La démocratisation du système scolaire est d’évidence une question complexe qui ne peut faire l’économie de débats sur les choix pédagogiques et les organisations institutionnelles qu’elle nécessite. Mais cette exigence ne peut constituer l’argument de justification d’une politique qui refuse l’attribution de moyens pour se contenter d’une succession de réformes dont les principes varient au gré des alternances gouvernementales, des idéologies politiques et des convictions personnelles des ministres. Nous connaissons désormais les effets d’un tel usage: ils ont tellement semé le doute dans les cultures professionnelles et tant détérioré les conditions de travail qu’ils ont largement contribué à la crise d’attractivité des métiers enseignants et à la dégradation du service public d’éducation. Et cela sans que l’examen de leurs conséquences ne vienne témoigner de la réalité des progrès qu’elles annonçaient.
La réforme du lycée prétendait résoudre les inégalités d’accès aux études scientifiques : elle les a renforcées !
La réforme de l’enseignement professionnel se vantait de favoriser une meilleure réussite des élèves mais a réduit leur temps d’enseignement et fragilisé leurs parcours.
La réforme de l’enseignement de la lecture annonçait des améliorations qu’aucune étude ne vient confirmer sauf à instrumentaliser quelques progrès très fragmentaires sans véritable enjeu sur la démocratisation des usages de l’écrit.
Et de façon plus générale, les évaluations internationales posent le verdict clair de l’incapacité des politiques menées à rendre l’école plus égalitaire.
Cessez de mépriser la revendication de moyens !
Il est de bon ton dans les débats institutionnels de considérer que la revendication des moyens procèderait d’une paresse de la réflexion qui céderait à une facilité revendicative destinée à éviter toute remise en cause, toute transformation. Le discours ministériel nous assure porter le débat dans ses dimensions qualitatives, là où nous l’enfermerions dans la bassesse du quantitatif. À tant le répéter, a fini par s’installer un mépris pour la revendication budgétaire, renforcé par la culpabilisation d’une irresponsable contribution à l’augmentation de la dette publique. Nous devons réaffirmer vigoureusement qu’il n’y a pas de démocratisation possible sans que le service public ne soit doté à la hauteur de cet enjeu.
D’autant que la fermeté de l’austérité budgétaire est à géométrie variable : une récente enquête a révélé qu’1,2 milliards avaient été accordés aux lycées privés, au-delà des obligations égales…
Cessez de prétexter la réussite de l’élève !
D’évidence, la rhétorique d’un mépris de la revendication budgétaire sert les volontés ultra-libérales de réduction des services publics et elle le fait avec une cynique habileté puisqu’elle est devenue capable de laisser croire que de tels choix « qualitatifs » procéderaient d’une volonté de contribuer à la réussite de l’élève. Jusqu’à insinuer que le projet d’une élévation générale du niveau de connaissances et de diplomation par la démocratisation des études longues procéderait d’un acharnement qui s’avérerait inutile à la société et inadapté à la réalité des aspirations de la jeunesse. Une telle logique cherche à convaincre que pour garantir la réussite, il faut diminuer, par le tri et la sélection précoce, le nombre d’élèves ayant accès au lycée et aux études supérieures et elle le fera d’autant plus facilement que les préjugés sur la prédestination naturelle des individus aux études sont loin d’avoir disparu.
Une lente transformation culturelle avait permis, tout au long du XXe siècle, à défaut d’une réelle démocratisation, une massification ouvrant largement, pour les enfants des milieux populaires, la possibilité d’accéder à des études plus longues. Elle s’était nourrie des aspirations à une école unique, des prises de conscience permises par la sociologie critique et d’un refus de l’idéologie des « dons ». Les discours actuels laissent craindre une inquiétante régression.
Renouons avec la nécessaire dimension matérialiste de la démocratisation
Il faut que nous nous réappropriions une évidence : mettre en œuvre une politique de démocratisation scolaire, faire le choix d’une école égalitaire, vouloir une élévation générale du niveau de connaissance nécessitent des investissements publics conséquents capables de générer davantage de moyens. L’éducation a un coût … d’autant plus si on la conçoit dans la finalité de l’émancipation de toutes et tous.
Elle a un coût parce que les besoins humains sont essentiels. Les effectifs actuels sont, dans bien des classes, trop élevés pour permettre une aide efficace des élèves en difficulté, aide qui constitue une des clés essentielles de la démocratisation des savoirs. Notre système actuel ne parvient même plus à garantir la permanence de l’enseignement du fait de son incapacité à assurer, tout au long de l’année, la présence d’un enseignant dans chaque classe. Et les politiques successives n’ont cessé de réduire le temps d’enseignement dont bénéficient les élèves.
L’école a donc besoin d’un recrutement conséquent. Et pas seulement d’enseignantes et d’enseignants : compte-tenu des situations sociales et de santé des élèves, les apprentissages scolaires nécessitent l’intervention pluriprofessionnelle aujourd’hui défaillante, faute de personnels.
Or, la crise de l’attractivité de l’enseignement et l’incapacité des gouvernements successifs à la résoudre rendent impérative, pour permettre un recrutement d’ampleur nécessaire, une revalorisation des salaires capable de produire des effets réels. Et pour la conforter, il faut que cesse la dégradation des conditions d’exercice et tout particulièrement celle que génère une conception qui veut réduire le travail enseignant à l’exécution de procédures méthodologiques contraintes.
Enfin, la complexité des métiers exige une formation professionnelle initiale et continue ambitieuse et exigeante qui est aujourd’hui réduite à peau de chagrin et largement inadaptée aux besoins réels des personnels. La démocratisation des savoirs nécessite un haut niveau de maîtrise didactique et pédagogique.
Mais la question n’est pas seulement celle des besoins humains. Les besoins matériels les plus élémentaires ne sont plus suffisamment pourvus. Comment nourrir une ambition élevée du travail scolaire quand, dans certains établissements, la dégradation des locaux ne permet pas le confort minimal nécessaire aux études des élèves et au travail des personnels, quand les insuffisances de dotation empêchent ou complexifient le déroulement des activités les plus élémentaires ? Trop de situations viennent témoigner au quotidien des conséquences néfastes des restrictions budgétaires.
Le temps est venu de ne plus accepter la mise à l’écart de la question des moyens. Elle doit être une exigence sans concession des revendications parentales, professionnelles, syndicales et politiques. Le service public d’éducation ne peut pas poursuivre ses finalités égalitaires sans moyens. Il n’est plus acceptable, donc, que lui soit prescrit des demandes qui, faute de ressources humaines et matérielles, se heurteront à l’échec tout en continuant à dégrader les conditions d’étude des élèves et les conditions de travail des personnels.
Affirmer une telle nécessité n’est en rien contradictoire avec une exigence qualitative.
Que la politique publique donne aux personnels les moyens de démocratiser l’accès aux savoirs et de permettre l’élévation générale du niveau de connaissances et nous pourrons alors renouer avec l’ambition démocratique qui fait le pari que des fonctionnaires reconnus, valorisés et hautement formés porteront l’ambition d’une éducation émancipatrice et égalitaire et que l’intérêt général guidera leurs volontés d’action.
Paul devin