Comment, la cinquantaine passée, une mère séparée, surendettée, sans travail, seul soutien de famille de son fils aimé plus que de raison, passe-t-elle de la fantaisie inconséquente à l’estime de soi, au goût du bonheur partagé et à la projection dans un avenir meilleur ? Avec « Une vie rêvée », son deuxième long métrage d’inspiration autobiographique après « Compte tes blessures » remarqué en 2016, le jeune Morgan Simon sait d’expérience ce qu’il filme. Aussi figure-t-il avec finesse le parcours capricieux et chaotique de Nicole, sa folie douce, ses ruses face au manque d’argent, son désir obsédant de faire plaisir à Serge son (grand) enfant étudiant, l’impasse matérielle et émotionnelle conduisant à l’explosion du ‘couple’ fusionnel. Et, en un dosage subtil de réalisme teinté d’humour et de cruauté avec une poésie onirique, Morgan Simon nous guide jusqu’à l’épanouissement de l’héroïne sous le regard doux et bienveillant de Norah, la voisine battante au cœur tendre. Valérie Bruni-Tedeschi, Félix Lefebvre et Loubna Azabal composent un trio crédible et touchant au service de personnages complexes, adeptes lucides d’ « Une vie rêvée », en lutte contre le fatalisme social.
Ruses en tous genres pour sauver l’amour fusionnel mère-fils
Dès la première scène, cadrée en plan large et fixe, nous découvrant Nicole, lointaine silhouette sous la pluie, une haute tour en béton se découpant dans le ciel gris. D’une voix se voulant convaincante, elle explique à des collègues supposés à l’autre bout de son portable que les panneaux dans la gare signalent des retards du RER ne lui permettant de les rejoindre à temps. Probablement un mensonge.
L’arrivée essoufflée dans un bureau où avec empressement elle ôte son chemisier et se retrouve seulement vêtue d’un soutien gorge a de quoi nous surprendre. Son interlocuteur que nous découvrons alors lui demande ce qu’elle fait ainsi. Et elle a cette réponse désarmante : ‘Oh pardon je me croyais chez le médecin !’. En fait elle est face à son banquier, le quel lui explique que, compte tenu de son niveau d’endettement (40 000 euros), elle doit restituer carte de crédit et chéquier. Il découpe la dite carte sous ses yeux et elle l’aide généreusement à détruire son propre chéquier que l’homme indifférent à sa détresse ne parvenait pas à déchirer.
Les fêtes de Noël approchent. Comment une mère sans le sou va-t-elle s’y prendre pour faire à son fils Serge un cadeau à la hauteur de l’événement ? Nous ferons silence sur la ‘solution’ radicale trouvée, laquelle devrait permettre au fils de faire des économies substantielles…après la mort de sa mère. De fil en aiguille, de maladresses affectueuses en ruses calamiteuses pour repousser le ‘déclassement’ social dans lequel la ‘famille’ risque de basculer, le minuscule appartement du HLM, aux lumières tamisées, décoré de bibelots en surabondance et de plantes en plastique, devient le théâtre d’une crise grave : cris à outrance, accès de violence, rupture ouverte, départ précipité du fils proférant haine ouverte et soif d’indépendance.
De la mère désarmée à la femme retrouvée : Norah et l’ouverture au monde
Messages sans réponses, cris d’amour sans retour. Rien n’y fait. Le silence du fils se prolonge et la détresse de Nicole, en pleine perte de repères, devient difficile à cacher. Il va suffire d’un regard posé sur elle, d’une première manifestation d’empathie de la part de la patronne du café de son quartier pour qu’un éveil salutaire se produise. Norah lui offre une boisson chaude. Discrète et pudique, elle ne pose pas de questions inutiles. Elle lui confie cependant sa (modeste) philosophie de la vie, le précepte qu’elle suit et l’énergie qui s’en dégage : ‘il faut se créer son bonheur à soi, ma chérie’.
Nous vous laissons découvrir, comme le fils en aura l’occasion d’en être témoin à son retour inopiné au domicile maternel, la relation intense et joyeuse nouée entre les deux femmes. Sous le regard un rien ébahi de Serge, Nicole et Norah dansent avec grâce et lenteur sur un air de Dalida et s’étreignent doucement. Une situation inédite pour Nicole, visiblement métamorphosée. A la faveur de cette belle rencontre (et d’autres événements notables comme la possibilité offerte d’une garantie d’embauche), Nicole renoue avec l’estime de soi, l’amour pour son fils (de la passion étouffante à l’intérêt réel pour le goût de Serge pour les Sciences), la redécouverte de son corps et du désir, la possibilité d’un avenir et l’appartenance au monde.
Noël peut être fêté en toute franchise et gaité. Un gros plan sur un visage féminin rayonnant, découpé par des éclairages doux, aux antipodes de la grisaille et du lointain inaugural. Nicole envahit l’écran et trouve sa place.
Samra Bonvoisin
« Une vie rêvée », film de Morgan Simon-sortie le 4 septembre 2024
En Compétition, Festival du film francophone d’Angoulême , FFA 2024 ;
Prix de la Fondation Barrière