Le jour de la proclamation des résultats d’Affelnet, 3402 lycéens de l’Essonne étaient sans affectation le 24 juin 2024. Qu’en est-il deux semaines après la rentrée ? Selon les estimations de la FCPE locale, ils seraient près de 700 élèves non-affectés dans l’Essonne. La FCPE comme les organisations syndicales déplorent l’absence de chiffres mais précisent que ces chiffres ne sont pas contestés par le rectorat. Le constat des manques est posé : manque de places dans les filières choisies par des élèves de 3ème dans des lycées professionnels publics, manque de places dans les lycées de la voie technologique et générale dans les filières STMG ou pour accueillir les redoublants de Terminale. Cette situation lève le voile sur des empêchements structurels du droit à l’éducation et de choix d’orientation pour des milliers d’élèves.
Droit à l’éducation : le cas des « chiffres stratosphériques » des lycéens sans affectation en Essonne
Pour Samir Alioua, le président de la FCPE 91, les chiffres des lycéens non-affectés sont « stratosphériques ». Le 24 juin, 22% des élèves n’avaient pas d’affectation en lycée. Aujourd’hui, s’ils ne sont plus 3402 élèves, ou près d’un millier comme à la rentrée à ne pas faire leur rentrée, ils sont à ce jour près de 700 élèves non-affectés. Samir Alioua juge ce chiffre « considérable car nous sommes près de 15 jours après la rentrée scolaire ». Il rappelle la situation de l’année précédente où « plus d’une centaine d’élèves n’avaient toujours pas d’affectation aux vacances de la Toussaint, soit six semaines après la rentrée ».
Les deux points noirs de l’Essonne sont l’orientation des élèves de Seconde dans la voie professionnelle et l’orientation de la Seconde vers la 1ère STMG qui représente une filière attractive pour les familles et les élèves.
Une rupture d’égalité
Le président de la FCPE 91 dénonce la « situation scandaleuse qui perdure depuis trois ans » dans l’Essonne et la rupture d’égalité pour les Essonniens. Il regrette une « situation qui se répète » et ce « malgré les alertes répétées » lors d’audiences avec le recteur de l’académie de Versailles. Dans un communiqué de presse daté du 23 juillet 2024, les représentants de parents d’élèves jugent cette « privation du droit à l’éducation inadmissible » et l’attente de la commission du 29 août trop tardive : « il n’est pas entendable de laisser dans l’attente élèves et familles pendant près de deux mois. Il ne leur sera pas non plus possible de s’organiser sereinement si près de la date de rentrée sans connaître par avance l’établissement retenu ».
Un manque de places en lycée
Les représentants des familles réclament « une ouverture immédiate de classes, et à moyen terme de lycées » devant le nombre criant de places manquantes pour les élèves. Ils demandent que les élèves puissent être scolarisés près de leur domicile. Pour eux, « les principes d’égalité d’accès et de traitement dans l’enseignement public doivent être parfaitement assurés ». En 2022, la situation similaire avait été dénoncée par la FCPE : « le jour de la rentrée, en Essonne, 900 élèves n’avaient pas d’affectation dans la filière de leur choix. »
Des places manquantes dans le public : une aubaine pour le privé ?
Le président de la FCPE de l’Essonne dénonce l’« orientation subie » que cette situation entraîne pour les élèves. Il poursuit : « depuis des décennies, on parle d’un lycée « rive droite Essonne » mais aucun chantier n’est lancé. L’Éducation nationale et la Région Ile-de-France se renvoient la balle. » Pour la FCPE, cette situation profite au privé : des familles recourent à l’enseignement privé ou alors les élèves sont amenés à changer d’orientation, à redoubler ou à se diriger vers l’apprentissage. Pour certains élèves, cette situation a entraîné un temps de trajet d’une heure.
