150 Professeurs de Lycées Professionnels écrivent une lettre ouverte à Madame Anne Genetet, Ministre de l’Education Nationale et Monsieur Alexandre Portier, ministre délégué à la réussite scolaire et à l’enseignement professionnel. « Le gouvernement démissionnaire Attal-Belloubet a laissé en héritage au gouvernement Barnier une réforme de l’année de terminale du Bac Professionnel qui s’annonce comme une catastrophe et qu’il est encore temps d’abroger » écrivent ces professeur.es. Ils appellent l’ensemble de la profession à co-signer la pétition en ligne qui exige l’abrogation de la réforme de l’année de Terminale dans la voie professionnelle. Depuis 2018, le lycée professionnel subit une profonde réforme.
La réforme de la rentrée 2024 : des parcours en classe de Terminale
Cette rentrée, les lycéens en classe de Terminale doivent choisir entre deux parcours, dits « d’insertion professionnelle » ou de « poursuite d’études ». Le parcours d’insertion est un stage rémunéré dans la perspective, selon le ministère, d’un premier emploi, et le parcours de « poursuite d’études » comprend des « cours renforcés ». Pour les professeurs de lycée professionnel, la réforme bouleverse le déroulé de l’année de terminale et déstabilise l’enseignement professionnel public.
Dans cette tribune, les professeurs dénoncent une approche qui revient à « trier les élèves de Terminale Bac Pro en leur demandant de choisir rapidement entre l’insertion et la poursuite d’études ». Pour eux, « tout le monde a bien compris le sens de cette ségrégation poussant les jeunes les plus fragiles socialement à renoncer à l’élévation de leur qualification. » Les professeurs soulignent une finalité en contradiction avec leurs convictions et leurs pratiques professionnelles.
Une initiative provenant d’un lycée professionnel
Cette initiative est partie du lycée professionnel Adam de Craponne de Salon de Provence dans les Bouches-du-Rhône à l’issue d’une réunion avec les familles pour présenter le calendrier de l’année de terminale. De là s’est concrétisée l’idée d’une « lettre ouverte à la Ministre », qui a été signée par la quasi-totalité de l’équipe pédagogique du lycée.
Nicolas Voisin est professeur de Lettres-Histoire à Marseille au Lycée professionnel Colbert et co-responsable académique du SNUEP-FSU. Il décrit la « consternation générale et le refus de l’injustice du tri sélectif qu’on nous demandait de faire parmi nos élèves, mêlé au sentiment d’impréparation dans l’organisation des épreuves avancées au mois de mai 2025 et des tâches qu’on allait demander aux équipes d’accomplir. Et puis il y a aussi le contexte politique et institutionnel du pays, avec l’avis très partagé dans les salles des profs que ce gouvernement est illégitime, comme la ministre ! »
Les impensés de la reforme
Dans la pétition, les professeurs dénoncent les impensés de la réforme : « Depuis la rentrée 2024, en effet, les équipes éducatives et les directions d’établissements sont livrées à elles-mêmes pour mettre en œuvre des procédures incertaines. Nul ne sait précisément comment seront organisées les six semaines du “parcours différencié”, quel sera le contenu des enseignements “renforcés”, quelles missions devront accomplir les enseignants et dans quelles conditions statutaires. Le stage de 6 semaines n’étant pas une PFMP qualifiante, les professeurs seront réduits à un contrôle très incertain de l’assiduité des jeunes. Les mesures d’économies budgétaires annoncées par le gouvernement laissent craindre la suppression de la (faible) rétribution du stage. »
Un calendrier incohérent
Agnès Bely enseigne les Lettre-Histoire à la Section d’Enseignement Professionnel du lycée Hôtelier Passedat à Marseille. Elle y est co-secrétaire académique du SNUEP-FSU et souligne le manque d’anticipation et la perte des heures de 4 semaines des cours alors qu’il n’y a pas de réduction de programmes. Elle relève que « les semaines se chevauchent, les épreuves ponctuelles sont programmées pour la semaine du 12 mai et le parcours « insertion » débute également le 12 mai ! Si on décale d’une semaine la période de stage, on tombe sur l’épreuve ponctuelle de PSE du 26 juin et l’épreuve orale de projet ». Elle poursuit : « Les élèves seront donc en stage et devront se rendre dans les centres d’examens pour passer leurs épreuves du bac selon leurs jours de convocation. Les conventions de stage devront être signées pour une durée de 6 semaines avec des jours d’absence autorisés pour « passation d’examen », jours qui devront être rattrapés. C’est le flou le plus total, le calendrier ministériel est incohérent. Les élèves vont être perdus et risquent d’être absents aux épreuves d’examen ».
« Des réformes en rafale » qui génèrent résignation et fatigue
Les nombreuses réformes ont fatigué et démobilisé les professeurs. Pour Agnès, « les réformes en rafale visent à imposer à la profession passivité et résignation, à faire « ce qu’on peut comme on peut » et attendre des jours meilleurs ! » Nicolas Voisin souligne le sentiment d’impuissance en salle des professeurs. Il exprime la résignation qui les gagne et avance quelques éléments d’explication : « les années d’autoritarisme de l’exécutif jupitérien, la mise à mort du paritarisme dans la Fonction Publique en 2019, ce feu constant de réformes imposées verticalement dans l’éducation nationale, et surtout dans la voie professionnelle par Blanquer, Grandjean ». Il met en parallèle les réformes du lycée professionnel et « le passage en force sur les retraites, et aujourd’hui le déni démocratique incarné par le gouvernement Barnier ». Il rappelle la peur très palpable qui a traversé notre profession, composée de fonctionnaires d’Etat en juin dernier, à l’idée de devoir servir une politique impulsée par un gouvernement d’extrême-droite.
Les craintes de s’exprimer publiquement de la profession
Les deux professeurs ne veulent pas être défaitistes et renoncer à l’action dans ce contexte politique. Cette pétition est pour eux une manière et une occasion de créer du collectif.
Ils formulent également une inquiétude de la profession et les craintes de leurs collègues : « la moitié des signataires refuse que leur signature soit visible ». Ils soulignent la « fébrilité des enseignants à se faire entendre, notre statut de fonctionnaire ne nous protège déjà plus vraiment, la pression intériorisée, l’opacité dans les opérations de promotion, la part indemnitaire de notre rémunération au bon vouloir des chefs d’établissement… tout cela pèse sur notre liberté de parole et notre capacité à résister » dit Agnès.
Une intersyndicale pour le lycée professionnel
La lettre ouverte des professeurs de lycée professionnels lancée dans l’académie d’Aix-Marseille circule dans de nombreux lycées. En quelques jours, les signataires étaient 150 issus de 25 établissements. Cette initiative locale rejoint l’initiative nationale des organisations syndicales SNUEP-FSU, SNEP-FSU, SNES-FSU, CGT Educ’action, SE-Unsa, SNALC, Sud Éducation, CNT-FTE. Elle a demandé une audience sur la réforme du lycée professionnel et l’année de terminale bac pro au ministre délégué chargé de l’enseignement professionnel. Cette intersyndicale « Voie Pro » évoque « l’urgence à suspendre la mise en œuvre du parcours différencié en terminale bac pro, impréparé, source de fortes inquiétudes et à l’opposé des besoins des élèves ».
« Sans attendre ce scénario du pire, n’y a-t-il pas un moment où les fonctionnaires se doivent d’arrêter de fonctionner docilement, comme avec cette réforme du lycée professionnel dont chacun comprend qu’elle n’est pas acceptable ? » conclut Nicolas.
Alain Barlatier, Djéhanne Gani
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