Peut-on transformer sa lecture en geste créatif ? « Pour évaluer la lecture personnelle faite à la maison pendant les vacances, le questionnaire de lecture aurait été inefficace. Je cherchais davantage une activité qui permette à chaque élève de partager son expérience personnelle de lecture ». Ainsi, depuis l’île de la Réunion, témoignent Anne Boulanger, du collège Quartier Français de Sainte-Suzanne, ainsi que Valérie Delavois, du collège Montgaillard de Saint-Denis. Elles ont invité leurs élèves à créer de jolies « fleurs de lecture » : chacun·e note ses impressions et recherches sur un support papier qui se plie puis se déplie pour déployer ses pétales. L’écriture d’appropriation trouve ainsi un nouveau support, engageant, valorisant, à partager ou à offrir : puissent bien des classes en faire des bouquets !
Anne Boulanger : une lecture active et créative
« En prolongement de la séquence sur L’Avare de Molière, j’ai proposé à mes 5èmes la lecture de Face de Cuillère, une pièce contemporaine écrite par Lee Hall dans laquelle un seul personnage parle : une enfant malade atteinte d’un cancer. Nous avons commencé en classe la lecture. J’ai proposé une alternative aux élèves qui ne souhaitaient pas lire une telle histoire tragique surtout lorsque le lecteur est amené à se fondre dans l’esprit du personnage. En effet, l’écriture à la première personne, l’âge du personnage favorisent l’empathie fictionnelle. Un seul élève a souhaité lire La jeune fille, le Diable et le Moulin d’Olivier Py. Les instructions officielles nous rappellent que « les élèves empruntent régulièrement des livres qui correspondent à leurs goûts et à leurs projets » (cycle 4)
Pour évaluer leur lecture personnelle faite à la maison pendant les vacances, le questionnaire de lecture aurait été inefficace. Je cherchais davantage une activité qui permette à chaque élève de partager son expérience personnelle de lecture. Sur le site de Julie Dozinel, « Une boîte de Pandore », j’ai trouvé « La Fleur littéraire ». Ce qui m’a tout de suite plu, c’est évidemment le motif de la fleur mais aussi le fait qu’elle se construise, qu’elle s’ouvre, qu’elle se partage, qu’elle se plie et se déplie. C’est bien ce qu’est pour moi la lecture : elle se construit, elle se dévoile, elle se partage ce qui n’est pas sans rappeler le sens étymologique du mot “texte” qui vient du latin “textus’, ce tissu qui se plie et se déplie. La lecture peut être active et aussi créative.
Voici quelques questions qui demandent à l’élève de rendre compte de son expérience de lecture :
- Selon toi, quel est le problème principal au cœur de l’histoire ?
« Le personnage principal se fait harceler car il est né avec une figure toute ronde »
« Le personnage principal est une jeune fille appelée « face de cuillère » à cause de sa tête déformée et elle attrape un cancer »
- Avec quel personnage es-tu en accord ou en désaccord ?
« Le docteur Bernstein dit toujours la vérité à la petite fille. Je suis d’accord avec lui »
« Je suis d’accord avec Mme Patate car on ne peut pas être tous identiques. Nous sommes différents et c’est ce qui fait notre beauté. »
- A quelle autre œuvre as-tu pensé en lisant cette pièce de théâtre ?
« J’ai pensé à la Belle et la Bête. Dans les deux histoires, les personnages principaux sont rejetés à cause de leur apparence »
« Je dirai que ce livre est en lien avec Esmeralda et Quasimodo »
« Le petit Prince explore les thèmes autour de l’amour, de la quête de sens, de la perte. Presque comme « Face de Cuillère »
- Quelle(s) phrase(s) as-tu appréciée(s) dans la pièce ?
« C’est moche quand on meurt, c’est quand même magnifique d’être vivant »
« Quand ils croient que je dors, maman dit à papa que c’est peut-être à cause de lui que je suis de travers.
- Dessine ton passage préféré. Donne un titre à ton dessin…
Il n’y a pas ici de bonnes ou mauvaises réponses. La diversité de ces réceptions a permis un questionnement collectif sur l’œuvre mais aussi un questionnement sur le monde qui nous entoure. Les élèves ont d’abord présenté leur fleur en groupes et j’ai ensuite vidéo-projeté des réponses d’élèves pour en débattre ensemble collectivement. »
Valérie Delavois : garder la trace de ses lectures
« Apprendre les études d’œuvres intégrales à l’approche du diplôme national du brevet semble un travail fastidieux devant lequel renonce souvent l’élève fragile. Même si nous avons, élèves et enseignant, ensemble, écrit des résumés, fait des schémas, des dessins, bref, des fiches de lecture tout au long des séquences, je me rends compte que ces outils d’apprentissages essentiels ne sont pas suffisamment étudiés au moment des révisions. Pourtant, il est important pour les élèves d’y revenir pour non seulement garder en mémoire la trace de ses lectures mais surtout pour pouvoir les réinvestir dans le sujet de réflexion qui doit s’appuyer sur des exemples précis.
C’est en ce sens que la fleur littéraire m’a paru un outil efficace pour faire réviser aux élèves les études d’œuvres intégrales et pour mieux préparer cet examen, en classe puis à la maison.
Il s’agit d’utiliser cette fleur comme un écrit de travail qui, par sa forme, organise la réflexion, classe et résume les informations. En effet, le nombre de pétales oblige une négociation en classe entière sur les éléments essentiels à retenir sur l’œuvre pour pouvoir l’exploiter dans le sujet de réflexion. Les élèves ont dégagé plusieurs points : titre, auteur, éditeur, date ; résumé ; personnage principal ; personnage secondaire, extrait préféré ; avis personnel ; titres de chapitres ou de passage pour faire apparaître le parcours de lecture. Chaque élève a alors créé sa fleur littéraire à partir des fiches de lectures antérieures. Ils se sont mis à relire activement les informations données pendant les cours et à les hiérarchiser. Le motif de la fleur, facilement manipulable, permet également d’en faire un marque page que les élèves pouvaient accrocher aux pages du livre qu’ils travaillaient.
Ce travail a également développé des compétences de coopération au moment où ils ont souhaité comparer leurs différentes synthèses rédigées à partir des notes du cours. Des discussions pertinentes sont apparues sur des malentendus et des interrogations nouvelles autour de l’enchaînement causal des actions ou encore sur la place et le rôle du personnage lors du choix du personnage principal comme secondaire. Ils ont dû prendre la parole pour défendre leur point de vue, approfondir leur connaissances par des relectures. De nouveaux questionnements ont surgi, demandant une remédiation de la part de l’enseignant.
Cet outil, qui visait au départ une certaine efficacité dans le travail de révision, a permis de développer l’autonomie et les capacités d’initiative ; en favorisant l’implication dans le travail commun, l’entraide et la coopération. »
Témoignages recueillis par Jean-Michel Le Baut
Quelques exemples de productions d’élèves
La fleur littéraire sur le site de Julie Dozinel
Anne Boulanger dans le Café pédagogique