela correspond aussi au travail d’enseignement et d’éducation. Ce que fait un enseignant, ce n’est pas dérouler un scénario pré-écrit, mais bien adapter les attentes institutionnelles à la réalité des élèves auprès desquels il travaille.
L’enseignant(e), au coeur de l’adaptation
La capacité d’adaptation à l’autre est au coeur du métier d’enseignant. Certes, dans certains cas, cela est compliqué. Soit que la situation est chaotique ou difficile, soit que l’enseignant refuse de s’adapter, soit que les directives sont prises comme des obligations standardisées (cf la réalité de l’enseignement de la lecture et les préconisations venues d’en haut). Ce que l’on nomme « liberté pédagogique » c’est cette capacité d’adaptation à une réalité locale. Vouloir transposer cette capacité à un algorithme est un rêve de certains informaticiens ou concepteurs de logiciels d’IA. Cependant l’offre logicielle est prudente.
Il s’agit « d’aider » l’enseignant en lui fournissant des retours basés sur l’analyse des comportements d’apprentissage. Cette idée de l’aide au diagnostic en pédagogie n’est pas nouvelle, mais elle permet de désacraliser le pouvoir des algorithmes sous-jacents, sans pour autant les révéler explicitement. L’idée récurrente du remplacement de l’enseignant reste puissante dans l’inconscient collectif. Si l’IA adaptative n’a pas encore fait vraiment ses preuves en éducation, elle le fait dans d’autres domaines basés sur la connaissance. Dès lors l’idée n’est pas de se substituer, mais d’augmenter l’humain dans ses capacités d’adaptation.
Adapter l’école, adapter le métier
Le monde scolaire est en pleine interrogation, au-delà des effets d’offres. L’adoption rapide de l’IA générative aussi bien par les élèves que par les enseignants bouscule la perception des uns et des autres de ce que c’est qu’apprendre. On peut, certes, se cloisonner dans les certitudes du sanctuaire en mettant tout le numérique hors de l’école, mais « un fait social total » s’impose au-delà des murs de l’école. Si l’on reprend l’histoire de l’informatique éducative depuis le début des années 1980, on s’aperçoit que cette question s’impose progressivement au coeur de la salle de classe. Repenser le métier d’enseignant ce n’est pas repenser la posture, mais repenser les actions professionnelles.
La société n’a eu de cesse d’imposer à l’école ces changements. Sous des apparences de stabilité globale (la forme scolaire), il y a aussi des évolutions « minuscules » qui se font au niveau de chacun des éducateurs. Car la culture (au sens anthropologique) se transforme progressivement, l’école se doit de repenser ses manières de faire surtout si elle veut permettre aux enseignant(e)s de garder leur autorité en légitimant leur posture d’une autre manière, prenant en compte désormais l’IA.
Bruno Devauchelle