Et voilà, les vacances se terminent. Lundi prochain, élèves et enseignants reprendront le chemin de l’école, du collège ou du lycée pour “faire leur rentrée”. Une routine partagée qui deviendrait presque une corvée pour tout le monde. Et si la rentrée était organisée pour véritablement “faire connaissance” ? Est-il possible de l’envisager comme un jour de rencontre qui humaniserait, peut-être, un peu plus le rapport à l’école ? Laurent Reynaud, enseignant de SVT au lycée Jacques Feyder, partage une réflexion et une mise en œuvre qu’il expérimente avec une équipe de collègues.
Le jour de rentrée, un jour pas comme les autres à en croire la couverture médiatique. Pourtant, derrière les murs des écoles, une routine bien huilée s’enclenche pour les élèves et les enseignants. Des deux côtés, la journée commence par des émotions qui s’entrechoquent sur le chemin. L’excitation de retrouver les collègues ou les amis percute assez souvent l’angoisse de l’attente, que ce soit celle de la classe affectée ou de l’emploi du temps. Il y a aussi l’appréhension de découvrir de nouveaux visages, et parfois même de nouveaux murs. Pourtant, à mesure que la journée s’écoule comme une pièce de théâtre vue et revue, c’est l’indifférence qui s’impose et la fatigue de l’ennui qui accompagne le chemin du retour.
La rentrée : on arrive excités et anxieux, on repart atone
Il faut dire que la rentrée est prévisible par tous et toutes : énumération des prénoms avec quelques écorchures, sermon aussi ennuyeux qu’inaudible, distribution des emplois du temps, lecture du règlement intérieur qui égraine des règles usuelles, distribution des livres, et parfois visite des locaux en rang d’oignons. Certains verront dans cette liste une tendance à l’exagération. C’est vrai. Les emplois du temps sont désormais connus en avance mais uniquement côté enseignants. Le rappel des enjeux scolaires n’est parfois pas abordé ou alors d’une manière dynamique, mais ce n’est pas toujours partagé côté élève. Au-delà de ces variantes, l’ennui s’impose tout de même assez vite. Tout le monde arrive traversé par des émotions vives et semble repartir atone. Faut-il y voir un résumé de l’école ? Faut-il se résigner à une rentrée qui désincarne ? Peut-on tisser des liens tout en distribuant des documents administratifs ?
Pour une rentrée “humanisée”
Ce sont ces questions que nous nous sommes posées il y a 7 ans avec les collègues des classes coopératives du lycée Feyder. A l’époque, nous avons eu envie de bousculer la routine pour réinterroger la rentrée et l’organiser différemment. Depuis, l’organisation a évolué mais elle vise toujours le même cap que nous nous étions fixé : accueillir les élèves d’une manière plus singulière pour les rassurer, et humaniser le rapport à l’école, tout en tissant du collectif pour commencer à construire un groupe classe solidaire. Derrière cette ambition pédagogique, nous avons eu à cœur de ne pas nous dédouaner des formalités administratives et, surtout, de ne pas non plus nous surcharger de travail. Un vrai tour de force d’équilibriste. Réajuster la démarche chaque année entre le formel des attendus et l’informel des relations, mais finalement c’est aussi ce déséquilibre permanent qui est gage de pédagogie, et, peut-être, d’humanité. Après l’ambition, arrive la question essentielle du “comment faire ?” Et puis, très vite arrivent les contraintes : comment aménager du temps personnalisé pour chaque élève dans une classe à 25 ou à 35 ? Comment s’occuper à la fois de chaque élève et du groupe ? Comment être sûr que cela convient aux élèves ? Comment faire tenir cette organisation en une demi-journée ?
Moi avec les autres : une rentrée en 7 étapes
Même si cela peut sembler paradoxal, ce sont ces contraintes qui nous ont motivés pour rendre opérationnelle notre idée de rentrée rencontres.
Concrètement, voici comment elle se déroule : 7 étapes en 3h
Etape 1 : réflexion initiale (5 min)
Tout d’abord, nous distribuons aux élèves une feuille vierge en écrivant une question au tableau : “ Qu’est-ce qu’une classe pour vous ?”, chacun répond individuellement et conserve le document.
Etape 2 : vérifications administratives (30 min)
Ici rien de très original, si ce n’est le temps accordé à cette étape. Nous condensons l’appel, les différentes vérifications (options, langues, emploi du temps) et les documents à distribuer. Suit une lecture très synthétique et rapide du règlement intérieur avec une approche « droits / devoirs ». Nous terminons ensuite par un rappel rapide sur les enjeux de la classe de seconde en insistant sur les absences et d’autres règles spécifiques à la classe coopérative (4 au total).