Une rupture d’égalité dans le parcours d’orientation des élèves en UP2A
Des professeurs et coordinateurs d’UP2A, les unités pédagogiques pour les élèves allophones arrivants, des lycées de l’Essonne ont également dénoncé la rupture d’égalité pour leurs élèves. A l’issue des résultats d’affectation Affelnet fin juin, ils jugent que le dispositif exclut et nuit aux élèves EANA, les élèves nouvellement arrivés. Près de la moitié des élèves sont sans affectation, soit 100 sur 200 élèves. Les professeurs dénoncent des filières saturées, notamment dans le secteur tertiaire. Ils dénoncent devoir « encore faire face au mieux à une très grande anxiété des jeunes sans affectation et à une flexibilité totale de leur part pour en urgence faire des vœux complémentaires dans des filières et des établissements souvent très éloignés de leurs voeux initiaux. Au pire, nous devons, seuls, annoncer aux élèves qu’aucune école ne dispose de place pour eux l’an prochain (au moins 28 élèves sur 200) ». Pour eux, « il y a une rupture d’égalité dans la sécurisation du parcours d’orientation proposé pour les EANA scolarisés dans les dispositifs UPE2A lycée. A ce jour, c’est quasiment la moitié de nos élèves (99/200) qui n’ont pu obtenir une place sur les vœux faits sur la plateforme Affelnet. »
Ils poursuivent : « Nous savons que les non-affectations concernent également les élèves francophones du système ordinaire mais li est de notre devoir de vous alerter sur le fait que les EANA sont plus impactées que les autres. Il y a là un empêchement structurel dans l’accès au droit à l’éducation. »
L’Essonne : lanceur d’alerte ou caisse de résonance ?
Les Essonniens sans affectation sont à l’image des lycéens non affectés dans l’ensemble du pays, tels que les décrivent le Défenseur des droits « il s’agit de collégiens rencontrant des difficultés pour s’inscrire en classe de seconde, en particulier dans la voie professionnelle. D’élèves de seconde qui ont reçu une affectation tardive en classe de première, voire aucune affectation. Ou encore des élèves en classe de terminale ayant échoué à l’examen du baccalauréat (Bac) et qui ont rencontré des difficultés pour redoubler dans leur lycée d’origine ».
L’Essonne n’est pas un cas isolé.
Les élèves sans affectation étaient 19 000 élèves à la rentrée 2023. Le ministère avançait le chiffre de 14 000 élèves non affectés le 26 juillet. La Défenseure des droits avait énoncé une série de préconisations suivies par le Ministère, jugeant la date tardive du 8 septembre pour le dernier tour d’affectation pour les élèves de 3ème dans les lycées de leur académie. Elle juge ce délai « trop tardif au regard du stress et des difficultés générées pour les élèves et leurs familles ».
Axel Benoist, co-secrétaire général du syndicat de l’enseignement professionnel public, le Snuep FSU, confirme cette situation des lycéens non-affectés. Selon les données du syndicat, ils étaient encore des milliers d’élèves sans affectation à la rentrée : 700 élèves dans l’académie de Nantes, 375 à Grenoble, plus de 500 dans l’académie de Créteil, 223 à Paris, 420 dans l’académie de Toulouse et le record pour l’académie de Versailles avec plus de 1200 élèves sans affectation. Les élèves non-affectés sont des sortants de 3ème non-affectés en Seconde, majoritairement en lycée professionnel. Dans l’académie de Rennes, à l’issue du premier tour d’Affelnet, ils étaient 1100 sur 9903 élèves, à avoir demandé une filière de la voie professionnelle, soit 11% sans affectation.
Pour Axel Benoist, « il est difficile d’avoir des données fiables et stabilisées » à ce stade. Il évoque la stratégie du « surbooking » dans certaines classes, faute de places. Pour lui, il y a « une demande sociale » de formation professionnelle. Force est de constater la difficulté d’y répondre, malgré l’ambition pour la voie professionnelle, qualifiée de « grande cause nationale » par le président Macron.
Djéhanne Gani