Comment lutter contre la sédentarité ? L’EPS sortira-t-elle renforcée suite aux Jeux Olympiques ? Guillaume Dietsch est un enseignant agrégé d’EPS en STAPS, à l’Université Paris-Est Créteil. Il est l’auteur de « Les Jeunes et le Sport. Penser la société de demain » (janvier 2024) et co-auteur de « Une histoire politique de l’EPS. Du XIXe siècle à nos jours » (sortie prévue le 12 septembre 2024, 2e édition) aux éditions De Boeck Supérieur. Dans un contexte de Jeux paralympiques, le Café pédagogique lui pose des questions sur les enjeux des JOP pour l’École, la place et le rôle du sport dans l’École, notamment sur la question de l’inclusion.
Transformer l’essai des JOP à l’École ? Quels enjeux pour l’école ?
L’organisation des Jeux olympiques et paralympiques (JOP) de Paris est une réussite. Tandis que les Jeux de Paris ont attiré les projecteurs, c’est bien à travers le projet d’héritage et d’éducation de la jeunesse que la décision du politique est attendue. Les préoccupations quotidiennes des populations socialement défavorisées sont très éloignées du spectacle sportif et de l’image idéalisée qu’une société souhaite lui donner.
Les JOP de Paris 2024 ne peuvent masquer les réalités sociales et scolaires. La promesse de départ était de faire des Jeux de la Nation avec un impact sur l’ensemble du territoire français et pas seulement à Paris et en Ile-de-France. Des changements seront perceptibles en Seine-Saint-Denis avec des piscines en héritage. D’autres départements ruraux n’auront pas cette chance.
La France a besoin d’un investissement massif dans des politiques publiques répondant à la hauteur de l’enjeu. Pour l’État, il est urgent d’accorder des moyens structurels – à travers des installations sportives de proximité, rénovées et répondant aux enjeux sociétaux et scolaires actuels (l’inclusion, la mixité, la durabilité) et humains plus importants – des enseignants mieux formés et en nombre suffisant.
Les Jeux de Paris ont pour ambition d’impulser une révolution culturelle du sport en France. Or, il ne suffit pas d’énoncer les vertus du « sport » comme un leitmotiv. L’implication des adolescents dans une activité sportive ne va pas forcément de soi en milieu scolaire. Les enseignants jouent un rôle fondamental d’autant que l’engagement durable dans une pratique sportive est marqué par d’importantes inégalités, les aspirations et les goûts sportifs variant selon le milieu social ou encore le sexe.
À l’école, le ministère de l’Éducation nationale et de la jeunesse cherche à encourager les jeunes à « bouger » pour lutter contre la sédentarité. Or, on peut relever actuellement un « mille-feuille » de dispositifs proposés à l’école (« 30 minutes d’activité physique quotidienne (APQ) » en primaire, ou encore « deux heures de sport supplémentaires (2HSC) au collège) en complément des heures d’EPS obligatoires. Le flou organisationnel autour de la mise en place des « 30 minutes d’APQ » à l’école pose la question des finalités éducatives visées et de la logique court-termiste et utilitariste retenue.
On peut ainsi regretter une externalisation de l’enseignement des APS plutôt qu’un renforcement de l’EPS, avec des moyens humains et en formation à la hauteur de l’ambition politique. Les dispositifs scolaires existants (associations sportives scolaires, sections sportives scolaires, sports études, etc.) permettent déjà de tisser des partenariats et d’offrir des temps de pratiques physiques et sportives supplémentaires. Le projet d’héritage passe par le renforcement de l’EPS à l’école, avec un enjeu prioritaire : rendre effectif les heures d’EPS dans les programmes afin que chaque enfant puisse bénéficier des heures d’enseignement dû à chaque élève de la République.
La France brille de ses médailles olympiques. Est-ce que la France est « un pays de sport » comme on a pu l’entendre ces dernières semaines ?
Certains champions olympiques tels que Florent Manaudou ou encore Teddy Riner ont relancé le débat en déclarant que « la France n’est pas un pays de sport ». Ils pointent notamment le manque de reconnaissance dont bénéficie la culture sportive. Le nageur Florent Manaudou a ainsi jugé insuffisant le nombre d’heures de cours d’EPS. Il est nécessaire de bien définir ce que l’on entend par « pays de sport ». On a tendance à confondre le sport qui se regarde (le sport spectacle de haut-niveau) avec le sport qui se pratique (au niveau amateur dans les clubs ou de façon autonome) et celui qui s’enseigne (à l’école en EPS et au sein des clubs sportifs).
Évaluer la culture du sport d’un pays par ses seuls résultats dans les grandes compétitions sportives internationales comme les Jeux est réducteur. La réalité est plus complexe. La notion de culture est bien plus large et renvoie à un ensemble de normes et de valeurs partagées par une population – dans tous les secteurs de la vie sociale, et notamment à l’école.
La France est la 5ème puissance olympique de l’histoire. Elle a également fini à la 5e place au tableau des médailles lors des JO de Paris. Comparativement à sa population totale, elle a un ratio très élevé en termes de résultats sportifs et de médailles au niveau international. Elle est aussi le pays qui a organisé le plus d’événements sportifs internationaux depuis la fin des années 1990.
Depuis les années 1960, les politiques sportives en France se sont construites sur cette idée de faire rayonner le pays par ses résultats sportifs et ses médailles. Maurice Herzog, Haut-commissaire aux sports à cette époque disait justement : « Si la France brille à l’étranger par ses penseurs, ses savants, ses artistes, elle doit aussi rayonner par ses sportifs ». Le sport est politique. Il est devenu un instrument géopolitique.
