« L’école doit-elle sanctionner pour punir ou pour éduquer ? » Dans cet article, Bastien Capel le proviseur du lycée Français Jacques Prévert de Saly au Sénégal et la Conseillère Principale d’orientation Boria Lavictoire présentent les raisons comme les freins de leur pratique de l’exclusion de l’élève en interne. Pour eux, « cette approche redéfinit le rôle de l’école dans la société, formant non pas des individus dociles, mais des citoyens réflexifs et engagés ».
Comment peut-on réconcilier l’idée que les élèves les plus indisciplinés méritent davantage notre temps et notre attention, alors que le réflexe éducatif traditionnel est de les exclure pour rétablir l’ordre ? Ce paradoxe semble défier la logique : pourquoi investir plus de ressources dans ceux qui troublent la classe, au lieu de les écarter pour préserver le calme des autres ? C’est pourtant ce choix contre-intuitif que nous avons fait. Mais alors, l’école doit-elle sanctionner pour punir ou pour éduquer ? En réduisant drastiquement les exclusions temporaires de l’établissement et en transformant les sanctions en véritables projets éducatifs, nous avons résolu cette aporie à notre manière. La question qui se pose désormais est celle-ci : est-il vraiment possible de faire des incivilités un levier d’apprentissage, sans trahir notre mission de justice et de sécurité pour l’ensemble des élèves ?
Transformer les sanctions en projets éducatifs
L’approche que nous avons choisie avec la CPE au Lycée Français Jacques Prévert de Saly au Sénégal (LFJP) repose sur la conviction profonde que l’éducation doit primer sur la punition. En tant qu’éducateurs, nous avons pour mission de transformer chaque incident, chaque manquement au règlement, en une opportunité d’apprentissage. Cette démarche s’inspire des réflexions de Philippe Meirieu[1], qui critique l’effet centrifuge du système éducatif français, où les élèves en difficulté sont souvent marginalisés, voire exclus, au lieu d’être accompagnés pour surmonter leurs défis. Benjamin Moignard[2], dans ses travaux sur les sanctions scolaires, souligne les effets délétères des exclusions temporaires externes, qui tendent à exacerber les difficultés des élèves les plus vulnérables en les éloignant du cadre scolaire. Cette logique punitive, bien que justifiée par la nécessité de maintenir l’ordre, contribue à un décrochage scolaire accru. C’est précisément pour éviter cet effet que nous avons opté pour une approche alternative, où l’exclusion à l’interne est privilégiée, permettant aux élèves de rester dans un cadre éducatif tout en réfléchissant sur leurs actes.
La mise en œuvre, toute une organisation
La mise en œuvre de cette approche a nécessité une organisation minutieuse et une forte implication de la CPE. Des temps de travail spécifiques ont été organisés pour les élèves sanctionnés, durant lesquels ils étaient invités à réfléchir sur les enjeux de leurs comportements. Ces sessions n’étaient pas simplement des moments de punition, mais de véritables ateliers de réflexion, avec pour objectif de produire des supports éducatifs tels que des affiches, des vidéos, ou des diaporamas. Ces productions étaient ensuite, soit valorisées dans la newsletter de l’établissement, soit présentées par les élèves sanctionnés à d’autres classes, renforçant ainsi leur prise de conscience et leur implication dans la communauté scolaire. Cette approche se distingue des travaux d’intérêt général traditionnels, car elle ne vise pas une réparation symbolique, mais une éducation approfondie. En incitant les élèves à réfléchir de manière métacognitive sur leurs actes, nous avons transformé les incidents en outils éducatifs, permettant non seulement de prévenir les récidives, mais aussi de favoriser une prise de conscience plus large des conséquences de leurs actions.
Les effets positifs
L’application de cette politique a rapidement porté ses fruits, comme en témoignent plusieurs indicateurs clés. Les statistiques de sanction et d’absentéisme montrent que le nombre d’exclusions temporaires externes a considérablement diminué (-60 %), tandis que les exclusions internes, accompagnées de temps de réflexion, ont augmenté (+47 %). Cette évolution a permis de maintenir les élèves dans un cadre éducatif, améliorant la discipline générale dans l’établissement. Une amélioration notable des résultats aux examens (baccalauréat et Diplôme National du Brevet) a été observée. Cette progression est directement liée à l’accompagnement personnalisé et à la prise en charge proactive des élèves en difficulté. Les dispositifs mis en place, sous la coordination de la CPE , ont permis non seulement d’améliorer les résultats scolaires, mais aussi de renforcer la confiance et la motivation des élèves. On peut faire l’hypothèse que les élèves qui bénéficient des accompagnements personnalisés ont besoin de construire une relation de confiance avec la CPE et que l’accompagnement métacognitif de la sanction permet de préserver, voire de renforcer cette relation.
