Comment restituer, sous une forme artistique à la mesure du sujet, les mille vies de Lee Miller (1907-1977), la belle new-yorkaise, tour à tour modèle, égérie de Man Ray, muse des surréalistes, artiste elle-même, et engagée aux côtés de l’armée américaine comme photoreporter prête à couvrir la Seconde Guerre mondiale jusqu’à l’ouverture des camps, sans détourner le regard ?
La star Kate Winslet, – fascinée par le destin extraordinaire d’une femme libre, bousculant les stéréotypes et les tabous associés à son genre, enthousiasmée par l’audace et le courage conduisant l’héroïne à passer de l’autre côté de l’objectif -, prend à cœur un projet mûri de longue date, appuyé sur la biographie écrite par Antony Penrose, le fils de la protagoniste : redonner vie à Lee Miller. Pour asseoir son indépendance, l’actrice mondialement reconnue se fait productrice, pour la première fois, investit le rôle principal avec flamme, et choisit une directrice de la photographie expérimentée, l’américaine, Ellen Kuras, laquelle réalise ici son premier long métrage.
1945. La première femme photographe face à l’indicible
Le drame d’inspiration biographique, focalise notre attention essentiellement sur l’expatriation en Europe, la période de fréquentation des surréalistes et d’amis privilégiés comme Man Ray ou Jean Cocteau. Puis, volontairement centré sur l’expérience exceptionnelle de la correspondante de guerre, dévoile par des retours en arrière progressifs, l’épreuve bouleversante, d’une femme déterminée, la première alors, au moment même où l’armée libère les camps de Dachau et de Buchenwald. Lee voit l’essentiel de ses photographies, dans leur frontalité insoutenable, publiées (même si quelques-unes sont alors écartées car considérées comme trop choquantes) ; des images constituant les premiers vecteurs d’une prise de conscience de l’horreur nazie.
La voix en off de la narratrice, Lee incarnée par Kate Winslet, revient ainsi au soir de sa vie à travers l’entretien accordé à un journaliste à des moments marquants de son existence tumultueuse, tantôt tragique, tantôt excitante, toujours fabuleuse.
Soulignée par la musique symphonique aux accents lyrique composée par Alexandre Desplat, la réalisation d’Ellen Kuras dessine le portrait énergique d’une héroïne magnifique, dans sa rébellion contre l’ordre établi, sa lucidité implacable et son regard aiguisé de photographe face à la machine de mort.
Cette fiction à vocation grand public et à diffusion internationale possède l’immense mérite de faire (re)connaître à de nombreux spectateurs du monde entier une figure (féminine) majeure de l’histoire de la photographie du XXème siècle, dépassant ainsi le cercle des spécialistes et admirateurs de l’artiste de la photographie, pratique à laquelle elle se consacre très tôt en créant son propre studio à New-York dans les années 30, tout en restant fidèle au magazine ‘Vogue’, des séances de pose en tant que mannequin jusqu’aux clichés de la correspondante de guerre réservés à cette publication.
Traumatismes intimes, esprit de liberté
On peut regretter que la fiction d’Ellen Kuras, portée par Kate Winslet, passe sous silence des traumatismes intimes, comme les agressions sexuelles subies dans l’enfance en particulier, constitutives de la personnalité de Lee Miller ; des zones d’ombre, explorées dans plusieurs livres, et qui donnent la mesure des forces noires que Lee a combattues pour prendre en main son destin et savourer la vie, en prenant la lumière dans tous les sens du terme.
Les documents et sources variées à notre disposition aujourd’hui éclairent le parcours fabuleux d’une personne libre de disposer de son corps et de cœur, dans le refus de la soumission à l’ordre social, et aux interdits inhérents à son sexe.
Ainsi, au fil des métamorphoses d’une existence aventureuse à l’épreuve des mutations du siècle dernier jusqu’à la fin des années 70, Lee Miller se révèle-t-elle comme l’incarnation d’une révolte salutaire et d’une émancipation créatrice. Féministe avant l’heure ?
Laissons la parole à Lee Miller telle que le film nous la restitue : ‘j’avais été mannequin. J’avais été muse […]. Dorénavant, je mangeais, je buvais, je faisais l’amour et je prenais des photos, et j’étais douée pour tout ça’.
Samra Bonvoisin
« Lee Miller », film d’Ellen Kuras-sortie le 9 octobre 2024
lien vers le dossier pédagogique autour du film
lien vers l’exposition de photographies de Lee Miller à Saint-Malo, prolongée jusqu’au 3 novembre 2024, ‘Lee Miller, Saint-Malo assiégée, août 44’
Bientôt disponible en replay sur arte.tv jusqu’au 11 décembre 2024 et disponible dès maintenant en VOD ou DVD
‘Lee Miller-Mannequin et reporter de guerre’, documentaire de Teresa Griffith, 2020
choix de livres :
- ‘Les vies de Lee Miller’ de Antony Penrose (son fils), 1985, réédité en 2022, Tharmes Hudson en version illustrée
- ’Lee Miller, une vie sans filtre’ de Carolyn Burke, 2007, rééditée en 2023, Nouveau Monde éditions
- ‘Lee Miller – Photographies choisies avec Antony Penrose ; préface de Kate Winslet, 2023, éditions Delpire & co
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