Pour autant, ce modèle compétitif structurant le haut-niveau ne reflète pas tout à fait la réalité de la place du sport dans la société française. La France est un pays de sportifs et de sportives plus qu’un pays culturellement sportif. Les Français sont nombreux à s’adonner à une pratique physique ou sportive régulière. Mais, malgré une augmentation du nombre de sportifs en France, la pratique sportive reste très marquée socialement et en fonction du genre.
L’organisation d’un grand évènement sportif n’est pas une condition suffisante pour favoriser l’engagement à long terme d’une population dans une activité physique et sportive. Aussi, les effets positifs sur l’activité physique à long terme se poseront comme un indicateur de réussite des Jeux de Paris et de son héritage pour la population.
A l’école, le système éducatif français accorde une large place à l’EPS et au sport scolaire. Avec trois heures d’EPS, la France fait partie des pays européens accordant le plus d’heures à cette matière à l’école élémentaire (L’Europe de l’éducation en chiffres 2022, DEPP, décembre 2023). Dans la réalité, le temps effectif qui lui est consacré est moindre – environ 1h50 – pour partie lié au trajet des élèves vers les installations sportives.
D’autres raisons peuvent être évoquées : le poids des « fondamentaux » (français, mathématiques) dans les programmes, ou encore la baisse des heures d’EPS en formation initiale pour les futurs professeurs des écoles.
La discipline EPS est présente sur l’ensemble de la scolarité de l’élève de la maternelle au lycée. Cette exception française cache pourtant un manque de reconnaissance de la culture du sport dans le pays des Lumières. L’enseignement du « sport à l’école » subit encore le mépris social d’une certaine élite et une méconnaissance générale, celle de son importance sociale. D’un point de vue culturel, les apprentissages en EPS peinent à être considérés comme fondamentaux pour l’épanouissement de l’enfant et le développement de compétences motrices et psychosociales.
L’EPS constitue l’un des derniers espaces de mise en jeu du corps, commun à toute une génération d’élèves – quelles que soient leurs caractéristiques morphologiques, psychologiques ou sociales – et contribue à la transmission d’une culture sportive et corporelle partagée.
A l’heure des Jeux paralympiques, que dire de l’inclusion dans et par le sport, dans la société comme dans l’école française ?
L’organisation des Jeux a pour ambition de faire la « révolution paralympique » en France pour reprendre les mots de Tony Estanguet. Les JOP devraient être l’occasion de garantir enfin ce droit pour tous, promesse datant de près de vingt ans et la loi de 2005 relative au handicap.
Or, de nombreux obstacles limitent encore la pratique d’une activité physique ou sportive pour les personnes en situation de handicap. Celles-ci évoquent notamment la fatigue et les douleurs physiques liées à leur handicap, le manque d’informations sur les équipements sportifs et les offres adaptées, l’éloignement des lieux de pratiques de leur domicile et le coût jugé trop élevé de la pratique encadrée.
La question du handicap dans le sport reste un défi pour les politiques publiques. Malgré de réelles avancées dans le domaine du sport adapté, d’importantes inégalités perdurent et mettent à mal l’idéal d’inclusion des personnes en situation de handicap. Leur intégration est en effet conditionnée à une politique d’accessibilité devant permettre à tous de pouvoir gagner en autonomie. Le manque de personnels qualifiés à l’encadrement des pratiques physiques sportives adaptées pour ces pratiquants est également un facteur limitant.
Le monde sportif peine encore à mettre en œuvre des pratiques inclusives et partagées. Les activités – tout comme l’usage des équipements sportifs – se révèlent être des pratiques « côte à côte », séparées, plutôt que des activités partagées, des sportifs privilégiant le « je » plutôt que le « nous ». Le développement de la pratique sportive pour toutes et tous nécessite des investissements conséquents en termes d’équipements sportifs inclusifs. Des leviers d’action existent afin de réduire les inégalités d’accès à la pratique sportive.
Les usagers sont aujourd’hui en attente d’espaces sportifs diversifiés en adéquation avec leurs envies. La tendance à la spécialisation des équipements est désormais révolue puisqu’elle induit une séparation des pratiquants.
Faire vivre l’inclusion dans le sport requiert d’agir dès l’enfance tant au niveau de l’éducation donnée par les parents qu’au niveau de l’organisation des espaces sportifs et des cours de récréation à l’école. En effet, les « valides » et les « non valides » devraient avoir la possibilité de jouer ensemble sur le même terrain.
Développer la pratique sportive pour tous en France requiert un accompagnement et une éducation sportive des usagers afin de garantir une pratique partagée. La formation et les compétences des professeurs des écoles, des enseignants d’EPS à l’école, des enseignants en APA (Activité Physique Adaptée) dans les clubs, sont primordiales pour encadrer les publics les plus éloignés de la culture de l’activité physique et sportive.
Pour la population, quel héritage restera-t-il demain ? Il n’est pas certain que les doux souvenirs transforment durablement la situation du sport et de l’EPS dans certains collèges délabrés de la Seine-Saint-Denis. A la rentrée, les enseignants de l’École publique et les bénévoles au sein des clubs sportifs auront besoin d’être soutenus et accompagnés. C’est à ce prix que les Jeux de Paris seront véritablement une réussite populaire.
Propos recueillis par Djéhanne Gani
Dans le café
Guillaume Dietsch : « Proposer une « EPS inclusive » permettant la réussite de tous les élèves »