« Ce qui semble compter avant tout, c’est l’enflure métaphorique et la martialisation ». Dans sa chronique, l’historien Claude Lelièvre revient sur la déclaration de la Ministre de l’Éducation nationale Anne Genetet lors de la passation du pouvoir dans laquelle elle faisait état d’une lignée de « hussardes de la République ». Pour Claude Lelièvre « cette martialisation des propos sur l’École est plus qu’anecdotique et dépasse l’enflure d’une communication à tout va ».
Le 12 janvier 2024, à peine promu Premier ministre, l’ex-ministre de l’Éducation nationale Gabriel Attal a déclaré lors de la passation de pouvoir à la nouvelle ministre Amélie Oudéa-Castéra que « l’Ecole sera la mère des batailles de son gouvernement ». Et le 23 septembre, lors de la dernière passation de pouvoir, on a vu la nouvelle ministre de l’Éducation nationale Anne Genetet se présenter comme appartenant à toute une lignée féminine de membres de l’enseignement qu’elle n’a pas hésité à magnifier en féminisant l’expression qui se veut gratifiante d’« hussards de la République ».
Ces métaphores martiales en cascade ne devraient pas autrement surprendre si l’on donne du crédit à la rumeur selon laquelle la nomination surprise d’Anne Genetet doit être rapportée au soutien appuyé de Gabriel Attal. Une filiation, sur le fond et sur la forme, de deux communicants professionnels.
Mais on peut penser aussi que cette « martialisation » des propos sur l’École est plus qu’anecdotique et dépasse l’enflure d’une communication à tout va.
On peut remarquer par exemple que dès l’entre-deux-tours de l’élection présidentielle de 2017, Emmanuel Macron a déclaré « mon projet est de concentrer les moyens sur l’école primaire […]. La mère des batailles, c’est l’école primaire ». Un écho lointain mais martialisé d’une autre déclaration faite par Alain Juppé le 24 août 2015 : « l’éducation est la mère de toutes les réformes ».
La « mère de toutes les batailles » peut être déclinée de bien des façons. Emmanuel Macron le 20 décembre 2023 : « L’école est la mère des batailles. Choc des savoirs, réforme du système en profondeur, autorité, lutte contre le harcèlement : c’est l’action que nous menons » (sur son compte X)
Gabriel Attal le 25 juin 2024 : «L’École est la mère des batailles. Je défends une école où les valeurs de la République, le respect des professeurs, la laïcité, l’épanouissement des jeunes et l’élévation du niveau des élèves ne sont pas négociables » (sur son compte X)
Ce qui semble compter avant tout, c’est l’enflure métaphorique et la martialisation.
Mais l’expression bien connue et généralement valorisée de « hussards noirs de la
République » est apparue elle-même dans un contexte de martialisation qu’il convient plus que jamais de rappeler (d’autant qu’il est généralement ignoré, et parfois délibérément occulté par certains de ceux qui savent).
Elle a été lancée par l’écrivain Charles Péguy en 1913, à un moment et dans un sens précis : dans une période de vives tensions nationalistes et militaires en Europe, prélude au conflit de 14-18. Et elle était fondée sur l’uniforme que portaient les normaliens au début de la troisième République (les instituteurs n’ayant jamais porté d’uniforme, et a fortiori les institutrices).
« ‘’Vive la nation’’, on sentait qu’ils l’eussent crié jusque sous le sabre prussien. Car l’ennemi, c’était les Prussiens. Ce n’était déjà pas si bête. Ni si éloigné de la vérité. C’était en 1880. C’est en 1913. Trente-trois ans après. Et nous y sommes revenus. Nos jeunes maîtres étaient beaux comme des hussards noirs […] Un long pantalon noir. Une longue redingote noire, bien droite, bien tombante, mais deux croisements de palmes violettes aux revers. Une casquette plate, noire » (Extraits de la contribution de Chartes Péguy au 6° « Cahiers de la quinzaine » de la 14° série, du 16 février 1913)
Un contexte et une situation à rapprocher de ce qui a déjà été rapporté par le Café pédagogique du 27 septembre ? « Des stages militaires pour les directeurs d’école dans l’académie de Versailles ». « L’académie de Versailles propose aux directeurs et directrices d’école des Yvelines (78) une formation qui sème le trouble. Le contenu et la forme interrogent non pas les objectifs visés mais la militarisation de l’école. « Le symbole utilisé sur le flyer, à savoir un lynx, montre que nous ne sommes plus dans le ministère de l’Éducation nationale mais dans ceux de la Défense et de l’Intérieur puisque cela ressemble à un blason d’une société de sécurité ou de gardiennage », nous confie une direction d’école. »
Quant au commencement de l’intervention de la nouvelle ministre de l’Education nationale Anne Genetet lors de la passation de pouvoir, on ne s’en lasse pas : « En entrant dans ce ministère, je pense à mon arrière-grand-mère, à ma grand-mère, à ma belle-mère, à ma tante, à ma soeur qui furent toutes institutrice, professeure, directrice d’école, principale de collège ; je pense à cette lignée de ‘’hussardes de la République’’ ». Il fallait oser dans ce sens et ce style, et cela promet pour la suite.
Claude Lelièvre