L’année commence. Quand on est jeune prof, c’est le temps des doutes. Très vite, les conseils fusent de toutes parts. D’abord réconfortants, ils apportent des repères. On ne peut pas tout inventer soi-même. Le risque, c’est aussi de se conformer à une vision préétablie du métier, là où tout est à réimaginer. Devrait-on alors suivre ces conseils de rentrée ? Céline Cael et Laurent Reynaud, enseignants dans l’équipe des classes coopératives du lycée Feyder proposent de passer à la loupe ces conseils traditionnels pour ouvrir un autre horizon : celui du questionnement assumé.
En cette veille de rentrée, il serait tentant de titrer un article “Conseils à un jeune prof” : titre accrocheur, voire racoleur, qui rassemblerait tout un tas de recommandations bien intentionnées. Cela dit, les conseils ne sont pas toujours bons à prendre. Ceux qui résonnent ici et là à l’occasion de la rentrée scolaire à destination des jeunes enseignants, aussi bienveillants soient-ils, ne font pas exception à cette règle.
Examinons certains de ces conseils. Non pas pour les rejeter d’emblée, mais pour les soumettre à la réflexion critique et à l’épreuve du terrain. Peut être parce que, devenir enseignant, c’est avant tout apprendre à interroger ce que l’on tient pour acquis, à remettre en cause les évidences, et à tracer ainsi un chemin singulier. Un chemin qui propulse vers un horizon plus motivant, au-delà du pré-établi.
“Pour connaître ses élèves, il faut faire des fiches de renseignements”
A chaque rentrée, les fiches de renseignements pleuvent. Lors du premier cours, les élèves sont invités à communiquer des informations : “nombre de frères et sœurs ”, “profession du père, de la mère ou des responsables légaux”, “intérêt pour la matière”, “points forts”, “difficultés”. L’objectif semble évident : mieux connaître les élèves pour mieux les aider par la suite. Est-ce vraiment si simple ? Ces informations collectées sont parfois gênantes pour les élèves qui ont du mal à entrer dans les cases. Que faut-il écrire dans la rubrique “intérêt pour la matière”, quand on ne l’aime pas ? Faut-il être sincère au risque de mal se faire voir dès la rentrée ou bien faut-il falsifier un peu la réalité ? Que faut-il écrire dans la rubrique “nombre de frères et sœurs” quand on vit aussi avec des demi-sœurs ou des cousins ? Que faut-il indiquer comme métier des parents quand ces derniers occupent un métier dont les élèves peuvent avoir honte ? Les réponses sont donc parfois loin de la parole authentique à laquelle on aimerait accéder.
En 2017, plus de 700 lycéens ont été interrogés à propos des fiches de rentrée qu’ils renseignent. 90% d’entre eux avaient déjà rempli ces fiches au cours de leur scolarité. Parmi eux, 3 élèves sur 4 ont expliqué avoir été embarrassés par une des questions et avoir menti, notamment pour ne pas afficher ce qu’ils considéraient comme un “handicap social” (le métier de leurs parents, leur situation familiale) ou au contraire pour sélectionner parmi leurs loisirs ceux qui correspondent davantage à la norme scolaire[1]. Et puis, même dans les cas rares où la parole est authentique, cela permet-il vraiment de mieux connaître les élèves ? Pas si sûr. Ce que permettent à coup sûr ces fiches de renseignement c’est de se faire une “image” des élèves par avance. Une image construite sur la base des biais liés aux rubriques choisies et aux perceptions que les réponses conditionnent. Or les images collent bien souvent à la peau et il est difficile de s’en extraire. L’autre risque quand on est débordé par la charge de rentrée, c’est de ne pas les lire ces fiches. Or, si les élèves y ont indiqué une information importante, il y a de grandes chances qu’ils ne nous pardonnent pas d’être passés à côté d’une confession pour laquelle ils attendaient notre aide.
Que faire alors pour mieux connaître les élèves dès le premier jour sans les enfermer dans ce qu’ils pensent être ?
- En ce qui concerne les informations administratives, elles sont disponibles sur Pronote ou dans les anciens bulletins scolaires disponibles à la vie scolaire.
- De nombreuses équipes pédagogiques organisent à l’échelle de la classe des petits entretiens oraux pour faire connaissance avec les élèves et, tout au long de l’année, continuer à faire équipe avec le CPE de la classe pour obtenir des informations lorsqu’un élève présente des difficultés.
