Comment faire de l’École de « véritables cités éducatives » ? La vie scolaire est un des piliers du fonctionnement des établissements du second degré. Dans cette chronique « un CPE ne devrait pas dire ça » le Café pédagogique vous propose de partager quelques instants du quotidien d’un CPE – Conseiller Principal d’Éducation. La démocratie est un sujet d’actualité. Dans ce texte, Nicolas Grannec* interroge la démocratie scolaire.
Dès le lundi 26 août, j’ai repris le chemin du collège pour une nouvelle rentrée. Comme d’habitude, je ressens un mélange de stress et d’excitation. Stress parce que le climat scolaire du collège est loin d’être apaisé et les problèmes qui se posaient à la fin de l’année vont fatalement resurgir. Excitation car comme chaque année, en cette période de reprise, je suis plein de bonnes résolutions un peu comme celles que l’on peut prendre à la nouvelle année. La question est comment ne pas laisser ces résolutions se désagréger une fois franchi le cap du 1er septembre.
Cette période estivale a aussi été l’occasion d’interroger le sens que je donne à mon métier de CPE. Deux éléments ont nourri cette réflexion. Le premier a été la lecture du livre de Julien Garric, « La Fabrique quotidienne du décrochage ». Comme je l’ai déjà écrit dans mon dernier article, il s’agit d’une étude sociologique menée dans trois collèges de Marseille sur la pratique de l’exclusion de cours. Le sociologue interroge la place du CPE dans cette pratique. Il démontre toute l’ambivalence (la schizophrénie ?) de ce métier pris en étau entre la volonté d’être à l’écoute des élèves et la responsabilité des sanctions qui lui incombe fréquemment. A ce sujet, Julien Garric écrit : « Le CPE se retrouve dans un rôle d’équilibriste entre un élève qu’il apprécie et qu’il souhaiterait accompagner à s’extraire du mécanisme d’exclusion dans lequel il s’est inscrit, et des enseignants qui pourraient l’accuser d’une bienveillance coupable » (p. 209). Position d’équilibriste qui finit fatalement par pencher du côté des enseignants car dans une institution les rôles sont figés et le CPE se doit d’être du côté de l’ordre et de la fermeté quand bien même il trouve une situation injuste. Personnellement, j’ai de plus en plus de mal à tenir cette position qui met à mal mon sens de la justice. Comment les élèves peuvent-ils croire en une institution qui leur refuse le droit d’être entendus ?
Le deuxième élément a été l’écoute de plusieurs émissions consacrées à Janusz Korczak sur France Culture. Je porte depuis longtemps une attention à ce pédagogue qui a consacré sa vie à défendre l’intérêt des enfants et qui peut être considéré comme le père de la convention internationale des droits de l’enfant. Lors de la quatrième émission, Louise Tourret pose à ses invités la question de ce qu’il en est de l’apprentissage de la vie démocratique à l’école. Qu’en est-il vraiment ? Est-ce que l’existence des délégués de classe, des conseils à la vie collégienne ou lycéenne, des éco-délégués, etc. suffit à prouver que la parole des élèves est réellement prise en compte ou est-ce seulement « de la déco » ? Eric Delemar, adjoint à la défenseure des droits en charge de la défense et de la promotion des droits de l’enfant explique que globalement l’école ne veut pas voir « l’enfant » mais « l’élève ». Dans l’institution, l’élève a un rôle à tenir. Sa parole est rigoureusement encadrée par tout un nombre de garde-fous. Il suffit d’observer les conseils de classe. Si les délégués sont présents, quel est le poids réel de leurs interventions ?
Je repense à une déléguée de troisième qui était sortie de son rôle et avait défendu avec véhémence la situation d’un autre élève. Cette intervention avait été très mal perçue par l’équipe enseignante qui avait demandé au chef d’établissement de sanctionner cette élève pour la remettre à sa place. Interdiction est faite de remettre en cause l’ordre établi. Pour tenir compte de la parole des élèves et leur donner une véritable place au sein de l’institution, Eric Delemar pense qu’il serait judicieux de créer de véritables « cités éducatives », au sens grec, c’est-à-dire une communauté éducative où chacun puisse co-exister en étant reconnu en tant qu’individu avec des droits et des devoirs. Il ajoute qu’il ne faut pas oublier que les enfants passent un temps conséquent à l’école et que ce lieu n’est pas un lieu de passage mais un lieu de vie, il est donc important d’aider les élèves dès le plus jeune âge à prendre la parole et à exprimer librement des idées.
Ces émissions me questionnent sur ma propre pratique. Comment faire vivre une véritable démocratie scolaire au collège ? Comment faire en sorte de ne pas créer une forme de défiance chez nos élèves envers les processus de participation ? Doit-on s’étonner, par la suite, si de nombreux citoyens ne croient plus en la nécessité d’aller voter ? Il me paraît indispensable que nous puissions revoir en profondeur la question de l’apprentissage de la citoyenneté à l’école en gardant à l’esprit que l’enfant-élève est une personne avec des droits. Nous ne devons pas nous satisfaire de nos formations ou de l’animation de tel ou tel espace d’expression. Nous devons redonner du sens à cette éducation à la citoyenneté. Gardons à l’esprit l’article 12 de la convention internationale des droits de l’enfant qui précise que : « Les Etats parties garantissent à l’enfant qui est capable de discernement le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant, les opinions de l’enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité ». L’école ne peut pas se soustraire à cette responsabilité.
Nicolas Grannec*
*L’auteur écrit sous pseudonyme