Depuis plusieurs années Frédéric Grimaud cumule des centaines d’heures d’entretiens de professeures et professeurs des écoles, qui parlent de leur métier, de l’organisation de leur travail, et de tous les choix auxquels le quotidien de la classe les confronte. Chaque semaine, retrouvez deux d’entre eux et d’entre elles qui expriment un point de vue différent sur la manière de faire leur métier, qui n’utilisent pas les mêmes outils pour réaliser leur tâche, qui ne font pas les mêmes gestes professionnels. Parfois, ils et elles sont en désaccord, et parfois aussi, ils et elles se disputent. Aucun ni aucune des deux n’a raison, aucun ni aucune des deux n’a tort, mais ils et elles assument ne pas faire exactement la même chose … et ce faisant font vivre leur métier. En lisant ces lignes chaque mercredi, demandez-vous comment vous vous y prenez, vous, et pourquoi ?
La gestion de classe en grande section
Camille et Héloïse sont deux enseignantes de grande section qui échangent sur la gestion qu’elles font des élèves qui, pour des raisons diverses, n’ont pas eu le temps de finir leur travail pendant l’activité.
Héloïse commence par dire : « Alors dans ma classe, au-dessus des casiers des élèves, y’a un carton dans lequel ils rangent, ou bien moi aussi, le travail qu’ils n’ont pas fini pendant la matinée. On a un meuble avec une trentaine de casiers, avec dessus le prénom de chaque enfant, et c’est là qu’ils rangent leurs exercices quand ils l’ont fini, que l’ATSEM puisse ensuite les ranger dans leur pochette du travail de la période. Mais au-dessus, y’a la boite pour ceux qui n’ont pas fini. Et quand on a un moment, je leur ressors la fiche non finie et ils essayent de la finir. Ça peut être quand ils sont en jeux libres, ou bien au temps calme en début d’après-midi.
« Je ne lâche pas tant qu’ils n’ont pas fini »
Parfois aussi je reprends avec eux le travail non fini durant l’accueil du matin. On revient sur l’exercice, mais je ne lâche pas tant qu’ils n’ont pas fini. Y’a même des parents, quand ils savent que leur enfant n’a pas fini un travail, qui me le demandent et qui le font à la maison avec lui. Ça permet à tout le monde d’avancer quand même un peu en même temps. Je différencie pas mal donc normalement ce que je donne, l’enfant est capable de le faire et on l’a déjà fait plusieurs fois en classe, en manipulant, en collectif … donc il n’y a pas de raison que le travail ne soit pas fait. Soit c’est parce-que l’enfant est trop lent, et alors pas de soucis on le refait ensemble au calme. Mais aussi parfois y’en a qui ne veulent tout simplement pas travailler et il faut les préparer à la primaire qui arrive dans quelques mois. Donc le travail, ça doit être fait, je ne leur laisse pas trop d’échappatoire. »
« Je préfère ne pas leur mettre trop de pression »
Camille lui répond : « Même en grande section, c’est quand même encore des maternelles. Je sais bien que parfois ils n’ont pas envie, ils sont mal lunés, ils n’ont pas compris … et je n’ai pas envie de m’acharner. A part quelques cas où effectivement on est déjà dans le refus systématique, je préfère ne pas leur mettre trop de pression. Et même ceux qui sont dans l’affrontement ou le refus de travailler, je ne sais pas si c’est la bonne méthode de leur remettre le travail non fini sous le nez. En plus le temps file vite, quand on fait un travail sur la fiche, c’est que c’est la fin de la séquence et qu’on a déjà vu le truc 1000 fois, donc c’est pas une fiche de plus ou de moins qui fait la différence. En vrai ces fiches qu’on met dans les porte-vues pour les parents, c’est pas 1% de ce qui est important en maternelle je trouve.
A la limite c’est pour évaluer s’ils sont capables de refaire seuls ou pas ce qu’on a travaillé mais ça dépend de tellement de facteurs à cet âge la réussite ou non d’un exercice que moi je laisse. A la rigueur je note sur la feuille « travail non fini » et si les parents me demandent je leur explique. En tous cas, je ne me vois pas faire travailler un élève pendant le temps libre ou à l’accueil car ces temps ont aussi une fonction importante dans le rythme de la journée ».
Petite analyse : derrière le style de Camille ou d’Héloïse, il y a le genre professionnel, les normes et les valeurs que porte leur métier. Chacune avec leurs préoccupations fait vivre différemment le sens qu’elles donnent à leur travail. Au travers d’une controverse sur une fiche d’exercice qu’un élève n’a pas terminé se cache le débat sans fin sur les finalités du métier, sur le rôle de l’école, sur la qualité du travail des enseignantes.
Et vous, quand vos élèves n’ont pas fini un travail, vous vous sentez plus proche d’Héloïse ou Camille ?
Frédéric Grimaud
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