- Notre équipe des classes coopératives tente également d’organiser des activités brise-glace comme le chamallow challenge, un prétexte pour discuter des conditions d’un travail en équipe réussi. Il faut ici expliciter l’objectif de l’activité en amont et faire un point en aval pour démontrer aux élèves qu’ils n’ont pas fait que jouer mais qu’ils ont bien appris quelque chose : s’agiter pour cogiter ensemble.
“Ne souris surtout pas le premier mois”
Ce conseil est souvent décliné de plusieurs manières, tous liés à un horizon temporel : “Ne laisse rien passer jusqu’aux vacances de la Toussaint”, “Vire un élève dès le premier cours pour donner l’exemple” “Force les élèves à se lever quand tu entres dans la classe, au moins les premières semaines”. La question de l’autorité en classe est au cœur de l’actualité. Certaines forces politiques de droite et d’extrême droite appellent de leur vœu à un retour de l’autorité, synonyme d’uniforme, de punitions portant sur la sphère familiale, ou d’exclusion rapide du système scolaire. Si mettre en place des règles de classe et les faire respecter sont sans aucun doute les prémices d’une année utile pour toutes et tous, il faut veiller à ne pas confondre autorité et autoritarisme.
Il y a un fossé de valeurs entre tenter de construire un cadre structurant et chercher à inspirer la crainte. Pour y voir plus clair, il est parfois nécessaire de se focaliser sur notre mission : faire apprendre. Dès lors, les questions qui se posent quand on réfléchit à l’autorité se redessinent : qu’est ce qui permet aux élèves d’apprendre ? Apprend-on quand on craint les réactions de celui qui nous évalue et nous jugera à la fin de chaque trimestre ?
- L’autorité, ce n’est pas crier plus fort que les autres, ne pas sourire, ou faire peur aux élèves. Elle réside plutôt dans le fait de fixer des règles et mettre en œuvre des sanctions éducatives, progressives lorsque la règle est transgressée. Si les élèves comprennent le sens de la sanction, le lien éducatif peut être maintenu.
- L’autorité peut aussi être éducative[2], c’est-à-dire liée à la mise en œuvre d’apprentissages aussi accessibles qu’ambitieux.
- Pour le caractère temporel de ces conseils, là aussi on peut l’interroger. Loin d’être une compétence en sursis, l’autorité peut aussi être envisagée comme une condition qui se co-construit dans le temps. Ainsi, les élèves peuvent questionner les règles au fil du temps pour renforcer leurs sens ou en ajouter d’autres pour mieux travailler. Concrètement, dans nos classes nous essayons de nous mettre d’accord sur 3 ou 4 règles communes majeures. Nous les faisons respecter et les élèves aussi. Elles peuvent évoluer lors de conseils d’élèves, des moments hebdomadaires où nous réfléchissons au sens des règles, à la vie de classe.
“Une classe qui travaille est une classe calme”
Tout le monde souhaite avoir une classe calme sans bruit. Mais face à cette évidence arrive très vite un constat : ce n’est pas si simple de définir ce que veulent dire calme et bruit dans sa classe. On pourrait dire qu’ il y a plusieurs types de calme dans une classe : un calme studieux, d’élèves en réflexion et un calme d’élèves dormant ou s’évadant loin des bancs de l’école. De la même manière, il y a plusieurs types de bruit : celui d’une classe agitée, occupée à d’autres choses qu’aux apprentissages et un bruit de travail, suscité par la coopération des élèves. Alors, comment distinguer ces différents types de bruit ? Comment ne pas paniquer dès qu’on sent une classe s’agiter en perdant le fil des apprentissages ? Est-il souhaitable, ou même possible, que les élèves soient silencieux de 8h à 17h sauf pendant leurs courtes pauses récréation ou déjeuner ?
Distinguer ces différentes formes de bruit ou de silence prend du temps et se construit sans doute tout au long d’une carrière. En attendant, il est possible de mettre en place des situations d’apprentissages au sein desquelles les élèves apprennent ensemble, que ce soit dans le calme ou à travers de vifs échanges.
- Observer les échanges entre élèves, avant de les réprimander par un “chut !”, est souvent instructif : est-ce du bavardage ou un élève qui tente d’expliquer à son camarade une information mal transmise ?
- Adapter son propre ton est parfois très utile pour faire redescendre une agitation de classe. En classe, l’énervement et l’élévation du ton de la voix ont un effet miroir : plus l’enseignant élève la voix, plus les élèves sont susceptibles de répondre de la même manière, créant parfois une escalade de tensions.
