Quelles sont les raisons qui peuvent mener à la formation CAPPEI ? Depuis 12 ans, Barbara Aubert est professeure de Lettres Modernes et en UPE2A NSA dans un collège de Seine-Saint-Denis. Elle a commencé à la rentrée 2024 une formation CAPPEI -Certificat d’Aptitude Professionnelle aux Pratiques de l’Éducation Inclusive – qui va durer deux années. Elle répond aux questions du Café pédagogique sur cette évolution de carrière.
Pouvez-vous présenter votre parcours avant l’enseignement dans l’Éducation nationale ?
J’ai fait une double maîtrise en Lettres puis en FLE (Français Langue Étrangères). Je m’intéresse à toutes sortes de sujets et j’ai toujours eu beaucoup de mal à faire une seule chose à la fois, à me canaliser. Je n’imaginais pas enseigner une seule discipline même si j’adore la littérature. Les livres étaient mon refuge, mais le FLE, c’était l’ouverture au monde entier et la possibilité d’aborder n’importe quel sujet avec des apprenants enfants comme adultes, en France comme à l’étranger.
J’ai pu faire un Erasmus en Roumanie grâce à une bourse que l’université venait de mettre en place pour les étudiants indépendants de leurs parents. Puis j’ai commencé à enseigner à des lycéens chinois en France. J’ai tout de suite accroché avec ces enfants primo-arrivants, toujours partants, toujours enthousiastes, avec lesquels il y avait à faire tout un travail de transition linguistique et culturelle pour leur donner les meilleures chances de s’en sortir. C’était fascinant, notamment, d’observer la différence de conception de l’institution scolaire, de ses attentes, des manières d’apprendre et des finalités de l’école, tout en étant partie prenante dans leur cheminement intellectuel et psychique. J’ai ensuite travaillé pendant une dizaine d’années dans des structures privées d’enseignement scolaire et professionnel et dans des associations, comme France Terre d’Asile où j’ai rencontré de jeunes adultes avec des profils sociologiques différents. Nous avions des échanges extrêmement riches sur la vie, la famille, le travail, l’amour… Je me suis toujours méfiée de l’essentialisme, du culturalisme. Je trouvais qu’il y avait finalement bien plus de points communs que de différences entre ces jeunes et leurs homologues nés en France dans les mêmes catégories sociales. Et il y avait un vrai respect du professeur, c’était des jeunes qui étaient vraiment contents d’apprendre, qui étaient très motivés, très souriants malgré leur parcours chaotique.
Et ensuite ?
En 2010 j’ai passé le CAPES de Lettres Modernes et j’ai intégré l’Éducation Nationale. Dans la foulée j’ai passé la Certification FLS pour pouvoir enseigner dans les classes d’accueil (qui s’appellent maintenant les UPE2A) pour retrouver mon public de prédilection, les élèves allophones primo-arrivants. J’ai été titularisée dans un collège de Seine-Saint-Denis où je suis depuis 12 ans enseignante de Lettres Modernes en classe ordinaire et enseignante de FLS (Français Langue Seconde) en UPE2A (UPE2A Unité Pédagogique pour Élèves Allophones nouvellement Arrivés) avec des élèves migrants. La particularité de ce dispositif est qu’il est destiné à des élèves dits « NSA », Non Scolarisés Antérieurement, qui n’ont pas, ou très peu, appris à lire, écrire et compter dans leur langue maternelle. Je suis donc à la fois enseignante de langue seconde et de scolarisation et professeure des écoles, avec tout un travail culturel sur les représentations de l’école, le rapport à l’apprentissage, le rapport aux enseignants, à l’autorité, le droit à l’erreur, le statut des filles et des garçons… C’est très riche, très difficile aussi parce que ces élèves ont des niveaux vraiment très différents, certains lisent un peu, d’autres pas du tout, ils parlent des langues différentes mais aucune langue commune… c’est un véritable challenge de pouvoir garantir que chaque élève a, à chaque instant, un travail qui correspond à son niveau et à son degré d’autonomie. J’ai mis des années à y parvenir techniquement, mais je suis loin d’avoir épuisé les nombreux questionnements soulevés par ces enfants.
Quelles raisons vous ont menée à ce projet d’évolution avec le CAPPEI ?