Les enquêtes sur le climat scolaire au LFJP montrent une amélioration significative du sentiment de sécurité et de bien-être des élèves. Par exemple, 90 % des élèves de troisième ont déclaré se sentir en sécurité dans l’enceinte de l’établissement, contre 85 % l’année précédente. De plus, les relations avec les enseignants se sont également améliorées, avec 80 % des élèves indiquant avoir de bonnes ou très bonnes relations avec leurs enseignants, une hausse par rapport à l’année précédente où ce chiffre était de 72 %. Ces évolutions positives reflètent le succès de l’approche éducative adoptée, qui a renforcé la cohésion au sein de l’établissement et contribué à un environnement plus apaisé et propice à l’apprentissage.
Les freins
Malgré les résultats positifs, cette approche n’est pas sans défis. Le principal obstacle rencontré a été la charge de travail supplémentaire pour la CPE. La gestion des temps de réflexion, en plus des autres responsabilités liées à la vie scolaire et l’accompagnement personnalisé, a parfois nécessité un ajustement des priorités. Par exemple, lors d’incidents impliquant un grand nombre d’élèves, comme une bagarre filmée et diffusée sur les réseaux sociaux, il a été nécessaire de maintenir les exclusions temporaires externes pour des raisons pratiques. De même, pendant les périodes d’examens, où les équipes administrative, éducative et de direction sont fortement mobilisées, il a parfois été impossible de mener à bien toutes les actions d’accompagnement prévues. En outre, le contexte d’un établissement français à l’étranger, bénéficiant d’une certaine autonomie, a sans doute facilité l’adoption de cette politique alternative. Dans certains EPLE en France, le corporatisme enseignant et les dynamiques internes peuvent rendre la mise en œuvre de telles initiatives plus complexes. La sanction y est parfois davantage perçue comme un moyen d’apaiser les tensions avec la salle des professeurs que comme un véritable outil éducatif.
En remettant en question le paradigme punitif, notre expérience au Lycée Français Jacques Prévert de Saly révèle une vérité dérangeante : notre obsession de l’ordre pourrait être le plus grand obstacle à l’apprentissage de nos élèves. Bruno Robbes[3] affirme que l’autorité éducative se construit dans la relation. Elle vise l’émancipation de l’élève et non sa soumission. Cette vision résonne profondément avec notre approche. Nous avons découvert que la véritable autorité réside dans notre capacité à transformer les conflits en opportunités d’apprentissage, plaçant les élèves au cœur de la solution. Certes, cette méthode exige plus d’engagement de notre part. Mais n’est-ce pas ce que nous demandons à nos élèves ? Il est temps d’appliquer à nous-mêmes les principes que nous cherchons à inculquer.
Les défis rencontrés sont autant d’invitations à poursuivre cette révolution éducative. Ils nous rappellent que l’éducation n’est pas un processus linéaire, mais une aventure complexe en constante évolution. Alors que le système traditionnel s’accroche à ses réflexes punitifs, notre expérience lance un défi audacieux : et si, au lieu de chercher à contrôler nos élèves, nous apprenions à leur faire confiance ? Cette approche redéfinit le rôle de l’école dans la société, formant non pas des individus dociles, mais des citoyens réflexifs et engagés.
Boria Lavictoire (CPE) et Bastien Capel (proviseur)
[1] Meirieu, Philippe. Pédagogie : Le devoir de résister. ESF Éditeur, 2007 ;
[2] Moignard Benjamin. Le collège fantôme. Une mesure de l’exclusion temporaire des collégiens. In: Diversité, n°175, 2014. Médiation, médiateurs. pp. 63-70 ;
[3] Robbes, Bruno. L’autorité éducative dans la classe : Douze situations pour apprendre à l’exercer. ESF éditeur, 2010.
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