- Notre équipe met en place plusieurs pratiques coopératives pour permettre aux élèves d’apprendre ensemble en passant du bruit aux échanges : la situation problème permet de créer les conditions de l’intérêt des élèves pour la question de notre séance ; la classe puzzle, par l’interdépendance qu’elle crée entre les élèves est source de motivation et de dynamisme ; enfin des séances de tutorat entre élèves, organisées par l’enseignant peuvent également s’avérer utiles pour les élèves tuteurs comme tutorés[3].
“Ne fais pas trop confiance aux élèves, souvent, ils mentent !”
Encore un conseil que l’on retrouve sous différentes formes, toutes marquées par une certaine méfiance : “Ils te testent”, « Les élèves chercheront toujours à contourner les règles », « Ne prends jamais pour argent comptant ce qu’ils disent », « Garde toujours un œil sur eux, ils mentent pour éviter les sanctions. » Certaines approches prônent une attitude de vigilance constante, voire de suspicion, vis-à-vis des élèves. Progressivement, s’installe alors une confusion entre prudence nécessaire et méfiance excessive. Pourtant, considérer les élèves comme des interlocuteurs valables peut permettre de construire un environnement d’apprentissage émancipateur.
Certains élèves mentent pour des raisons diverses, souvent par crainte de sanctions. Faut-il pour autant ne jamais faire confiance à ceux que nous allons côtoyer chaque jour ? Si on ne considère jamais la parole de l’élève, comment peut-on l’aider à progresser ? Et si, ouvrir la voie à des formes de reconnaissance, plutôt que de confiance, envers les élèves permettait de les faire progresser vers plus d’autonomie et de responsabilité ?
Depuis plusieurs années, notre équipe met en place des conseils de classe participatifs – des conseils de classe où les élèves sont présents – . Ce conseil est organisé en amont avec les élèves qui font un bilan de leur trimestre. Chacun passe ensuite devant la moitié de l’équipe pédagogique pour discuter ensemble de l’évolution, des difficultés et définir des engagements. Il ne s’agit plus simplement de poser un diagnostic mais de construire un chemin de progrès en tenant compte de ce que dit l’élève.
“Attention aux pédago, du vent, de belles paroles mais rien de concret”
Si l’enseignant n’est pas pédagogue, qui l’est ? Dès lors, il devient compliqué de comprendre le sens du mot “pédago” mobilisé de manière péjorative dans ce type de conseil. La pédagogie, si elle recouvre des réalités complexes, peut être résumée à travers un triptyque de trois grands pôles : les convictions d’une part – nos valeurs, nos intentions, ce qui nous porte -, des concepts théoriques – les savoirs disciplinaires que l’on souhaite transmettre à nos élèves mais aussi des conclusions issues de travaux en sciences de l’éducation – et enfin, des pratiques, c’est-à-dire différentes modalités qui vont nous permettre de transmettre les contenus disciplinaires. Quand un pédagogue évoque des valeurs, cela peut paraître éloigné des pratiques. Et pourtant, faire pédagogie, c’est précisément se poser la question de la congruence entre nos valeurs et nos pratiques, entre nos pratiques et les savoirs théoriques, entre les savoirs théoriques et ce que les élèves ont finalement compris.
Parler de valeurs quand on est enseignant n’empêche pas d’imaginer des pratiques concrètes, c’est tout le contraire. Notre équipe partage régulièrement des idées, des ratés et des réussites pédagogiques sur ce blog. Aucune pratique pédagogique n’est vouée à être immuable ou figée dans le temps. Elle s’adapte à chaque enseignant, au contexte de classe, aux périodes que nous vivons. Et si certaines pratiques nous intéressent mais nous semblent loin de notre réalité, rien ne nous empêche de les glisser dans notre boîte à outils afin de les utiliser plus tard, ou jamais.
Alors quels conseils suivre ? Pour cette rentrée, souhaitons modestement aux collègues qui rejoignent l’Education Nationale, non pas des conseils à suivre mais un cap : celui de réfléchir en équipe, remettre en question ce qui semble évident et assumer le tâtonnement et le cheminement d’un métier qui s’apprend.
Céline Cael et Laurent Reynaud
Toutes ces réflexions et pratiques sont partagées sur le blog Feydercoop
[1] Murillo, A. (2019), “Des élèves doublement inégaux face aux fiches de renseignements de début d’année”, La Recherche en Éducation, 19.
[2] Robbes B. (2020), L’autorité éducative dans la classe, ESF Sciences Humaines.
[3] Voir l’effet tuteur (Le tutorat, Alain Baudrit)