Au cours de ces douze années avec mes élèves migrants, j’ai souvent pu mesurer l’impact de l’état psychique des élèves sur leur disponibilité cognitive. Beaucoup de mes élèves allophones étaient insécurisés, il leur fallait plusieurs mois, parfois une année pour se mettre à parler, être en mesure d’entrer dans les apprentissages. Il y avait du trauma, beaucoup auraient eu besoin d’un suivi psychologique en langue maternelle. Il en existe à l’hôpital Avicenne de Bobigny (93), mais c’est compliqué à mettre en place, il faut impliquer les familles souvent préoccupées par des soucis économiques et administratifs immédiats, il y a la barrière de la langue, le service de consultations transculturelles est débordé… Et au collège, même si les psychologues ont toujours été soutenantes, elles travaillent sur plusieurs établissements et ne disposent pas d’un temps suffisant pour que nous construisions réellement des actions et des accompagnements pour les élèves en souffrance psychique… tout cela demande un temps qu’on n’a pas.
En classe ordinaire, c’était un peu la même chose. Il y avait des situations difficiles, un rapport à l’école qui n’était pas toujours favorable à une entrée efficace dans les apprentissages, des élèves respectueux, ayant envie de réussir, mais avec des représentations de l’école, des pratiques langagières, des stratégies d’apprentissage un peu mécaniques, passives, peu favorables à la réussite scolaire – Bernard Lahire ou Jacques Bernardin expliquent tout cela très bien. D’autres élèves étaient en opposition, en refus. Je me suis intéressée aux livres de Serge Boimare, à son concept d’empêchement de penser et d’apprendre. De plus en plus je voyais que je manquais d’outils pour pouvoir amener mes élèves à ce point où ils s’emparent de leur propre processus d’apprentissage et d’acquisition, deviennent véritablement actifs. Je voyais bien que la question du désir d’apprendre, contrecarré par toutes sortes de peurs, d’empêchements, de blocages (sans même parler des obstacles matériels) était le nerf de la guerre.
Et puis il y avait tous ces élèves en très grande difficulté, que je voyais en soutien sans pouvoir rien faire pour eux car ils avaient des difficultés cognitives, des problèmes très importants de concentration, une mémoire de travail défaillante, un langage très peu développé, une incapacité à raconter à l’oral même un événement banal, parce qu’ils se perdaient en stratégies d’évitement… Peu à peu, j’ai ressenti le besoin d’avoir une formation solide sur la difficulté scolaire qui n’était pas un phénomène marginal mais mon cadre de travail quotidien.
Comment préparer le CAPPEI ?
J’ai alors demandé à préparer le CAPPEI mais on m’a expliqué que je ne pouvais pas le préparer en tant qu’enseignante d’UPE2A NSA, car ce n’est pas considéré comme un poste d’enseignement spécialisé. Je vais donc pendant deux ans enseigner en Ulis et bénéficier de cette formation qui se déroule en alternance la première année.
Pour être sûre d’obtenir une formation, j’avais aussi postulé en L1 de psychologie et à un DU de psychopédagogie… et j’ai été acceptée partout ! Je vais tenter de faire tout cela de front sur deux ans. Je suis vraiment contente, même si la charge de travail va être très très importante. Je vais découvrir des enfants avec un profil que je ne connais pas, apprendre toutes sortes de choses, avoir le bonheur de travailler enfin en binôme, avec l’AESH rattachée à l’Ulis… Il n’y a pas de recette miracle mais je suis sûre d’obtenir des éléments précis, factuels, sur les difficultés rencontrées par les élèves, et davantage d’idées, de pistes à mettre en œuvre pour les soutenir et les accompagner.
Quelles sont vos perspectives à l’issue de la formation ?
Après la certification, on peut bénéficier d’autres formations spécifiques sur l’autisme ou l’aide relationnelle… et postuler sur l’ensemble des postes d’enseignement spécialisé, qui sont nombreux. Tout cela m’ouvre à nouveau des horizons et me donne de l’oxygène. Je pourrai réintégrer mon poste en UPE2A NSA et poursuivre mon travail avec ces élèves en mettant à profit mes nouvelles compétences en m’intéressant aussi au plurilinguisme, par exemple. Je peux aussi demander une mutation définitive sur un poste d’enseignante spécialisée… Il est bien trop tôt pour penser à l’après, j’ai du pain sur la planche !
Propos recueillis par Djéhanne Gani
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