En quoi la mise en œuvre de la loi du 18 mars 1882 sur l’enseignement primaire obligatoire, sous la (récente) Troisième République, bouleverse-t-elle alors de fond en comble l’ordre social et familial, et le rapport à la religion, dans les campagnes de France ? A fortiori si pareille entreprise est largement portée par des femmes ?
Eric Besnard réalise ici un projet sur l’éducation longuement mûri : « faire un film sur l’école de Jules Ferry et sur les premières institutrices envoyées dans les campagnes et projetées dans un monde d’hommes à la fin du XIXème siècle. [Et mettre l’accent sur ] cette opposition intéressante , la rencontre entre deux mouvements, l’un progressiste et l’autre conservateur ». Ecoutez et regardez l’histoire très documentée de « Louise Violet », une fiction didactique à la forme classique, transcendée par l’interprétation énergique d’Alexandra Lamy dans le rôle titre. Un film historique éclairé par un dossier pédagogique particulièrement instructif.
Louise Violet, farouche combattante de l’école de la République
Etrange prélude à la mission de notre héroïne. Sur fond noir, un visage fatiguée au regard sombre, comme usé par des épreuves dont nous ignorons tout. Et une voix off, masculine et hautaine, émettant de sérieux doutes sur la fiabilité de l’entreprise, compte tenu du passé de l’intéressée et ajoutant : ‘je trouve que la République a été bien généreuse avec vous’. Il n’empêche. Nous sommes en 1889 et l’institutrice Louise Violet (Alexandra Lamy déployant un jeu aux ressources infinies) bat la campagne lumineuse sous le soleil à travers champs avant de s’arrêter dans un village. Sa mission : instruire les enfants et enraciner là où elle se trouve l’école de la République (gratuite, obligatoire et laïque).
A charge pour elle de convaincre les premiers concernés (les écoliers en puissance) et les autorités locales, du Maire-et père d’une petite fille- (Grégory Gadebois, , interprète complexe pétri d’humanité) aux familles (paysannes pour beaucoup, habituées à employer leurs petits comme ouvriers agricoles aux travaux des champs ou ‘esclaves domestiques’), sans oublier le curé, a priori hostile à une instruction entrant en concurrence avec ses prérogatives de transmission de la parole de Dieu et de direction des consciences.
Sans peur ni reproche, Louise surmonte échec cuisant et hostilités assumées (et formulées à voix haute ) de la part des hommes remis en cause dans leur statut de patriarche ou de male dominant..et de la part de femmes endurantes au labeur, peu disposées à sympathiser avec cette fille venue de la Ville, instruite, à l’esprit libre et au corps susceptible d’attiser le désir masculin.
L’opposition des forces en présence est incarnée parfois de façon manichéenne, sans doute à l’image de la ‘révolution’ des habitudes et des mentalités que l’avènement d’une école au cœur de la communauté rurale soulève. Pourtant, de petites victoires auprès de ses élèves surtout (délicieusement campés dans leur éveil émerveillé ou un temps détourné) en rebondissements tragiques, Louise trace sa route sur les chemins de l’apprentissage et du savoir et entraîne bien des adultes dans son sillage.
Le deuil douloureux de la Commune, l’engagement fougueux de la citoyenne
Et ce faisant, elle se révèle peu à peu en institutrice pionnière, citoyenne féministe, et en femme vulnérable, fidèle à un passé traumatique forgé par un engagement déchirant, longtemps enfoui.
Progressivement, nous nous approchons de Louise dans une forme d’intimité secrètement blessée, comme quelques protagonistes (dont Joseph le Maire qui ne cache pas son attirance pour une enseignante peu encline à s’en laisser conter). Le personnage imaginé par le réalisateur prend ainsi une ampleur historique nouvelle et inscrit son engagement en faveur de l’école de la République dans le passé récent (et tragique) de la Commune de Paris. Louise y a participé activement comme d’autres femmes fortement impliquées dans le soulèvement populaire, a partagé avec son mari notamment la révolte sociale née le 18 mars 1871, et l’expérience libertaire fondée sur la démocratie directe, une insurrection éphémère écrasée militairement durant la ‘Semaine sanglante’ [21-28 mai 1871] où sous ses yeux ont péri ses enfants et son époux dans leur maison en flammes, incendiée par la soldatesque.
Pour elle, des années de bagne. Une libération et le renoncement à un engagement ‘révolutionnaire’ que d’autres, toujours bagnards, perpétuent.
La détermination sans faille de Louise Violet, telle que le réalisateur la met en scène, se nourrit à la fois d’une souffrance intime indicible et de la richesse de l’expérience d’un combat social collectif, même s’il a été perdu.
Un besoin éperdu de justice sociale irrigue le portrait de Louise Violet en institutrice fervente de l’école de la République à la fin du XIXème siècle et confère à cette fiction cinématographique, sobre et simple, une actualité troublante.
Un dossier pédagogique éclairant
Le sujet et les thèmes du film permettent d’aborder la création d’une école dans un village français à la fin du XIXème siècle, les tensions qui habitentla société au début de la Troisième République et la période de basculement au moment du changement de régime du Second Empire à la Troisième République. Le dossier pédagogique, initié par Approches, conçu par un professeur d’Histoire-Géographie, propose des pistes d’exploration en liaison avec les programmes de 4ème, de Premières (Générale/Technologique/Professionnelle), en Terminale, Spécialité Histoire-Géographie, Géopolitique, Sciences politiques.
Les textes, les documents et les exercices abordent des thétiques importantes comme :
l’école comme pilier du projet républicain, l’enseignant ‘hussard noir’ de la République, faire des républicains, une France à construire, la place des femmes.
Des documents judicieusement choisis enrichissent le questionnement autour du film : affiche signée du Maire du Xème arrondissement de Paris enjoignant ses administrés à l’application de la loi du 28 mars 1882 sur l’enseignement primaire obligatoire, tableau du peintre Henri Jules jean Geoffry intitulé ‘Le Travail des petits’, 1889 (toujours exposé au ministère de l’Education nationale), focus avec portrait de Louise Michel, ‘vierge rouge’, figure de la révolution comme de l’éducation.
Sitographie et bibliographie complètent un dossier pédagogique bien construit.
Samra Bonvoisin
« Louise Violet », un film d’Eric Besnard-sortie le 6 novembre 2024
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