Professeur des écoles Marc Lavogez a enseigné 22 ans à l’école Voltaire à Arras. Jusqu’en juin 2024, il a enseigné dans cette école en éducation prioritaire. Il décrit une équipe engagée pour la réussite des élèves : il cite pour exemple que l’école n’a jamais connu la semaine des quatre jours. La stabilité de l’équipe a permis d’établir une relation de confiance avec les familles. Dans cette école a été scolarisée la petite sœur du tueur de Dominique Bernard.
Tous les professeurs ont été bouleversés par la mort de Samuel Paty et de Dominique Bernard, tous les professeurs, mais pas que bien sûr. Les élèves aussi sont marqués par ces tragédies. Marc se souvient d’un élève de sa classe de CP qui lui avait dit à la mort de Samuel Paty, assassiné comme Dominique Bernard parce que professeur, « Monsieur, c’est tellement triste que j’ai envie de pleurer ». Il poursuit et demande « à l’époque comment pouvions-nous imaginer revivre un tel cauchemar ? »
Un attentat à Arras
Le cauchemar dont parle Marc est le cauchemar du terrorisme, et de la sidération pour ceux qui ont connu l’auteur de l’acte terroriste ou quelqu’un de sa famille. S., la petite sœur a été scolarisée du CP au CM2 dans son école. Elle y a laissé un bon souvenir, dit-il et parlant de collègues qui « ont été doublement affectées, bien sûr par la mort du collègue mais aussi par le destin brisé de leur ancienne élève. »
Un an plus tard, Marc Lavogez revient sur l’assassinat de Dominique Bernard et raconte comment les élèves ont réagi et ce qu’ils ont exprimé après l’attentat terroriste.
Pour Marc, le 13 octobre 2023 est une date gravée dans sa mémoire : « les émotions que j’ai vécues ce jour-là à l’école avec mes élèves de cours préparatoire resteront ineffaçables ». Il évoque « la sidération à l’annonce du décès de Dominique Bernard, l’inquiétude des élèves et de leurs parents, l’angoisse partagée avec les collègues qui avaient des enfants scolarisés à Gambetta et dans les collèges et lycées voisins ».
Des élèves de CP face aux attentats
Lundi 16 octobre 2023, trois ans plus tard, Marc, comme beaucoup d’enseignants a échangé avec ses élèves et a dû, regrette-t-il « aborder des sujets qui ne devraient pas se tenir à l’école : attentat, terrorisme, assassinat… » Il raconte « dès l’entrée de mes élèves en classe, j’ai entendu des bribes de conversation. Il était question de coup de couteau, de professeur tué, de Mohammed…. A peine installé dans le coin regroupement, chacun voulait prendre la parole. « Monsieur, un professeur a été tué…. C’est un professeur du lycée Gambette où est mon grand frère… c’est Mohammed qui l’a tué… »
Marc parle aussi de Z. qui, après « un petit rappel sur les règles de vie de classe, a levé la main, le visage grave : « Monsieur, Mohamed je le connais. Il m’a appris à jouer au basket. C’est pas bien ce qu’il a fait, il n’aurait pas dû tuer le professeur ». Il se rappelle de l’incompréhension chez Z. : « Comment un adulte qui a été gentil avec moi peut-il tuer un autre homme ? »
Ensuite, Marc parle de la sidération d’A.K., qui l’interpelle : « Monsieur, j’ai vu mon appartement sur BFM. C’est parce que j’habite dans le même immeuble que Mohamed. Vendredi je l’ai vu partir… ». Marc commente : « Je l’ai vu partir … » sans doute pensait-il : partir tuer un professeur. »
Dans les souvenirs de Marc, il y a aussi M. « qui trépignait sur le banc avant de raconter dans les détails les images vues sur les réseaux sociaux. » Il décrit le brin d’excitation dans ses propos, comme s’il racontait les scènes d’un film. Marc dit lui avoir « rappelé la réalité de ces images filmées à quelques centaines de mètres de l’école ». Il poursuit « Son visage s’est assombri ».
Penser aux enfants
Dans une foule dense, Marc a participé au rassemblement dimanche à Arras pour rendre hommage à Dominique Bernard et à toutes les victimes du terrorisme. « Je ne pouvais m’empêcher de penser aux enfants, exposés quotidiennement à la violence, à l’inhumanité, à la haine de l’autre » dit-il.
Pour Marc, se rassembler « donne la force de ne pas tomber dans le fatalisme ». Pour lui, « les valeurs humanistes resteront toujours les plus fortes. Notre devoir d’adulte est de les faire vivre aux enfants pour que le futur reste porteur d’espoir et de vie ».
Djéhanne Gani
Dans le Café
« Dominique, comment te rendre dignement hommage ? »
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