Dans Ils sont elles, Catherine Sauvat, écrivaine biographe, retrace les « histoires extraordinaires » d’une quarantaine de ces autrices qui, « de Jane Austen à George Sand, de Rachilde à René(e) Vivien, des sœurs Brontë à Karen Blixen », ont eu recours à l’anonymat, ou se sont cachées, « souvent à la demande de leurs éditeurs », sous des noms d’hommes pour pouvoir être publiées. Car « quand on est femme » il y a des choses qui « ne se font pas »…
Pourquoi ont-elles dû se résoudre à un tel effacement ? Comment ont-elles supporté cette invisibilisation ? En ont-elles souffert ? En ont-elles fait une arme ? Comment ont-elles choisi leur pseudonyme ? Le secret, parfois, éventé, ont-elles survécu au dévoilement de leur identité ? Au fil de leurs parcours, à la fois proches et uniques, qu’elles soient françaises, anglaises, suédoises, australiennes, espagnoles, norvégiennes … (le nombre et la variété des origines faisant, ici, évidemment sens), se dessinent toute une histoire des mentalités, et toute une histoire de la littérature, faite de domination masculine, et de volonté d’émancipation.
L’ouvrage se lit comme un formidable récit d’aventures à travers d’incroyables et rocambolesques mystifications. Elles délecteront les élèves, et seront autant de portes ouvertes vers des œuvres souvent injustement minorées qui, pour beaucoup d’entre elles, pourront constituer des pistes de lectures cursives. On pense notamment au court roman de Claire de Duras, publié anonymement en 1823, Ourika, auquel la revue NRP consacre, dans son numéro de septembre 2024, un dossier intitulé « Ourika et les personnages noirs dans la littérature romantique ». L’œuvre « met en scène l’histoire d’une petite fille noire ramenée du Sénégal « offerte » à une famille d’aristocrates. Elle bénéfice d’une excellente éducation et des mêmes attentions que les enfants auprès desquels elle grandit. Mais devenant une jeune femme, elle réalise qu’en dépit de tous ses accomplissements, jamais elle ne pourra vivre comme les autres, que sa couleur de peau la condamne à un abîme d’inégalités …». Un magnifique personnage en marge…
L’ensemble du livre, par ailleurs, constitué de courts chapitres – un par autrice -, permet d’imaginer de nombreuses activités pédagogiques. On pourra ainsi inviter des élèves à décoder certains titres riches d’horizons d’attente, tels que « The English George », « Pas son genre », « A l’écrit comme à l’Oural », « A deux sous le même masque » ou encore « Au service du secret »… Il offre aussi un formidable terrain de jeu de pistes à mener, sous forme d’arpentage en classe par exemple, pour découvrir qui se cache derrière chacune de ces signatures énigmatiques : Daniel Sterne, Ernst Ahlgren, Gérard d’Houville, Isak Dinesen, Vernon Lee…
Enfin Ils sont elles pourra fournir l’occasion d’inviter les élèves à mesurer le chemin parcouru depuis que Delphine de Girardin, alias vicomte Charles de Launay, autrice de La Canne de Monsieur de Balzac écrivait qu’« une femme qui vit dans le monde ne doit pas écrire puisqu’on ne lui permet pas de publier un livre qu’autant qu’il est parfaitement insignifiant », ou que l’écrivaine argentine Emma de la Barra, alias César Duáyen, dont le roman Stella fut un immense best seller, déclarait « Comment oser signer un roman ? C’était m’exposer au ridicule et aux commentaires ». Mais aussi à interroger le présent : quelle représentation des écrivaines dans l’espace public ? Combien d’autrices dans les manuels ? Combien de textes de femmes dans les œuvres au programme ? …
Claire Berest
Ils sont elles, Catherine Sauvat. Editions Flammarion
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