Etape 3 : rencontres singulières par des entretiens individualisé (1h)
Là, un collègue nous rejoint en renfort, nous sommes donc trois adultes répartis dans une salle annexe. Les élèves viennent les uns après les autres à la rencontre d’un enseignant pour un entretien individuel de 5 à 10 minutes. Pour guider l’entretien nous avons prévu 5 sujets de discussion : l’entrée en seconde, le rapport au travail, les éventuelles difficultés, l’orientation et divers. Nous collectons quelques éléments de réponse par élève pour partager au reste de l’équipe. Mais l’important pour nous n’est ni les sujets, ni les traces, c’est la conversation en tant que telle. L’objectif pour nous est de rassurer chacun d’entre eux et de leur laisser un temps pour poser leurs questions ou pour partager ce qu’ils veulent nous dire de leur ressenti, de leurs attentes et inquiétudes. Nous pensons que le recours à l’oral personnifié est bien plus important que la complétion de fiche, non pas pour les informations glanées mais surtout pour le rapport humain et la perception de l’école que cela implique : un accueil qui s’adresse à chacun individuellement. A trois collègues, nous arrivons à faire passer 25 élèves en une heure, sans se précipiter ni s’étendre, toujours ce jeu d’équilibriste.
Et pendant ce temps, que font les autres, seuls dans la salle ?
Etape 3 bis : rencontre avec soi par l’écriture libre (1h)
Alors que la valse des élèves s’opère de part et d’autre de la porte qui relie les deux salles, la classe est au travail sur de l’écriture libre. Chaque élève doit d’abord écrire un texte sur le sujet qu’il souhaite avant de se faire relire par un camarade qui annote le texte. Pour débloquer les difficultés à choisir un sujet et à relire efficacement les autres, nous proposons des sujets et une méthode dans la fiche distribuée aux élèves. (Nous partageons le détail de cette fiche dans un article de notre blog Feydercoop : activité écriture libre.)
Etape 4 : remise des livre (30 min)
On file au CDI remplir les sacs… rien de nouveau ici mais nous y travaillons.
Etape 5 : rencontre avec le lycée, et les autres, en exploration (20min)
L’objectif ici est de faire découvrir le lycée aux élèves de seconde en l’explorant avec d’autres. Chaque groupe de 4 ou 5 élèves a une vingtaine de minute pour faire des selfies devant des endroits stratégiques du lycée. Nous les avons indiqués sur un plan. L’exploration se corse avec un selfie de toute la classe dans la cour. Généralement, tous parviennent à faire les selfies dans le temps imparti, sauf le selfie de la classe. Pas si simple de se coordonner pour se rassembler. L’occasion de réfléchir ensemble à la différence entre un clan et un groupe plus global comme la classe. Pour guider la réflexion, deux questions orales sont posées : “Faire cette activité en équipe a-t-il été un avantage? Pourquoi ?” et “Pourquoi n’êtes-vous pas parvenus à faire le selfie en classe entière ?”. Emerge alors un prémice de réflexion entre la solidarité clanique et la solidarité étendue (Plus de détail dans l’ouvrage Faire collectif pour apprendre)
Etape 6 : Rencontres avec les autres par des jeux coopératifs (30 min)
Juste à côté du lycée, il y a un petit parc. Une opportunité de terminer cette rentrée dehors. Tout le monde prend son sac, nous allons dans le parc pour faire deux jeux coopératifs : le jeu du rangement et le jeu de la raquette. Pas de gagnants mais de l’émulation quand même. Ces jeux permettent de faire d’une pierre trois coups : mieux se connaître, montrer qu’on n’apprend pas uniquement sur une chaise et une feuille, et se confronter à la difficulté de faire ensemble. Les rencontres ce n’est pas sans frictions, et c’est tant mieux quand on veut apprendre.
Etape 7 : Réflexion finale (5 min)
Nous terminons par le début, en reposant la même question initiale et en demandant aux élèves d’écrire leurs réponses au recto en signifiant ce qui a changé, le cas échéant. L’écriture est médiocre car ce n’est pas si facile d’écrire dans l’herbe.
Détail important, nous sommes deux professeurs principaux à animer cette rentrée. Nous pensons qu’il est possible de transposer ce déroulé même en étant seul sauf bien sûr l’étape d’écriture libre qui nécessite du renfort (au minimum 3 collègues pour une classe à 25, pour des classes à 35 nous étions 4).
L’heure du bilan
On expérimente, nous ne sommes donc sûrs de rien, si ce n’est peut-être de notre cap. Le cap c’est important paraît-il pour un équilibriste. Pour accompagner le pas hésitant, nous nous référons souvent aux avis des élèves. Nous avons donc rajouté une 8ème étape à cette demi-journée de rentrée. Ils doivent écrire sur leur feuille ce qu’ils ont pensé de cette journée. Globalement les retours sont encourageants : “C’était bien car on a appris à se connaître”, “J’avais peur de m’ennuyer”, “C’était bien car j’ai appris à connaître plus de gens », etc. D’autres, plus rares, questionnent : “Les jeux sont difficiles”, “c’est dur d’écrire le premier jour”. D’autres, plus rares encore, font de l’anecdote une balise qui rassure, et assure, l’équilibriste : “Moi je m’attendais à une rentrée habituelle : on vient, on récupère les papiers et les livres, et on repart. Un truc un peu froid quoi. Là on se connait déjà un peu et puis les autres ont l’air sympa.” ou “ Je m’attendais pas du tout à une rentrée comme ça, ça donne envie de revenir. “
Laurent Reynaud
Toutes nos réflexions et pratiques sont partagées sur notre blog Feydercoop