Trente ans après la circulaire sur la « Neutralité de l’enseignement public : port de signes ostentatoires dans les établissements scolaires », l’historien Claude Lelièvre revient sur cette circulaire datée du 20 septembre 1994 et la loi de 2004 « sur le port des signes ou des tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics ». Dans cette chronique, l’historien souligne que ces textes ne sont « nullement obligatoires pour les établissements d’enseignement privés même sous contrat ».
Dix ans avant la loi du 15 mars 2004 « sur le port des signes ou des tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics », le ministre de l’Éducation nationale François Bayrou a adressé le 20 septembre 1994 aux recteurs, inspecteurs d’académie, directeurs des services départementaux de l’EN et aux chefs d’établissement une circulaire intitulée « Neutralité de l’enseignement public : port de signes ostentatoires dans les établissements scolaires »
« Je vous demande de bien vouloir proposer aux conseils d’administration, dans la rédaction des règlements intérieurs, l’interdiction de ces signes ostentatoires, sachant que la présence de signes plus discrets, traduisant seulement l’attachement à une conviction personnelle, ne peut faire l’objet des mêmes réserves, comme l’ont rappelé le Conseil d’État et la jurisprudence administrative | …] Proposition d’article à insérer dans le règlement intérieur : « Le port par les élèves de signes discrets, manifestant leur attachement personnel à des convictions, notamment religieuses, est admis dans l’établissement. Mais les signes ostentatoires, qui constituent en eux-mêmes des éléments de prosélytisme ou de discrimination, sont interdits. Sont interdits aussi les attitudes provocatrices, les manquements aux obligations d’assiduité et de sécurité, les comportements susceptibles de constituer des pressions sur d’autres élèves, de perturber le déroulement des activités d’enseignement ou de troubler l’ordre dans l’établissement »
Les attendus de cette circulaire signée par François Bayrou valent d’être mis en valeur en nos temps troublés : « L’idée française de la nation et de la République est, par nature, respectueuse de toutes les convictions, en particulier des convictions religieuses, politiques et des traditions culturelles. Mais elle exclut l’éclatement de la nation en communautés séparées, indifférentes les unes aux autres, ne considérant que leurs propres règles et leurs propres lois, engagées dans une simple coexistence […]. Cet idéal se construit d’abord à l’école. L’école est par excellence le lieu d’éducation et d’intégration où tous les enfants et tous les jeunes se retrouvent, apprennent à vivre ensemble et à se respecter. La présence, dans cette école, de signes et de comportements qui montreraient qu’ils ne pourraient pas se conformer aux mêmes obligations, ni recevoir les mêmes cours et suivre les mêmes programmes, serait une négation de cette mission. A la porte de l’école doivent s’arrêter toutes les discriminations, qu’elles soient de sexe, de culture ou de religion ».
Voilà qui est sans aucun doute bel et bon, à rappeler et à mettre effectivement eu œuvre. Mais un doute survient. De quelle « école » s’agit-il ? De l’« école publique » au sens strict (ne comportant pas les établissements privés sous contrat) ? Ou bien, comme il est parfois dit à propos de « l’école «, s’agit-il d’« un service public pluraliste » (comprenant structurellement les établissements privés sous contrat) ?
Force est de constater que ces injonctions ne concernaient directement aucunement les établissements privés sous contrat (en dépit des attendus invoqués…).
Il en est tout à fait de même pour l’application de la loi du 15 mars 2004 « sur le port des signes ou des tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics » qui n’est nullement obligatoire pour les établissements d’enseignement privés même sous contrat. Certes, la loi Debré garantit à ces établissements privés sous contrat leur « caractère propre ». Mais il est affirmé à l’article premier de cette loi que « l’établissement, tout en conservant son caractère propre, doit donner cet enseignement dans le respect de la liberté de conscience ; tous les enfants, sans distinction d’origine, d’opinion ou de croyance y ont accès ».
Ou bien la loi de 2004 n’est pas jugée nécessaire pour assurer la « liberté de conscience » dans les établissements privés sous contrat, et alors cette loi ne doit pas logiquement être jugée nécessaire pour les établissements d’enseignement publics. Ou bien la loi de 2004 est jugée nécessaire pour assurer au mieux la liberté de conscience dans les établissements d’enseignement publics, et il faut qu’elle soit aussi d’application obligatoire dans les établissements d’enseignement privés sous contrat.
Le principe de non-contradiction ne semble pas être un principe effectif de ces politiques scolaires…
Claude Lelièvre